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TERTULLIEN

TRAITÉ 

DE LA COURONNE DU SOLDAT

Édité par M. Charpentier, Paris (1844)

I. Ces jours passés, les très-excellents empereurs 1 ont fait largesse. Les soldats, dans le camp, couronnés de lauriers, étaient pointés sur le registre lorsqu'ils la recevaient. Parmi ceux-là il s'en trouva un, plus soldat de Dieu que les autres, lequel d'une âme ferme et assurée, au dessus de tous ses compagnons, ayant en la croyance de ne pouvoir servir deux maîtres, avait seul la tête nue, tenant la couronne inutile dans sa main. Cette discipline et façon des chrétiens commençait dès lors à se manifester et reluire. Chacun le remarque de loin, s'en moque de près, gronde contre lui. Aussitôt voilà un murmure. On le défère au colonel. Comme il se présente en son rang : « Pourquoi, dit le colonel, es-tu différent des autres ? » — « Il ne me convient pas, dit-il, d'être équipé comme eux. » Étant interrogé de la sorte, il répond : « Je suis chrétien. » Oh ! le brave soldat qui ne se glorifie qu'en Dieu ! On délibère sur ce. Le procès lui est fait, et le criminel comparaît devant le chef de l'armée. Sur-le-champ il commence à se dépouiller, laisse son pesant manteau, quitte sa chaussure gênante, marche pieds nus sur la terre sainte, rend son épée non nécessaire à la défense du Seigneur, ayant sa couronne dans sa main, laquelle fut vue de tous. Maintenant tout rouge de son sang, plein d'espérance, ceint la parure de l'Évangile et de la tranchante parole du Seigneur, tout armé de pied en cap |p237 des armes de l'apôtre, et étant couronné de la couronne blanche du martyre, mieux, certes, que s'il eût eu celle de laurier sur la tête, il attend dans la prison la largesse de Jésus-Christ. Voilà soudain des jugements qu'aucuns font sur lui (je ne sais si je les dois nommer chrétiens, vu que les païens n'en disaient pas pis), comme d'un étourdi, téméraire et désespéré, lequel interrogé sur son habit a mis le nom de chrétien en danger, comme s'il n'y avait que lui seul qui eût du courage, et comme si, entre tant de frères ou soldats, chrétiens comme lui, il était le seul qui fût chrétien. Certes, il ne reste à ces gens-là, sinon de songer comment ils pourront rejeter le martyre, de même qu'ils ont rejeté les prophéties faites par le Saint-Esprit. Finalement ils murmurent entre les dents de ce qu'ils courent grande fortune de perdre cette bonne et douce paix dans laquelle ils ont vécu si longtemps. Je ne doute pas qu'aucuns d'entre eux n'aient commencé de transporter leurs livres et papiers, qu'ils ne tiennent leur paquet tout prêt, et qu'ils ne s'apprêtent pour fuir de ville en ville : car ils se souviennent d'autres passages de l'Évangile que de celui-là. Je connais leurs pasteurs, lions en paix, et cerfs en guerre; mais nous traiterons ailleurs les questions touchant le martyre. Nous nous contenterons à présent de parler de ce qu'il nous opposent. Où est-il défendu de porter couronne? Je commencerai plus volontiers par ce point qui est le fait de la présente matière, afin que par l'exemple, principalement de celui-ci, les chrétiens qui ont été couronnés de lauriers, qui font cette question par ignorance, soient instruits, et ceux qui se formalisent de la défense de leur faute, soient convaincus, lesquels pensent se soulager en la révoquant en doute, comme si la faute était nulle ou incertaine, qui peut être mise en dispute. Or je montrerai que, sans doute, c'est une faute vraie et certaine.

II. Je dis donc que nul des fidèles ne sait ce que c'est que de porter la couronne sur sa tête, excepté le temps de cette épreuve et de tentation. Tous l'observent ainsi depuis les catéchumènes jusqu'aux confesseurs et |p238 martyrs, même ceux qui lors de la persécution ont abjuré la foi sinon du cÅ"ur, au moins de la bouche. Qu'ils recherchent, s'ils veulent, d'où cet usage et observance prend son autorité. Si quand on demande pourquoi on observe une chose, il faut alors qu'il soit certain qu'on l'observe on ne peut donc point dire que ce ne soit point délit ; ou bien qu'il n'est point apparent que c'est un sujet de controverse et de dispute, quand on vient à transgresser la coutume, qui doit être maintenue de son propre nom, et est assez autorisée et approuvée par la protection du consentement de ceux qui l'observent. Non pas qu'il ne faille en demander la raison, mais bien qu'il faut que ce soit sans déroger à l'usage ni sans la détruire ainsi pour l'établir, et afin que tu l'observes d'autant plus tôt, lorsque tu seras assuré de la raison. Mais je vous prie, quelle façon de faire est celle-là : de mettre en doute une coutume, après que vous l'avez rompue, et d'en demander la raison lorsque vous l'avez quittée? Car si quelqu'un la met en doute, pour montrer qu'il n'a point failli en laissant la coutume, pour le moins il est certain qu'il a failli lorsque de fait il l'a pratiquée et prise pour.coutume. Si celui qui a porté aujourd'hui la couronne sur sa tête n'a point fait mal, il a donc mal fait quand d'autres fois il l'a refusée? Au moyen de quoi mon discours ne sera pas pour ceux-là auxquels cette question n'est pas faite, pour avoir failli, mais pour ceux qui, poussés du désir d'apprendre, remuent ceci plus pour consultation que pour question, et plus pour s'informer que pour débattre ; car les questions que nous faisons doivent toujours tendre là. De ma part j'approuve beaucoup la foi qui croit avant d'être enseignée ; que telle chose doit être observée lors même qu'elle n'en sait pas encore la raison. Il est bien aisé de demander de suite où il est écrit qu'on ne doit pas porter couronne sur le chef? Mais aussi où est-il écrit que nous en devions porter? Pour ceux qui demandent l'autorité de l'Écriture pour l'opinion qu'ils rejettent, ils ont un préjugé qu'elle est également nécessaire pour l'opinion contraire qu'ils soutiennent. Car si on dit qu'il est |p239 permis de porter couronne parce que l'Écriture ne le défend pas, on peut dire de même que porter couronne est mal fait, parce que l'Écriture ne le commande pas. Que fera alors la discipline ou l'usage ecclésiastique ? Recevra-t-elle l'un et l'autre comme non défendus? ou les rejettera-t-elle comme non commandés? Mais vous direz : « Ce qui n'est pas prohibé est autant qu'expressément permis. » Tout au contraire ce qui n'est pas expressément permis est autant comme prohibé.

III. Et jusques à quand mènerons et ramènerons-nous la scie par cet alignement, puisque nous avons l'usage ancien, lequel y a déjà donné coup ? Si l'Écriture n'en a rien déterminé, il est au moins certain qu'elle a été fortifiée par la coutume, laquelle sans doute est découlée et provenue de la tradition ; car comment aurait-on mis en usage quelque chose, si premièrement la tradition ne nous l'avait appris ? Mais tu me diras qu'aussi, pour l'établissement et la validité de la tradition, l'autorité de l'Écriture est pareillement requise. Il nous faut donc mettre en doute si la tradition non écrite doit être reçue ou non. J'accorderais volontiers qu'il ne la faut pas recevoir, s'il ne se trouvait des exemples, d'autres usages, qui y donnent préjugé; et lesquels toutefois nous ne maintenons que par le seul titre et autorité de la tradition, sans aucun témoignage de l'Ecriture, et puis après autant qu'elles sont soutenues par la coutume. Or afin que je commence par le baptême : quand nous y allons, nous protestons, sur le lieu, ou un peu devant l'église, sous la main de notre prélat, que nous renonçons à Satan, à ses pompes et à ses anges ; puis, par trois fois, nous sommes plongés, répondant quelque chose de plus que le Seigneur par son Évangile n'a institué. Laissés de là, nous allons goûter la doucereuse concorde du lait et du miel mêlés ensemble. De là en avant, on ne se lave point le corps de toute la semaine. Nous recevons le sacrement de l'Eucharistie : assemblées qui se font à jeun et devant le jour; et nous ne le prenons que de la seule main des supérieurs ou des prêtres, et non d'autres, |p240 combien que le Seigneur l'ait commandé et lors du repas et à tous. Nous faisons annuellement des oblations pour les trépassés et pour les nativités des martyrs. Nous estimons malséant de jeûner et prier Dieu à genoux le dimanche. Nous jouissons aussi de cette même immunité depuis la fête de Pâques jusqu'à la Pentecôte. Nous portons avec beaucoup de déplaisir tant soit peu de notre pain ou de notre calice à terre. En cheminant, entrant, sortant, nous habillant, nous chaussant, entrant aux bains, nous mettant à table, quand on allume les chandelles, quand nous nous mettons au lit, bref en toutes actions et déportements, nous imprimons au front le signe de la croix. 

[IV 2]. Si tu demandes opiniâtrement une loi prise de l'Écriture pour toutes telles et autres disciplines ou usages, tu n'en trouveras aucune. Mais on te mettra en avant la tradition qui en est l'auteur, la coutume qui la confirme, et la foi qui l'observe. Puis tu t'apprendras de toi-même, ou apprendras de celui qui y aura pris garde, la raison sur laquelle la tradition, la coutume et la foi sont appuyées. Mais cependant tu croiras qu'il y a quelque loi non écrite à laquelle tu dois obéir. J'ajouterai encore un exemple, d'autant qu'il n'est pas malséant de tirer enseignement des Pères de l'ancienne loi. Entre les Juifs, c'est chose si ordinaire à leurs femmes d'avoir la tête voilée, qu'elles en sont connues par là. J'en demande la loi, car j'omets pour cette heure ce que l'Apôtre en a écrit. Si Rébecca, découvrant de loin son fiancé, baissa soudain son voile, sa pudeur et sa honte virginale ne peut toutefois en avoir établi aucune loi, ou bien ce ne peut être qu'en sa propre cause seulement que les vierges seules se couronnent, et encore en allant épouser, et non plus tôt qu'elles aient reconnu leurs fiancés. Si Susanne, ayant été dévoilée en jugement, sert de preuve et d'argument qu'elle était voilée, je puis dire qu'elle prit le voile de son propre mouvement, sans qu'autrement elle y fût obligée, parce qu'elle était déférée en jugement et qu'elle aurait eu occasion de montrer sa beauté, parce qu'elle craignait de plaire. Au reste, je ne crois pas aisément |p241 qu'aux portiques et aux galeries de son mari, elle se promenât voilée, puisqu'elle agréa. Je veux qu'elle ait toujours été cachée de son voile. Si je demande la loi de tel habit, soit en elle ou en autre quelconque, et que je n'en trouve en aucune part de l'Écriture, il s'ensuit donc que c'est la tradition qui a donné à la coutume cet usage et façon, qui doit prendre quelquefois l'autorité de l'apôtre, par l'interprétation qu'il a fait de sa raison. Donc par ces exemples il sera manifeste : qu'une tradition non écrite et confirmée par la coutume se peut défendre et qu'on en peut soutenir l'usage même, comme celle qui, par la persévérance et continuation de soi-même, est fidèle et idoine témoin que c'est une tradition approuvée. La coutume, faute de lois, même dans les choses civiles, est reçue pour loi. Et n'importe si la loi consiste ou en l'Écriture ou seulement en la raison, puisque la loi même n'a point d'autre garant ou aveu que la raison. Que si la loi gît et consiste en la raison, tout ce qui sera appuyé sur la raison sera loi, de quiconque soit-il allégué. Ne penses-tu pas qu'il est loisible à chaque fidèle de concevoir en un esprit quelque chose, et faire une ordonnance pourvu qu'elle soit de Dieu, et à l'avancement de la discipline et au salut de l'âme, puisque le Seigneur a dit : « Pourquoi est-ce que vous ne jugez de vous-mêmes ce qui est juste? » ce qu'il entend non-seulement des choses qui viennent en jugement, mais aussi de tout jugement qu'on fait sur tout ce qui est à examiner. Aussi l'apôtre dit : « Si vous ignorez quelque chose, Dieu vous la révélera. » Lui-même a coutume de donner en conseil ce en quoi il n'y avait aucune ordonnance du Seigneur, voire d'ordonner certaines choses de soi et de son autorité privée; aussi avait-il l'esprit de Dieu, lequel est le guide à toutes vérités. Ainsi donc son conseil et son ordonnance sont reçus comme un commandement de Dieu, parce qu'ils sont soutenus de la raison, laquelle est divine. Presse tant que tu voudras en demandant cette raison, mais que ce soit sauf le respect qui est dû à la tradition. Par qui que ce soit que tu la reçoives, considère non l'auteur, mais |p242 l'autorité, et principalement celle de la coutume, laquelle doit être d'autant plus en honneur et estime qu'elle doit servir d'interprète et de truchement à la raison ; de manière que s'il plaît à Dieu de te l'enseigner, tu saches alors pourquoi tu dois observer la coutume. 

[V 2]. Mais pourquoi demande-t-on avec tant d'opiniâtreté plus grande raison des usages chrétiens, vu qu'ils sont maintenus et défendus par la nature qui est la première maîtresse et discipline de toutes choses ? et pourtant elle sera la première qui nous montrera que la couronne n'est pas convenable sur la tête. Or le Dieu de la nature, celui qui, je crois, est le nôtre, qui a moulé l'homme et disposé en lui des sens certains pour désirer, discerner et obtenir le plaisir et jouissance des choses, comme par des instruments propres; qui a creusé l'ouïe dans les oreilles, allumé la vue aux yeux, enclos le goût dans la bouche, éventé le flairement dans les narines, et mis la règle et connaissance de l'attouchement dans les mains ; par ces instruments et outils qui sont en dehors de l'homme, et qui lui servent en dedans, a voulu que le fruit et la jouissance de ses bénéfices fussent conduits et portés des sens jusqu'à l'âme. Quels fruits retire-t-on des fleurs? car la propre, ou pour le moins la principale matière des couronnes, est des fleurs des champs. Tu diras que c'est la couleur, ou l'odeur, ou tous les deux ensemble. Quels seront les sens de la couleur ou de l'odeur ? Ce sera, à mon avis, la vue et l'odorat. Quelles parties de notre corps ont été loties et partagées de ces deux sens ? Ce sont les yeux et les narines, si je ne me trompe. Contentez-vous donc de voir les fleurs, ou de les sentir puisque cela leur appartient ; jouissez-en avec les yeux et les narines, propres membres et sujets de ces sens. La nature est donnée clé Dieu, et de l'usage du monde, lequel ne peut contr dire à celui de la nature. Estimez donc les fleurs liées et entrelacées en bouquet de soie ou de jonc, de même que si elles étaient déliées en leur naturel, belles à voir et touffues à fleurir. Si tu veux user d'un chapeau de fleurs, pour en porter grand nombre bien ordonnées, et en avoir le |p243 plaisir de toutes ensemble, cache-les dans ton sein si elles sont si nettes, répand-lés sur ta couche, verse-les dans ta coupe, là elles ne peuvent nuire en aucune façon, fais-les servir en autant de sortes que tu as de sentiments. Mais quelle saveur as-tu des fleurs à la tête ? de quoi te profite plus la vue d'un chapelet, que le lien d'un bandeau ? tu n'en vois ni la couleur, ni tu n'en tires l'odeur, et n'en aperçois point la délicatesse. Cela est autant éloigné de la nature, de rechercher les fleurs pour la tête, comme des viandes pour les oreilles et des sons pour le nez. Or ce qui est contre nature, mérite d'être appelé de tous monstre, et de nous noté pour témoignage de sacrilège contre Dieu, auteur et maître de la nature. 

[VI 2]. Demandes-tu donc la loi de Dieu, quand tu as cette commune loi en la place publique de l'univers, et gravée dans tous les tableaux de la nature, auxquels l'apôtre a accoutumé de renvoyer; comme quand, parlant des voiles des femmes, il dit : « Nature ne nous l'enseigne-t-elle pas ? » ou quand il écrit aux Romains, « que les gentils font par nature ce que la loi commande. » Il leur propose ainsi la loi naturelle et la nature légale. Et aussi quand il dit en la première partie de la même épître :« Que les hommes et les femmes ont changé le naturel de leur usage et condition et sexe en celui qui est contre nature. Et ce, pour la peine de leur erreur, certes, il soutient l'usage de la nature. Nous avons premièrement connu Dieu par la nature, l'appelant le Dieu des dieux, l'estimant très-bon, et l'invoquant comme juge. Tu demandes si la nature nous doit guider pour jouir de la condition de Dieu, parce qu'il est à craindre que nous n'y soyons ravis et aliénés par cette même nature, par laquelle le jaloux et envieux contre Dieu a corrompu avec l'homme même l'universelle condition des créatures, assujettie et asservie à l'homme pour certains usages ; d'où vient que l'apôtre a dit qu'elle a succombé à contre-cÅ"ur à la vanité, étant bien souvent subvertie par vains usages, sales, injustes, impies. Ainsi donc est avilie et déshonorée la condition des créatures parmi les voluptés des spectacles, par ceux de qui |p244 la nature connaissait bien que toutes les choses desquelles les spectacles sont composés sont de Dieu, mais qui manquaient en science. Sachez aussi que toutes choses sont renversées par le diable. Mais en faveur de nos chrétiens qui prennent tant de plaisir à voir ces comédies et bouffonneries, et autre telle manière de jeux, nous avons à plain écrit en grec de cette matière.

VII. Partant que ces couronnés reconnaissent cependant l'autorité de la nature, comme celle qui est la commune mère, par laquelle ils peuvent contempler et connaître et les hommes et les gages de leur propre religion, et ceux qui servent de plus près le Dieu de la nature, et ainsi pareillement comme de surcroît toutes les autres raisons, lesquelles défendent que nous ne portions pas en tête de couronnes, en mille façons : car je suis pressé de me tourner de la généralité de l'usage et discipline de la nature, à la défense et tuition de la spécialité de la discipline chrétienne par les autres sortes et espèces de couronnes qu'on voit être destinées à autres usages, comme celles qui sont composées d'autre matière, de peur qu'on ne croie qu'elles ne peuvent être prohibées d'une secte, pour autant qu'elles ont échappé les bornes de la nature, à cause qu'elles ne sont ainsi que cette couronne militaire de laurier, faites des fleurs que la nature nous a marquées et désignées pour l'usage. Il me faut donc traiter ceci plus curieusement, et au long, et le ramener depuis son origine jusqu'à son progrès et sa fin. Les lettres humaines nous sont nécessaires pour cela, car il faut prouver les choses humaines par leurs actes et instruments. Je crois que le peu que j'ai touché suffira. S'il y a eu quelque Pandore, laquelle (comme témoigne Hésiode) fut la première femme, elle a été couronnée par les Grâces, lorsque chacun lui offrit des dons, d'où elle a pris son nom. Mais ce pasteur prophétique, et non poétique, Moïse, nous représente Eve, la première femme, ayant plutôt sa vergogne couverte de feuilles que son front entouré de fleurs. Cette Pandore donc n'a point été. Mais l'origine de la couronne est toujours honteuse, soit qu'on l'attribue |p245 à ce mensonge, soit qu'on la prenne de ses vrais auteurs : car c'est chose assurée que d'autres l'ont inventée ou enrichie. Au conte de Phérécide, Saturne a été le premier couronné. Diodore dit, que Jupiter, après la victoire contre les géants, en récompense reçut ce présent des autres dieux. Lui-même donne des bandeaux à Priape, et à Ariadne un chapelet d'or et de perles orientales, ouvrage de Vulcain, et présent de Bacchus, depuis fait signe céleste. Callimaque environne Junon de pampre ; on voit à Argos sa statue entourée de feuilles de vigne, foulant aux pieds une peau de lion, qui montre l'insolence de cette marâtre, ayant en sa puissance les dépouilles de ses deux beaux-fils. Hercule orne son chef tantôt de peuplier, tantôt d'olivier, tantôt d'ache. Vous avez la tragédie de Cerbérus, vous avez Pindare et Callimaque, qui racontent qu'Apollon, sacrifiant aux dieux après avoir tué le serpent de Delphes, prit la couronne de laurier ; car les anciens, soit qu'ils suppliassent les dieux ou les hommes, portaient couronnes. Harpocration donne la raison pour laquelle Bacchus, que les Egyptiens appellent Osiris, est couronné de lierre, c'est parce que sa propriété est de préserver le cerveau de pesanteur. Le vulgaire même, quand il appelle les jours qui lui sont dédiés la Grande couronne, reconnaît que Bacchus est le premier qui pratiqua l'usage de la couronne de laurier, avec laquelle il triompha des Indes. Si vous feuilletez les écrits de Léon l'Égyptien, vous verrez qu'Isis la première environna sa tête d'épis de blé, lesquels eussent été plus propres au ventre. Qui en voudra savoir davantage, Claude Saturnin, fort excellent en cette matière, le lui enseignera ; car dans son livre des Couronnes, la source, la cause, la diversité, la solennité de celles-ci sont si bien discourues, qu'il n'y a si belle fleur, ni rameau si agréable, branchage, ni herbage, qui ne soit consacré à quelque chef.

VIII. Apprenons parla combien nous devons rejeter au loin la manière de porter couronne, puisqu'elle a été mise en crédit et en honneur par ceux et pour ceux que |p246 le monde a tenus pour dieux : car si le diable, qui est menteur, dès le commencement exerce aussi bien en cette espèce et façon, qu'au reste son mensonge et sa supposition, en s'attribuant la déité, sans doute c'est lui-même qui en avait avisé ceux en la personne desquels cette supposée déité était représentée. Quelle estime donc doivent faire les serviteurs du vrai Dieu de ce qui a été introduit par les premiers professeurs et novices du culte du diable, et qui dès son commencement a été dédié à eux-mêmes, voire qui dès lors était consacré et destiné à l'idolâtrie par les idoles, lorsqu'ils étaient (encore en vie : non que l'idole soit quelque chose, mais parce que tout ce qui se fait envers les idoles se rapporte aux diables. Or s'il en est ainsi, que ce qu'on fait aux idoles soit attribué aux diables, combien plus ce que les idoles ont fait, lorsqu'ils étaient encore en vie ! Ce sont donc, certes, les diables mêmes qui se le sont procuré par ceux, en la personne desquels ils les avaient désirés, comme avec une grande faim, avant même de les avoir procurés. Ayez cette créance cependant que je vais rompre et dissoudre une objection, qui se fait sur ce propos ; car je vois déjà que l'on dit : « Qu'il y a plusieurs autres choses approuvées par ceux que le monde a tenus pour dieux, lesquelles toutefois se retrouvent en nos usages, et des saints Pères, et autres choses divines, voire même en Jésus-Chrit, comme celui qui n'avait fait la fonction d'homme que par ces communs instruments par lesquels l'humanité se représente. » Qu'il soit ainsi ! aussi ne disputerai-je plus contre son origine. Bien que Mercure ait le premier enseigné les lettres, si les confesserai-je nécessaires pour les choses qui appartiennent au commerce et pour l'étude de la piété, et nos devoirs envers Dieu. Et encore qu'il ait le premier tendu les cordes pour en tirer des sons et de l'harmonie, je ne nierai pas, quand je vois David, que les saints ne se soient servis de cet instrument, et qu'ils ne l'aient employé au service et ministère de Dieu. Accordons-leur, s'ils le veulent ainsi, qu'Esculape ait le premier fait essai de la médecine. Il me souvient qu'Esaïe |p247 envoya quelques médicaments à Ezéchias étant malade. Saint Paul a su qu'un peu de vin conforte l'estomac. Soit ainsi que Minerve ait bâti le premier navire, si verrai-je quant et quant Jonas et les apôtres naviguer sur l'eau. Il y a plus; Jésus-Christ a eu une robe et saint Paul un manteau. Si de chaque meuble et vase vous en faites auteur un des dieux du monde, il faut que je reconnaisse que Jésus-Christ s'en servait lorsqu'il couchait en son petit lit, et lorsqu'il présentait le bassin aux pieds de ses disciples, et lorsqu'il versait l'eau de la cruche, et lorsqu'ils était entouré de son linceul, propre habit d'Osiris. Je satisferai à cette question en tous ces points : car j'accorde bien que l'usage de ces meubles a été commun aux bons et aux méchants. Mais je dis qu'il y a différence si c'est pour choses licites ou illicites, parce que l'usage auquel on les fait servir trompe souvent la mauvaise intention pour laquelle on en peut user, qui est celle qui rend sujet à vanité. Car nous disons que ces choses ont communément servi à nos usages, et de nos pères, et des choses appartenantes à Dieu, et à Jésus-Christ même, en tant qu'elles apportent des simples commodités, et certaines aides et honnêtes soulagements aux nécessaires nécessités de la vie humaine. De façon que s'il est question d'un homme de Dieu, elles sont censées être inspirées de lui, comme celui qui lui en donne de plus près l'avis, l'instruction et le plaisir. Mais nous disons aussi, que les choses qui outrepassent l'ordre susdit ne conviennent point à nos usages et façons, mêmement à celle qu'à raison de ce que dessus ou ne peut remarquer ni au monde, ni aux choses de Dieu, ni en la vie et conservation de Jésus-Christ.

IX. Quel patriarche, quel prophète, quel lévite ou prêtre, quel souverain sacrificateur, quel apôtre, quel évangéliste, quel évêque se trouve avoir été couronné ? Je pense que ni même le temple de Dieu, que ni l'arche du Testament ou d'alliance, ni le tabernacle du témoignage, ni l'autel, ni le chandelier, n'ont pas été couronnés ; auxquels néanmoins, si c'eût été chose digne de Dieu que d'être couronné, il eût été bien séant et bien |p248 convenable de l'être, et en la première solennité de la dédicace, et en la seconde congratulation et réjouissance pour la remise et rétablissement du temple. Or si ces choses ont été en figure de nous (car nous sommes le temple de Dieu, les autels, les luminaires et les vases) elles signifiaient aussi en figure, que les hommes de Dieu ne doivent pas être couronnés. La vérité se doit rapporter à l'image. Possible que tu me diras, que Jésus-Christ même a été couronné. Je te répondrai aussi en un mot : Fais-toi couronner de cette façon, et il te sera licite. Toutefois cette couronne injurieuse et impie ne lui fut pas donnée par les Juifs, ce fut une intention des soldats romains, tirée de l'usage des choses du monde, lequel le peuple de Dieu n'a reçu jamais ni en aucune allégresse publique, ni en ses particulières lascivités et débauches. Il aima mieux revenir de la captivité de Babylone, après les festins, passer le temps, et se jouer avec tambours, flûtes et psaltérions, qu'avec des couronnes; car en la description de leurs réjouissances, et en la répréhension de leurs débauches on n'eût pas omis de faire mention des couronnes, et de remarquer l'honneur ou le déshonneur qu'elles y portaient. Aussi quand Esaïe dit : « Ils boivent le vin, avec tambours, flûtes et psaltérions, » il n'eût pas oublié d'y ajouter ce mot « avec couronnes, » si elles eussent été quelquefois en usage, même les choses concernant le service de Dieu.

X. Ainsi quand de ce que tu allègues qu'il y a des choses qui ont été controuvées par les faux dieux, et lesquelles se trouvent pratiquées à l'endroit du vrai Dieu, tu veux conclure que l'usage de porter couronne en la tête est commune aux chrétiens comme aux païens, tu te donnes cette loi à toi-même : qu'il ne faut avoir rien en commun usage qui ne soit observé au service de Dieu. Car qu'y a-t-il qui soit plus digne de Dieu que ce qui est indigne de l'idole ? et qu'y a-t-il qui soit plus propre de l'idole que ce qui convient à un mort ! car c'est choses qui appartiennent aux morts d'être ainsi couronnés, parce qu'eux-mêmes deviennent quant et quant idoles, |p249 et en habit, et en honneur de consécration qui est en notre endroit une seconde idolâtrie. Ce sera donc à ceux qui auront faute de sens ou de jugement, d'user de la chose, de laquelle s'ils voulaient abuser, ils auraient faute de jugement, autant que si du tout ils n'avaient point de sentiment ; car il n'y a point de différence entre abuser d'une chose, ou lorsque véritablement on ne peut en user, par faute de la faculté du sentiment, ou lorsqu'on n'en peut abuser, par faute de la chose même. Mais à nous, il ne nous est pas permis, selon l'apôtre, d'en abuser, parce qu'il nous enseigne, qu'il est plus aisé de n'en user point du tout, si vous ne voulez dire qu'il n'y a point d'abus en ceux qui n'ont du tout point-dé sens ni de jugement, mais que le tout vaque. Toutefois ce même Å"uvre est un Å"uvre mort, pour le regard des idoles, mais vif pour le regard des diables auxquels s'adresse cette superstition. L'or et l'argent sont les idoles des nations, dit David quand il écrit : « Ils ont des yeux et ne voient point ; ils ont des narines et ne flairent point ; ils ont des mains et ne touchent ni ne palpent rien ; » car par ces organes on jouit des fleurs. Que s'il prédit que ceux qui forgent des idoles sont tels que les idoles mêmes, ceux donc qui usent des ornements des idoles sont déjà tels? car comme toutes choses sont mondes et nettes à ceux qui sont nets et mondes, aussi toutes choses sont immondes à ceux qui sont immondes ; mais il n'y a rien plus immonde que les idoles. Au surplus toutes les substances, comme étant créatures de Dieu, sont mondes et nettes, et par cette condition et qualité elles sont communes en usage ; mais toute la différence gît en la façon d'en user, car je tue et destine un coq pour moi et à moi, aussi bien que Socrate a pour Esculape, et si la senteur de quelque lieu m'offense, je le parfum dee quelque odeur et encens d'Arabie, mais non pas avec telle cérémonie, ni avec tant de mystère, habit, ou apparat qu'on fait aux idoles. Car si d'une seule parole la qualité de la créature est polluée, comme l'apôtre l'enseigne écrivant : « Si quelqu'un te dit, cela est destiné et |p250 consacré aux idoles, ne le touche pas ; » à plus forte raison elle est souillée par la cérémonie, par l'habit, et par l'apparat, avec lesquels ces choses leur sont sacrifiées. De même la couronne prend la qualité des choses consacrées aux idoles ; car en cette cérémonie, habit et apparat, elle sacrifie aux idoles qui en ont été les auteurs, et auxquelles l'usage de la couronne est principalement et d'autant plus propre, autant qu'il ne peut être commun aux chrétiens à cause qu'il ne se trouvent point parmi ce qui touche les affaires et le service de Dieu. Par ce l'apôtre crie : « Fuyez l'idolâtrie, » savoir toute et chacune ; prends garde à reconnaître cette forêt et combien d'épines y sont cachées. Comme il ne faut rien donner à l'idole, aussi n'en faut-il rien prendre ; si c'est chose éloignée de la foi de s'asseoir à la table et au banquet des idoles, que sera-ce de paraître en leurs habits ? Quelle société y a-t-il entre Christ et Bélial . C'est pourquoi il dit « fuyez, » car il commande de faire un long et éloigné divorce d'avec l'idolâtrie, de ne s'en approcher en façon quelconque. Le dragon terrestre ne laisse pas d'attirer par son baleine les oiseaux de bien loin pour les engloutir. Saint Jean dit : « Mes enfants, gardez-vous des idoles. » Il n'entend pas que ce soit seulement de l'idolâtrie, c'est-à-dire de l'office et service qu'on fait aux idoles, mais des idoles, c'est-à-dire de leur effigie même, car c'est une chose indigne que l'image du Dieu vivant soit faite l'image de l'idole et du mort. Nous avons jusqu'ici prouvé que ce port et ornement de couronne est propre aux idoles, et par l'ordre de son origine, et par son visage, parmi la superstition ; et finalement que ne se trouvant point entre les choses concernant le service de notre Dieu, de tant plus celui-ci est censé appartenir et être aux idoles, à l'antiquité, solennité et office desquelles il convient, et de qui les portes, les hosties, les autels, voire les ministres et les prêtres sont couronnés. Tu as chez Claudius les couronnes de tous les ordres et collèges, prêtres et sacrificateurs. Nous avons aussi entremêlé et prouve cette distinction de a différence qu'il y a entre c es choses qui se font avec |p251 raison ou contre raison, et laquelle sert pour répondre à ceux qui rendent commun l'usage de toutes choses à l'occasion de quelques exemples. Il ne reste donc plus sur ce point qu'à examiner les causes et raisons qu'on peut dire pour cet usage de la couronne, afin que cependant que nous montrerons comme elles sont étrangères, voire aussi contraires à la discipline chrétienne, ce soit autant de prouves, que nulle d'icelles n'est soutenue de l'aide et protection de la raison, pour faire que tel port et ornement de couronne puisse être commun aux chrétiens comme aux païens, ainsi qu'aucuns ont prétendu, l'exemple desquels on nous objecte.

XI. Afin donc que je commence par la raison pour laquelle la couronne militaire est en usage, il faut premièrement savoir si la guerre est totalement et absolument licite aux chrétiens ; car quelle apparence y aurait-il de traiter et discourir des accidents, si l'essence et le principal étaient blâmables ? Croyons-nous qu'il soit possible d'accumuler le serment fait à l'homme sur celui qui a été fait à Dieu et après Jésus-Christ répondre et nous enrôler sous un autre seigneur, et renoncer à père et mère, à tout prochain lesquels la loi nous commande honorer et aimer après Dieu et l'Évangile, qui les préfère à toutes autres choses réservées à Jésus-Christ. Sera-t-il permis de faire profession de l'épée, vu que notre Dieu a prononcé que celui qui usera du glaive périra du glaive ? Le fils de paix ira-t-il au combat, à qui il n'est pas seulement permis de plaider ? Fera-t-il souffrir à autrui les liens, la prison, les supplices, lui qui ne peut venger ses propres injures ? Entrera-t-il au corps de garde pour autre que pour Jésus-Christ, et le propre jour du dimanche, puisqu'il ne le fait pas pour Jésus-Christ même ? Sera-t il en veilles pour les temples auxquels il a renoncé? et soupera-t-il au lieu où l'apôtre le prohibe ? Défendra-t-il de nuit ceux qu'il aura chassés de jour par exorcismes, s'appuyant et se reposant sur une lance avec laquelle on a outre-perce le côté du Sauveur? Portera-t-il l'étendard qui est fait à l'envi de Jésus-Christ, et demandera-t-il la marque et la livrée du |p252 prince celui qui l'a déjà prise de Dieu ? Celui qui est mort et qui attend d'être éveillé par la trompette de l'ange, sera-t-il éveillé par la trompette d'un trompette ? Le chrétien sera-t-il brûlé selon la discipline militaire, lui à qui il n'a été loisible de brûler et auquel Jésus-Christ a remis la peine du feu ? Combien d'autres actes se commettent-ils au camp et aux exploits militaires, qui ne peuvent être attribués qu'au péché ? Même s'enrôler aux bandes des ténèbres, venant de celles de la lumière, est transgresser. Autre chose est de ceux qui étaient soldats avant d'être chrétiens, comme ceux que saint Jean baptisait, et le très-fidèle centurion que Jésus-Christ approuve, et que Pierre catéchise, pourvu qu' après avoir reçu la foi et s'être souscrit à celle-ci, on s'en départe, comme plusieurs ont fait, ou bien qu'on prenne bien garde de ne commettre contre Dieu des choses qui ne sont pas même permises par les lois militaires, voire même de souffrir à l'extrémité pour l'amour de Dieu ce que la foi païenne commande, car l'état militaire ne permet ni impunité de forfaits ni impunité de martyre. Jamais le chrétien n'est autre que chrétien, en quelque part qu'il soit. Il n'y a qu'un Evangile, qu'un Jésus-Christ. C'est lui qui désavoue ceux qui le désavouent, et qui confesse et avoue ceux qui confessent et avouent Dieu, et qui sauve l'âme qui se perd pour son nom, et au contraire perd celle qui s'est voulu sauver contre et au préjudice de son nom. Envers Dieu, autant est le soldat païen fidèle, que le soldat païen infidèle. L'état du fidèle ne reçoit point d'excuse fondée sur la nécessité. Il n'y a aucune nécessité à pécher à ceux auxquels cette seule nécessité est imposée de ne point pécher ; car on est bien pressé par force de tourments ou de peine à sacrifier et à nier Dieu tout à plat. Toutefois notre discipline n'excuse, ni ne convient point à cette nécessité ; car il y a plus grande nécessité de souffrir le martyre et de craindre de renoncer Dieu, que d'éviter le tourment et s'acquitter de sa charge. Au demeurant, cette manière de raison renverse toute l'essence et le fondement du serment fait envers Dieu, voire tant qu'il autorise et lâche la bride aux |p253 péchés qui se font volontairement et de gaieté de cÅ"ur ; car en ce cas, on pourrait débattre que toujours la volonté serait en nécessité, ayant de quoi être contrainte. Je pourrais moi-même forger à plaisir de semblables excuses, et mettre en Dieu telles causes apparentes en faveur de ceux qui portent des couronnes servant à divers effets, et m'en remettre à cette raison commune de la nécessité, qui est la directrice et gouvernante ; au lieu qu'à cette occasion il faut tout fuir telles, pour ne tomber en péché, ou souffrir le martyre pour se délivrer de celles-ci. Il n'est jamais besoin de discourir plus avant de la première partie delà question, savoir si la guerre est du tout illicite afin que nous venions à la seconde ; car si je n'ai rejeté entièrement et de tout mon effort la guerre, en vain je parle contre la couronne militaire. Soit donc posé le cas que la guerre est licite, afin que cela même -puisse servir de cause et raison pour la couronne.

XII. Je parlerai seulement de la couronne. Celle de laurier a été consacrée à Apollon ou à Bacchus ; à celui-là comme au dieu des flèches, à celui-ci comme au dieu des triomphes. Ainsi l'enseigne Claudius : « Combien . dit-il, que les soldats ont accoutumé de se couronner de myrte, parce que le myrte, et non le laurier est consacré à Vénus, la mère d'Énée, dame et maîtresse des amours, lequel est romain à cause d'Ilia, et de Rémus et Romulus. » Mais je ne crois pas que Vénus pour cette considération soit romaine avec Mars, pour le déplaisir qu'elle a reçu de la concubine de son ami. Il dit aussi que le soldat était couronné d'olivier par Minerve, déesse non-seulement des arts, mais aussi des armes, et qu'elle avait une couronne de cette arbre lorsqu'elle fit la paix avec Neptune. En toutes ces choses la superstition de la couronne militaire composée de fleurs et de feuilles est partout polluée et souillée, et souille toutes les choses qui se peuvent polluer. Par ces causes, que vous semble-t-il de cette solennelle profession et nuncupation de vÅ"ux, lui se fait premièrement en la cour du prince et de l'empereur, puis au Capitole? Après que nous savons les lieux, |p254 voyons les paroles : « Jupiter, nous voyous que ce boeuf à couronnes dorées sera tien. » Qu'emporté cette voix? Certes un reniement du christianisme. Encore que le chrétien se taise de bouche, la. couronne qu'il porte en la tête parle pour lui. Il est enjoint et annoncé aux soldats de prendre la même couronne de laurier, lorsque l'empereur leur veut faire largesse. Et certes, ce n'est pas une idolâtrie gratuite, vendant Jésus-Christ pour des deniers d'or, comme Judas le vendit pour des deniers d'argent. Ce sera aussi ce qui est dit : « Vous ne pouvez servir à Dieu et à Mammon ; c'est tendre la main à Mammon que de la retirer à Dieu. Est-ce rendre à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu, que prendre le denier de César et ne pas le rendre à l'Homme-Dieu? La couronne triomphale se bâtit de feuilles de laurier, s'attiffe de rubans et de bandelettes, se dore de feuilles d'or, se parfume de senteurs, souvent détrempées des larmes des femmes et mères, qui sont peut-être chrétiennes, car il y a des chrétiens parmi les barbares de qui on triomphe. Donc celui qui à cette occasion porte cette couronne n'est-il pas aussi coupable que s'il eût combattu ? Il y a une autre sorte de gens de guerre entre eux qui sont, couchés sur l'état des maisons royales ; car on les appelle Compagnies de camp, qui servent ordinairement aux empereurs, assistent et contribuent parfois aux pompes et magnificences royales. Si tu es de ce nombre, tu es soldat d'un autre que de Dieu. Et si tu cuides l'être de tous, tu ne l'es pas de César, quand tu reconnais l'être de Dieu : car aussi, dans les choses, communes et indifférentes, je me commets, et fie toujours au principal et plus excellent.

XIII. Il y a aussi des causes publiques pour lesquelles on couronne de laurier les ordres publics et collèges, mais aux magistrats une couronne d'or comme à Athènes et à Rome. On en porte au devant d'eux des toscanes. C'est le nom de celles qui sont enrichies de pierreries et de feuilles de chênes revêtues de lames d'or, recommandées à cause de Jupiter, lesquelles il porte avec des robes de pourpre enrichies d'or en broderies, et peintes de feuillages de |p255 palmier, pour conduire lès-chariots et carrosses des dieux. Celles des provinces sont aussi d'or, plus propres aux choses et statues qu'aux hommes, étant trop grandes pour leurs têtes. Mais l'Église de Jésus-Christ est le nom de ton ordre, et de ton magistrat, voire le nom de ta cour. Tu es l'Église, étant écrit aux livres de vie : « C'est là où est ta pourpre, » savoir le sang de notre Seigneur. Ton laticlave est en sa croix ; la cognée est mise au pied de l'arbre; c'est là où est la verge qui est sortie de la racine de Jessé. Que le monde voie aux triomphes ses chevaux publics avec leurs couronnes. Ton Seigneur n'avait pas un âne qui fût à lui lorsque, suivant l'Écriture, il voulut entrer en Jérusalem. Que ceux-ci se pompent en chariots ou chars triomphants ; que ceux-là se bravent en chevaux, mais nous invoquerons Dieu au nom de Jésus-Christ notre Dieu et notre Seigneur. Dans l'Apocalypse de saint Jean, nous devons non-seulement nous éloigner de la pompe et de la vanité de la Babylone, mais aussi de la demeure et habitation de celle-ci. Aussi le menu peuple se couronne quelquefois pour réjouissance de ce qui est propre aux solennités de chaque contrée ; et la lasciveté et débauche est ce qui est la cause de toutes les publiques allégresses. Mais tu es étranger de ce monde, et citoyen de la Jérusalem céleste. « Nous avons, dit-il, notre bourgeoisie au ciel. « Tu as là tes rôles où les chrétiens sont écrits, tu as ton calendrier des fêtes ; tu n'as rien de commun avec ces joies du monde. Tu dois faire tout le contraire ; car le monde se réjouira, et vous pleurerez. « Aussi, dit-il, se croient-ils heureux les pleureurs, et non les couronnés. » Les époux portent couronnes le jour de leurs noces. Voilà pourquoi nous ne contractons point mariage avec les païens, afin qu'ils ne nous mènent à l'idolâtrie, par laquelle les noces commencent entre eux Tu en as la loi des patriarches. Tu as l'apôtre qui te commande de te marier par le Seigneur. Quand on a affranchi le serf, on le couronne, mais tu es déjà affranchi et racheté par Jésus-Christ, et, certes, à grand prix. Comment est-ce que le monde donnera sa liberté au serf |p256 d'autrui ? et combien qu'il semble que ce soit liberté, si semble-t-il aussi servitude. Toutes les choses du monde sont imaginaires, il n'y arien de vrai. Car pour lors qu'il semblait à l'homme que tu fusses libre, tu étais le racheté de Jésus-Christ, et à présent tu es le serf de Jésus-Christ, combien que tu sois affranchi par l'homme. Si la liberté du monde semble la vraie liberté, et à cette occasion tu approuves le caractère de cette couronne, tu es remis .sous la servitude de l'homme, que tu estimes liberté, et as à l'opposite perdu la liberté de Jésus-Christ, que tu tiens pour servitude. Ne dirons-nous rien des causes et raisons des couronnes qui se donnent aux jeux et combats de prix, et lesquelles sont condamnées par leurs propres noms et titres, à savoir parce qu'elles sont sacrées et funèbres, car il ne reste rien que de couronner Jupiter Olympien, ou Hercule le Neméen, ou le chétif Archemore, le misérable Antinous, en la personne du chrétien pour servir lui-même de spectacle en une chose que lui-même ne devrait voir en une autre. J'ai récité, comme je pense, toutes les diverses causes et motifs qui ont donné vogue et introduit l'usage des couronnes, sans qu'il y en ait aucunes qui nous soient convenables; elles sont toutes étrangères, profanes, illicites, et abjurées dès l'entrée du serinent et profession, car elles étaient pompes de Satan et de ses anges, charges et offices du monde, honneur qui requéraient des solennités, faux vÅ"ux, services humains, louanges, vaine gloire déshonnête, et en toutes ces choses une idolâtrie, qui paraît au seul dénombrement des couronnes, desquelles toutes ces vanités sont entourées. Claudius me dira que dans Homère le ciel est couronné d'étoiles, que c'est Dieu qui l'a couronné, et ce en faveur de l'homme, et qu'il faut donc que l'homme soit couronné de Dieu. Mais le monde couronne les mauvais lieux, les latrines, les moulins, la prison, les écoles, les amphithéâtres, et les lieux ou on se dépouille pour entrer au bain, et les cimetières et sépulcres des morts. Ne juge point la sainteté, ni la bienséance, ni la pureté de cet habit ou ornement par le ciel, que les poètes ont feint être couronné. Mais fais-en |p257 estime par l'usage pratique, et par le commerce de tout le monde. Si est-ce toutefois que le chrétien se gardera toujours de déshonorer et décrier l'huis de sa maison d'un chapeau de laurier, s'il entend combien de faux dieux le diable a attachés et attribués aux portes : comme Janus, qui prend telle dénomination de l'huis qui regarde le dedans de la maison ; Limentinus, du seuil haut et bas ; Forculus, de l'huis qui s'ouvre vers le dehors; Garda, des gonds ou pivots. Et parmi les Grecs Apollon le Thyrréen, et les démons Antéliens qui sont nommés ainsi de ce qu'ils étaient pourtraicts et comme assis sur le dessus et au dehors des portes.

XIV. A plus forte raison le chrétien se gardera-t-il de mettre des attributs d'idolâtrie sur son chef, ou pour mieux dire sur Jésus-Christ, parce que le chef de l'homme c'est Jésus-Christ, non moins libre et franc que Jésus-Christ même, qui n'est sujet à aucun voile, tant s'en faut qu'il doive être bandé d'aucun lien; voire aussi le chef qui est sujet à voile, et à être couvert, savoir, celui de la femme s'il est occupé et couvert par le même Jésus-Christ, il n'a point faute de lien, parce qu'il l'a pour fardeau de son humilité. Si la femme ne doit pas paraître la tête nue à raison des anges, moins encore la tête couronnée : peut-être que celle-ci, paraissant la couronne en tête, sera occasion de scandale et donnera sujet de mal parler de soi ; car, qu'est-ce au chef de la femme une couronne, que l'enseigne de sa beauté, et une marque de grande lasciveté, une extrême impudence, et banqueroute à toute vergogne, une fonte et un brasier d'alléchements? Partant, selon l'avis de l'apôtre, la femme ne se parera point par trop curieusement; et afin que même par l'artifice de ses cheveux, elle ne soit couronnée. Mais celui qui est le chef de l'homme, et la beauté et face de la femme, comme il est aussi de l'Église, savoir Jésus-Christ, quel bouquet, quelle couronne de fleurs et feuilles, je vous prie, a-t-il prise pour l'un et l'autre sexe? C'a été, à mon opinion, d'épines et de chardons, en figure des péchés que cette chair terrienne nous a produits, et |p258 que la vertu de la croix a enlevés émoussant et rabattant les aiguillons de la mort, en la tolérance et patience de notre Sauveur, qui est notre chef. Certes, outre ce qu'elle figure et signifie, on y voit bien clairement la contumélie, la vilenie, l'ignominie et la cruauté qui y sont mêlées ensemble, lesquelles ont ensanglanté, souillé et écorché et déchiré la face, les tempes du Seigneur. Use donc à présent de couronnes de laurier, de myrte, d'olivier et autres feuilles d'arbres qui sont excellents et célèbres, ou de ce qui est plus en usage, des rosés à cent feuilles choisies aux jardins de Midas, et de toutes sortes de lis et violettes, peut-être encore de perles et d'or, pour imiter la couronne qui fut donnée par après Jésus-Christ, pour ce qu'après avoir goûté le fiel, il suça le miel, et ne fut point salué par les anges roi de gloire, qu'il n'eût été mis en la croix ignominieusement comme roi des Juifs, et n'a été couronné de gloire et d'honneur qu'après avoir été premièrement rabaissé par son père un peu au dessous des anges. Que si pour ces choses tu lui dois ta tête, rends-la-lui si tu peux, de même et en même sorte en laquelle il a offert la sienne pour la tienne. Au moins ne te couronnes pas de fleurs, si tu ne peux d'épines, car tu ne le peux pas de fleurs.

XV. Garde sans souillure ce qui appartient à Dieu, il le» couronnera s'il veut ; mais à mieux dire il le veut et nous y conduit quand il dit : « A celui qui vaincra je lui donnerai la couronne de vie. » Sois donc fidèle jusqu'au tombeau, combats comme lui un bon combat, tu obtiendras la couronne que l'apôtre espère à bon droit lui être réservée. L'ange monte sur un cheval blanc pour vaincre, prend la couronne de la victoire ; l'autre se pare et damasquine des vives couleurs de l'arc céleste. Les prêtres sont les premiers assis avec des couronnes, et même le Fils de l'homme reluit, au dessus de la nue, des filets rayonnants du même or. Si l'image est telle en vision, quelle sera la vérité en représentation ? Regarde et flaire les fleurs tant que tu voudras ; mais ne condamne point à ces petits chapelets et guirlandes ton chef, qui est destine pour le |p259 diadème, car Jésus-Christ nous a faits rois à Dieu son père. Qu'as-tu à démêler avec une fleur périssable ? Tu as la fleur de la verge de Jessé, sur laquelle toute la grâce de l'esprit divin a reposé. C'est une fleur éternelle incorrompue, non flétrissable, laquelle le bon soldat choisissant s'est promu et avancé de grade en grade aux dignités célestes. Rougissez, vous soldats romains, compagnons de celui notre chrétien, qui n'a voulu prendre la couronne, et qui ne mérite d'avoir l'honneur d'être juge de lui, mais de quelque soldat de Mithra, lequel initié et reçu en sa milice dans une caverne, vrai et propre séjour du prince des ténèbres, reçoit, comme un bateleur qui veut contrefaire et contre-imiter le martyre, la couronne avec une épée, puis, l'ayant mise sur sa tête, est commandé la faire choir de sa main et peut-être de la rejeter par dessus l'épaule, en disant que Mithra est sa couronne. Et depuis ce jour-là, il n'est plus couronné, ce qui lui sert de marque de son approbation si d'aventure on veut faire épreuve en quelque lieu de son serment, et tout soudain il est tenu pour soldat de Mithra, s'il rejette la couronne et s'il a dit qu'elle était en son Dieu. Reconnaissons les ruses et desseins de Satan, qui affecte quelque chose du service de Dieu pour nous confondre et juger par la foi et religion des siens.


1. p.236 1 On nous saura gré d'avoir conservé cette ancienne traduction dans son intégrité : toute correction moderne lui eût fait perdre cette naïveté originale qui fait tout son charme.

2. Note: Cettes divisions ne sont pas dans le texte de Charpentier (pourquoi pas?).  J'ai les inserté comme dans FC 40.  Roger Pearse.


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