TERTULLIEN
LIVRE II.
[Traduit par E.-A. de Genoude]
I. Dernièrement, compagne bien-aimée dans le service du Seigneur, je vous exposais, autant du moins que j'en étais capable, les règles que doit suivre une sainte femme dont le mariage est rompu, n'importe comment. Aujourd'hui, eu égard à la fragilité humaine, averti d'ailleurs par l'exemple de quelques femmes qui, trouvant dans le divorce ou le rappel d'un époux, l'heureuse occasion de la continence, non-seulement répudièrent un si grand bien, mais ne voulurent pas même se souvenir de la loi qui ordonne « de se marier dans le Seigneur, » revenons à des conseils plus doux. Ainsi moi, qui tout à l'heure vous exhortais à persévérer dans le veuvage, je me sens l'esprit troublé par la crainte que, vous parler des secondes noces, ce ne soit vous pousser sur la pente glissante d'un second mariage. Si vous êtes entièrement sage, vous embrasserez certainement le parti qui vous est le plus utile. Mais le veuvage est pénible; il ne va pas sans de grands obstacles, œuvre laborieuse s'il en fut jamais, j'avais différé de vous le dire, et je ne vous en parlerais pas encore, si je ne savais de combien de sollicitudes il est environné. En effet, plus la continence, gardienne sévère du veuvage, est méritoire, plus nous sommes dignes d'excuse si le |346 fardeau est trop lourd pour nos forces. Aux choses difficiles une facile indulgence. Mais plus il est facile « de se marier dans le Seigneur, » puisque cela dépend de notre volonté, plus nous sommes coupables de ne pas faire ce qui est en notre pouvoir.
Ajoutez à cela que l'Apôtre, en disant: « Je voudrais que vous fussiez tous en l'état où je suis moi-même, » conseille aux personnes veuves ou à celles qui ne sont pas mariées de rester dans l'état où elles sont, mais qu'en disant, « pourvu seulement que ce soit dans le Seigneur, » alors ce n'est plus un conseil qu'il donne, mais un ordre formel. Ici donc, si nous n'obéissons pas, nous nous jetons dans le péril, parce qu'on peut négliger un conseil; un précepte, jamais. D'une part, simple avertissement soumis au choix de la volonté; de l'autre, puissance qui commande et obligation qui enchaîne. Ici, liberté qui use de son droit; là, orgueil qui se révolte.
II. Ainsi, lorsqu'il y a peu de jours, une chrétienne se mariait hors de l'Eglise pour s'unir à un infidèle, et que ma mémoire me rappelait d'autres scandales semblables, étonné de l'audace de ces femmes et de la perversité de leurs conseillers, parce que l'Ecriture n'autorise aucune de ces alliances, je me suis dit à moi-même: Elles s'appuient probablement sur la première Epître aux Corinthiens, où il est écrit: «Si un mari fidèle a une femme qui soit infidèle, et qu'elle consente à demeurer avec lui, qu'il ne la quitte point. Et si une femme fidèle a un mari qui lui soit infidèle, et qu'il consente à demeurer avec elle, qu'elle ne se sépare point de son mari. Car le mari infidèle est sanctifié par la femme fidèle, et la femme infidèle est sanctifiée par le mari fidèle; autrement vos enfants seraient impurs. » De cette injonction qui, dans son sens naturel, ne concerne que les fidèles déjà engagés dans le mariage, conclurait-on par hasard qu'il est permis d'épouser des infidèles? Plaise à Dieu que quiconque l'interprète ainsi ne cherche pas à se |347 tromper soi-même! D'ailleurs il est évident que ce texte s'adresse à ceux que la foi a surpris dans un mariage contracté avec un infidèle, comme l'indiquent clairement ces mots: « Si un mari fidèle a une femme infidèle, » dit-il, et non pas: Si «quelqu'un prend une femme infidèle. » L'Apôtre nous montrait par là que l'homme déjà uni à la femme infidèle doit demeurer avec son épouse, après que la grâce de Dieu l'a converti, de peur sans doute que le Chrétien qui venait d'embrasser la foi ne se crût obligé de quitter une femme qui lui était devenue pour ainsi dire étrangère par la croyance. Voilà pourquoi il donne ensuite la raison de ce précepte: « Le Seigneur nous a appelés dans la paix, dit-il; l'infidèle peut être gagné par le fidèle dans le lien du mariage. » D'ailleurs, le verset qui termine confirme l'exactitude de cette interprétation. « Que chacun, dit-il, demeure dans la vocation où il était quand Dieu l'a appelé. » Qui sont ceux qui sont appelés? Les Gentils, j'imagine, et non pas les infidèles. S'il n'avait prétendu parler que du mariage des fidèles, il eût permis aux saints de se marier indistinctement. S'il l'avait permis, jamais il n'eût imposé une restriction en contradiction si évidente avec sa première déclaration: « La femme dont le mari meurt est libre; qu'elle se marie à qui elle voudra, pourvu que ce soit dans le Seigneur. »
Ici point de discussion assurément. Car l'Esprit saint lui-même a prévu toutes les objections. En effet, de peur que nous n'abusions de ces mots « qui elle voudra, » il ajoute aussitôt: « pourvu que ce soit dans le Seigneur, » c'est-à-dire dans le nom du Seigneur, ce qui signifie indubitablement dans le nom chrétien. Ainsi l'Esprit saint, qui aimerait mieux que les veuves et celles qui ne sont pas encore mariées, gardassent la continence, et nous exhorte à suivre son exemple, ne permet les seconds mariages que « dans le Seigneur, » seule condition qu'il attache à l'infraction de la continence. « Pourvu que ce soit dans le Seigneur, » dit-il. Pourvu que ajoute à la loi une |348 grande force. Pressez cet oracle! torturez-le tant que vous voudrez, il demeure éminemment obligatoire; il ordonne et il conseille; il prescrit et il exhorte; il supplie et il menace. Sentence claire et formelle! sentence éloquente par sa brièveté même! Ainsi procède la parole divine, qui veut être pratiquée aussitôt que comprise. Qui, en effet, ne comprendra facilement combien de dangers et de blessures pour la foi l'Apôtre a voulu prévenir en défendant ces sortes de mariages? Il a voulu d'abord qu'une chair sanctifiée ne fût point souillée par celle d'un Gentil.
Mais, dira-t-on, quelle si grande différence y a-t-il entre celui qui est appelé au christianisme pendant qu'il est uni à une infidèle, et celui qui était Chrétien par le passé, c'est-à-dire avant son mariage, pour qu'ils n'aient pas à se prémunir contre la même souillure? pour qu'à l'un il soit interdit d'épouser une infidèle, et qu'à l'autre il soit enjoint de rester avec celle qu'il a? Pourquoi, si le mariage avec l'infidèle est une souillure, celui-ci n'est-il pas séparé comme celui-là est sous le coup d'une défense?
A cela je répondrai, avec l'aide du Saint-Esprit, d'abord que le Seigneur aime mieux que le mariage ne soit pas contracté, que de le voir dissoudre ensuite. D'ailleurs il défend le divorce, si ce n'est dans le cas d'adultère; encore recommande-t-il de part et d'autre la continence. L'un est donc dans l'obligation de rester avec sa femme quoique infidèle, l'autre n'a pas même la liberté de l'épouser. En second lieu, si, conformément aux saintes Ecritures, ceux que la foi chrétienne surprend dans un mariage infidèle, sont exempts de souillures, parce qu'ils sont alors la sanctification de l'époux infidèle, il est alors hors de doute que ceux qui sont sanctifiés avant le mariage, s'ils viennent à s'unir à une chair étrangère, ne peuvent sanctifier une chair dans laquelle la foi ne les a point trouves. La grâce de Dieu ne sanctifie que ce qu'elle trouve. Qu'arrive-t-il? Ce qu'elle ne sanctifie point est immonde; ce qui est immonde n'a rien de commun avec la |349 sainteté, sinon pour la souiller de ses poisons et lui donner la mort.
III. S'il en va ainsi, les fidèles qui s'unissent à des femmes païennes sont certainement coupables de fornication, et doivent être retranchés de toute communion avec l'assemblée chrétienne, suivant les paroles de l'Apôtre: « Vous ne mangerez pas même avec de pareils hommes. » Ou bien, oserons-nous présenter au tribunal de Dieu de tels contrats de mariage? Allèguerons-nous pour excuse des engagements qu'il a défendus? Quoi donc? L'union qu'il a interdite n'est-elle pas un adultère? n'est-elle pas une fornication? Croyez-vous que l'admission d'un idolâtre soit une légère profanation du temple du Seigneur? Croyez-vous qu'elle mêle sans crime les membres du Christ aux membres de la femme adultère? Nous ne nous appartenons pas à nous-mêmes, que je sache. « Nous avons été rachetés, et à quel prix? au prix du sang d'un Dieu. » En profanant notre chair, c'est lui que nous profanons par contre-coup. Qu'a donc voulu dire celui qui prétend qu'épouser un idolâtre est une faute, il est vrai, mais des plus légères, puisque d'ailleurs, en laissant de côté la profanation d'une chair consacrée au Seigneur, toute prévarication volontaire est grave aux yeux du Seigneur? Plus il était facile de l'éviter, plus la rébellion est odieuse et criminelle.
Parcourons maintenant les autres périls ou les autres blessures que l'Apôtre a prévus pour la foi, comme je l'ai dit plus haut, et non moins funestes à la chair qu'à l'esprit. Qui peut douter qu'un commerce journalier avec un infidèle n'altère insensiblement la foi? « Les mauvais entretiens corrompent les bonnes mœurs; » à plus forte raison la même table et une société de tous les moments. La femme fidèle est nécessairement obligée de plaire à Dieu. Comment pourra-t-elle « servir à la fois deux maîtres, » Le Seigneur et son époux, et de plus un époux païen? Attaché à un époux païen, elle lui rendra des |350 devoirs de païenne; elle aura pour lui beauté, parure, luxe mondain, caresses honteuses, infâmes complaisances; bien différente des saints chez lesquels le respect ennoblit les obligations du mariage, où tout se passe avec une pudique retenue, comme sous l'œil de la divinité.
IV. Mais à elle de savoir comment elle se conduira vis-à-vis de son époux. Toujours est-il qu'il lui sera impossible de remplir les devoirs religieux, ayant à ses côtés un esclave du démon, fidèle ministre, chargé par son maître d'arrêter la ferveur et la piété chrétiennes. Faudra-t-il se rendre à l'église? il lui donnera rendez-vous aux bains plutôt qu'à l'ordinaire. S'agira-t-il déjeuner? il commandera un festin pour le même jour. Aurez-vous à sortir? jamais les serviteurs n'auront été plus occupés. Quel époux infidèle permettra à sa femme de visiter nos frères de rue en rue, et d'entrer dans les réduits les plus pauvres? Qui souffrirait qu'elle s'arrachât la nuit de ses côtés pour assister aux assemblées de la nuit, lorsque la nécessité l'exigera? Qui la verra d'un œil tranquille découcher à la solennité paschale? Qui la laissera, sans d'horribles soupçons, participer au banquet du Seigneur, si décrié parmi les païens? Enfin, qui trouvera bon qu'elle se glisse dans les cachots pour baiser les chaînes des martyrs, pour laver les pieds des saints, pour leur donner et en recevoir le baiser de la paix? qu'elle partage le pain et le vin, dans les agapes, et qu'elle passe les journées dans la prière? Qu'un frère étranger arrive, quelle hospitalité trouvera-t-il dans la maison d'un étranger? S'il faut donner quelque chose, grenier et cellier, tout sera fermé.
V. Il en est, direz-vous, qui supportent la discipline chrétienne sans la gêner. D'accord; mais voilà précisément le crime: mettre un païen dans la confidence de nos pratiques; livrer à des hommes injustes les secrets de nos mystères; devoir à leur bon plaisir ce que nous faisons. Impossible de dissimuler nos exercices à qui les tolère; ou si nous les lui cachons, parce qu'il ne les tolère pas, alors |351 arrivent la crainte et la défiance. Or, s'il est vrai que Dieu nous prescrit de le servir, sans l'intervention du prochain, comme sans trouble de notre part, peu importe de quel côté vous péchiez, soit en mettant dans le secret votre mari, s'il le tolère, soit en vous jetant dans le trouble, s'il faut vous précautionner contre sa violence. « Ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, est-il dit, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds, et que, se retournant, ils ne vous déchirent. » Vos perles, ce sont vos bonnes œuvres de tous les jours. Plus vous chercherez à les dissimuler, plus vous les rendrez suspectes, plus vous attirerez la jalouse curiosité des Gentils. Je vous le demande, réussirez-vous à vous cacher, lorsque vous faites sur votre lit et sur votre corps des signes de croix, lorsque vous soufflez pour chasser l'esprit impur, lorsque vous vous levez la nuit pour aller prier? Ne s'imaginera-t-il pas que vous pratiquez quelque opération magique? Déroberez-vous à ses regards ce que vous prenez en secret avant toute nourriture? S'il vient à découvrir que c'est du pain, ne supposera-t-il pas que c'est ce pain dont on fait tant de bruit? Et comme il ne peut pénétrer un mystère qu'il ignore, que d'alarmes! que de soupçons! Il ne rêve que meurtre, qu'empoisonnements. Quelques-uns supportent le christianisme, dites-vous; mais dans quel but? pour fouler aux pieds et opprimer leurs femmes; pour s'armer du secret dont ils sont maîtres contre des périls qu'ils redoutent, aussitôt qu'elles auront le malheur de leur déplaire. Ils le supportent, mais pour faire de la dot conjugale le prix de leur silence, et prêts à traîner leur compagne devant le magistrat qui n'épie que l'occasion d'une injustice.
VI. Combien de ces épouses infortunées n'ont reconnu leur fatale imprévoyance qu'aux dilapidations de leur patrimoine, ou au sacrifice de leur foi! La servante de Dieu demeure parmi des occupations étrangères. Que l'année se renouvelle, que le mois recommence, il lui faudra |352 toujours se trouver parmi ces dieux adorés sous le nom de démons, toujours assister à ces solennités en l'honneur des princes, toujours respirer des parfums impurs. Elle sortira d'une maison, ornée de lauriers et de flambeaux, que l'on prendrait volontiers pour un repaire honteux, récemment ouvert à la prostitution publique. Elle s'assiéra, avec son époux, parmi des compagnons de débauche, au milieu des tavernes; elle servira les hommes de la prévarication, elle qui servait autrefois les saints; et elle ne reconnaîtrait pas les préludes de sa condamnation à venir dans les hommages qu'elle rend à ceux qu'elle est destinée à juger vers la fin des temps! De quelle main idolâtre attend-elle la nourriture mystérieuse? à quelle coupe trempera-t-elle ses lèvres? que chantera dans un banquet son mari païen? que chantera-t-elle elle-même pour lui plaire? Ce qu'elle entendra? des hymnes de théâtre, des chansons de taverne, des paroles impudiques. Mais le souvenir de Dieu, mais l'invocation de Jésus avant le repas, mais les passages des Ecritures saintes pour nourrir la foi, mais l'Esprit saint, mais les rafraîchissements de l'ame, mais la bénédiction au lever de la table, où sont-ils? Entre époux si différents, tout devient étranger, tout prend un caractère hostile, tout est matière à condamnation; tout est déchaîné par l'ennemi des hommes pour ruiner le salut.
VII. Que de pareils obstacles environnent les épouses chrétiennes qui demeurent dans un lien infidèle, après leur vocation à la foi, rien de plus vrai; mais du moins elles ont leur excuse devant Dieu, qui les a surprises dans cette union, puisqu'il « leur fait une loi de la continuer, et parce qu'elles sont fortifiées et reçoivent l'espérance de gagner l'infidèle. » Si un mariage de cette espèce est agréable à Dieu, pourquoi ne finirait-il pas par être heureux et affranchi des tortures, des angoisses, des obstacles et des souillures de la passion ou de l'idolâtrie, un des deux époux étant déjà sous le patronage de la grâce |353 divine? En effet, celle femme, appelée du milieu des infidèles à la foi par les prédications de quelque personnage éminent, a reçu, avec le christianisme, une vertu d'en haut qui la rend respectable à son époux païen; il n'ose plus gronder, s'enquérir, surveiller si curieusement. Il a senti les merveilles de Dieu; il a vu les expériences de la grâce; il sait que sa compagne est devenue meilleure; une crainte respectueuse a fait de lui un candidat de la foi. Ainsi sont gagnés plus facilement ceux qu'a unis la grâce de Dieu.
Mais qu'il en arrive bien autrement à l'épouse qui s'est jetée volontairement et. de gaîté de cœur dans un mariage défendu? Ce qui déplaît à Dieu l'offense, ce qui l'offense est l'œuvre du démon, et ne peut amener que des malheurs: ne l'oubliez pas. Il n'y a que les plus pervers d'entre les idolâtres qui supportent le nom chrétien. S'ils paraissent surmonter un moment leur haine, c'est pour chasser l'épouse qu'ils ont trompée, pour envahir sa fortune ou ruiner sa foi. Non, jamais pareille union ne peut être heureuse. Voulez-vous savoir pourquoi? Tandis que le démon signe cette alliance, le Seigneur la condamne.
VIII. Si nous faisons peu de cas de la sagesse divine qui défend, voyons si la sagesse humaine ne lient pas le même langage. Parmi les païens, les maîtres les plus rigides et les plus strictement attachés au maintien de la discipline n'empêchent-ils pas leurs esclaves de contracter des mariages avec des étrangers! Pourquoi cette prohibition? De peur qu'ils ne se jettent dans la licence et la débauche, ne négligent leur service, et n'introduisent des étrangers dans la maison de leur maître. Ne condamne-t-on pas à une servitude plus dure ceux qui, après sommation du maître, continuent de vivre avec des esclaves étrangers! Eh quoi! les règlements de la terre enchaîneront-ils plus étroitement que les injonctions du ciel? La femme idolâtre qui s'unit à un esclave étranger perdra sa liberté, et la femme de la tribu sainte épouserait un |354 serviteur du démon sans être bannie de la communion de l'Eglise!
Niera-t-elle qu'un tel mariage lui a été défendu au nom du Seigneur par la bouche de l'Apôtre? Où trouver la cause de cette démence, sinon dans la pusillanimité de cette foi qui incline toujours à la concupiscence et aux joies profanes? Ces tristes scandales viennent surtout des femmes opulentes; car, plus une femme opulente s'enfle de l'orgueil de son rang, plus il lui faut une maison vaste et spacieuse, espèce de carrière où son luxe prenne librement l'essor. Les églises ont peu d'attraits pour de pareilles femmes. Un riche, dans la maison du Seigneur, est une espèce de prodige; et, s'il s'en trouve quelqu'un, le célibat a bientôt vaincu ses forces. Que feront donc ces ambitieuses? Elles demanderont à Satan un époux qui leur fournisse des litières, des bêtes de somme, et des parfumeurs, dont la haute stature trahit une origine étrangère; car un époux chrétien, fût-il riche, leur refuserait sans doute cette pompe indécente.
Je vous en conjure, retracez sous vos yeux les exemples des païennes. La plupart de celles qu'illustre la naissance ou qui possèdent une grande fortune, choisissent pour époux des hommes obscurs, pauvres, et sans autre recommandation que leur vigueur pour la débauche, ou une mutilation qui se prête mieux à sa licence et à l'infamie. D'autres vont plus loin: elles s'unissent à leurs affranchis ou à leurs esclaves, bravant ainsi l'opinion publique. Peu leur importe, pourvu qu'elles aient un simulacre d'époux qui ne gêne en rien leur liberté. Et une chrétienne rougirait de s'unir à un chrétien sans fortune qui l'enrichirait de toute l'abondance de sa pauvreté! Car si « le royaume des cieux n'appartient point au riche, » il faut bien qu'il soit au pauvre. La femme riche trouvera davantage dans un époux indigent. Quelle dot plus magnifique que celle de l'éternité? Qu'elle s'estime donc trop heureuse de devenir son égale ici-bas, elle qui peut-être ne le sera point là-haut. |355
IX. Faut-il tant d'hésitations, tant de recherches, tant de délibérations pour décider si la pauvreté de ce chrétien, auquel Dieu a confié son abondance, répond à votre richesse? Où trouver des paroles pour exprimer toute l'excellence et la félicité d'un mariage chrétien? L'Eglise en dresse le contrat, l'oblation divine le confirme, la bénédiction pastorale y met le sceau, les anges qui en sont témoins l'enregistrent, et le Père céleste le ratifie. Douce et sainte alliance que celle de deux fidèles portant le même joug, réunis dans une même espérance, dans un même vœu, dans une même discipline, dans une même dépendance! Tous deux, ils sont frères, tous deux serviteurs du même maître, tous deux confondus dans une même chair, ne forment qu'une seule chair, qu'un seul esprit. Ils prient ensemble, ils se prosternent ensemble, ils jeûnent ensemble, s'enseignant l'un l'autre, s'encourageant l'un l'autre, se supportant l'un l'autre. Vous les rencontrez de compagnie à l'église, de compagnie au banquet divin. Ils partagent également la pauvreté et l'abondance, la fureur des persécutions ou les rafraîchissements de la paix. Nuls secrets à se dérober, ni à se surprendre mutuellement; confiance inviolable, empressements réciproques; jamais d'ennui, jamais de dégoûts. Ils n'ont pas à se cacher l'un de l'autre pour visiter les malades, pour assister les indigents; leur aumône est sans disputes, leurs sacrifices sans scrupules, leurs saintes pratiques de tous les jours sans entraves. Chez eux point de signes de croix furtifs, point de timides félicitations, point de muettes actions de grâces. De leurs bouches, libres comme leurs cœurs, s'élancent les hymnes pieux et les saints cantiques. Leur unique rivalité, c'est à qui célébrera le mieux les louanges du Seigneur.
Voilà les alliances qui réjouissent les yeux et les oreilles de Jésus-Christ, celles auxquelles il envoie sa paix. « Là où il se trouve deux Chrétiens, il se trouve lui-même; » là où il se trouve lui-même, l'ennemi de notre salut est |356 absent. Telles sont les instructions que l'Apôtre nous a laissées dans cette courte parole. Compagne bien-aimée, méditez-la, si vous en avez besoin. Qu'elle serve surtout à vous détourner de l'exemple de quelques femmes imprudentes. Il n'est ni permis ni expédient aux fidèles de contracter d'autres mariages.
Traduit par E.-A. de Genoude, 1852. Proposé par Roger Pearse, 2005. Text grec en unicode.
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