UN BAS-RELIEF MITHRIAQUE DU LOUVRE

Parmi les morceaux de sculpture, antiques, qui sont entrés au Musée du Louvre pendant la guerre, un bas-relief mithriaque mérite de retenir notre attention par une représentation exceptionnelle, qui le distingue des images ordinaires, si nombreuses, du dieu tauroctone. D'après les renseignements qui ont pu être obtenus sur sa provenance, ce bas-relief de marbre blanc1 a été découvert il y a une vingtaine d'années à Fiano-Romano, un village situé sur une hauteur dominant la rive droite du Tibre, en amont de Rome. Il était couché dans un petit réduit de briques, où il devait avoir été intentionnellement caché pour le soustraire aux outrages des ennemis du paganisme, et cette circonstance explique son parfait état de conservation : l'épiderme du marbre n'a nulle part été entamé, et, sur les manteaux des personnages figurés, des traces de couleur rouge sont encore visibles2. Le travail est d'une qualité supérieure à la médiocrité habituelle de la sculpture mithriaque. Il est l'Ã..."uvre d'un artiste habile à manier le trépan et il paraît remonter au IIe siècle de notre ère.

La face antérieure (fig. 1) nous offre une reproduction de la scène bien connue de Mithra immolant le taureau dans la grotte sacrée, avec le chien, le serpent et le scorpion à leur place accoutumée. La queue, dressée dans un spasme, de la victime moribonde, se termine par une touffe d'épis, le grain qui, selon la tradition mazdéenne, doit naître de la moelle épinière de l'animal expirant3. Dans les coins supérieurs, les bustes

1. Dimensions : 1. 0 m. 67 ; h. 0 m. 62 ; ép. 0 m. 16 ; socle de travertin : 1. 0 m. 76 ; h. 0 m. 10 ; ép. 0 m. 50.

2.  Seul le pouce de la main droite du Soleil, au revers de la plaque, a été brisé.

3.  Monuments rel. aux mystères de Mithra (abrégé ici M. M. M.), t. I, p. 186.


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de la Lune et du Soleil se détachent sur un fond rupestre. Le second a la tête entourée de douze rayons, allusion aux signes du zodiaque, qui président aux mois. Un treizième,

Fig. 1. -- Bas-relief de Fiano-Romano (face antérieure), au Louvre.

démesurément long, se dirige vers Mithra, comme pour l'illuminer d'une grâce céleste1. Le corbeau, perché près d'Hélios, se penche vers le sacrificateur, à qui il doit apporter un ordre du dieu2. Rien de tout ceci n'est insolite.

1.  M. M. M., I. p. 193.

2.  M. M. M., I, p. 192, p. 305.


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Mais le bas-relief de Fiano-Romano appartient au petit nombre de ceux dont le revers est sculpté, et qu'au cours de quelque cérémonie liturgique, on faisait pivoter sur eux-mêmes pour présenter successivement aux fidèles leurs deux faces. Le plus souvent, la face postérieure porte la scène du banquet1, preuve de la valeur religieuse que les masses y attachaient, puisque cet épisode de la légende mythologique est apparié au fait capital de la mise à mort du taureau. L'étude des monuments où ce banquet est figuré prouve, en effet, qu'il était la conclusion de la mission terrestre de Mithra, avant que celui-ci fà»t emporté vers le ciel sur le quadrige du Soleil2.

La suite des actions qui, suivant le ἱρὸς λόγος des mithriastes. s'accomplissaient après la mort du Taureau cos-mogonique. peut être reconstituée en quelque mesure par l'étude comparée des bas-reliefs. Ils nous montrent d'abord, à Heddernheim, Mithra et le Soleil debout derrière le corps du taureau étendu sur le sol. Ils reà§oivent le raisin et les autres fruits qui sont nés des diverses parties de l'animal immolé3. A Rome, un bas-relief, autrefois à la Villa Altieir. figure le dieu invincible armé de son couteau, debout sur sa victime abattue ; celle-ci est entourée de plantes et d'animaux, représentants de la flore et de la faune que son trépas a fait naître4. Un tableau des peintures de Doura-Europos5 met sous nos yeux les deux acolytes habituels de Mithra

1.  Bas-relief de Konjica : M. M. M.. I, p. 175, fig. 10. -- Bas-relief trouvé à Rome, dans le Camp Prétorien : Rev. archêoL, 1902. XXI. p. 12; Bull, comun., 1912, XL. p. 243. -- Probablement le bas-relief du Val di Non : M. M. M., II, p. 266. n° 114, fig. 107, -- A Trou (l'ancienne Caetobriga. sur la baie de Sétubal, en Portugal), la scène du banquet est contiguà« à celle de l'immolation du taureau et de même grandeur : Marques da Costa, 0 Archeologo Portuguès, 1930, XXIX. p. 5 ss., fig. 26. -- Pour le bas-relief de Heddernheim, cf. infra, n. 3.

2.  M. M. M., I, p. 175 et 306,

3.  M. M. M., I, p. 196 : II, mon. 251, pl. VIII.

4.   Ibid., II, p. 220, n° 54. Ce bas-relief, retrouvé dans le casino de l'ancienne Villa Altieri, viale Manzoni, a été transporté par le Mls de Villefranche dans son appartement, voisin de la villa, et il m'a été possible de l'y examiner à loisir.

5.   Excavations al Dura-Europos, Report of seventh season (1933), 1939, p. 107, pl. XVIII.


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transportant le cadavre de la bête prodigieuse, suspendu à une longue perche, vers la grotte sacrée où aura lieu le repas mythique.

Fig. 2. -- Bas-relief de Fiano-Romano (face postérieure).

Pour ce banquet divin, le sculpteur de la plaque de Fiano-Romano a imaginé une composition qui se distingue de toutes les autres représentations similaires (fig. 2). Au milieu du champ, s'allonge la dépouille du taureau, dont la tête cornue est bien reconnaissable à droite et dont une patte postérieure -- ou pour mieux dire son cuir terminé par un sabot -- pend verticalement jusqu'à terre. Sur cette peau, qui doit recouvrir


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une couche en guise de tapis, deux personnages sont à demi étendus, le torse redressé, dans l'attitude ordinaire des convives grecs ou romains. A droite, Mithra, en costume oriental, tient de la main gauche une torche allumée et allonge horizontalement le bras droit qui passant derrière le dos de son commensal, fait ainsi un geste d'affection pour lui1. A gauche, Hélios, la tête nimbée et radiée, est vêtu d'un simple manteau, agrafé sur l'épaule droite par une fibule ronde et recouvrant l'épaule et le bras gauche, dont la main, appuyée sur la couche, tient un fouet2. La droite est tendue vers un dadophore, qui est debout dans le coin gauche et présente un rhyton, contenant le vin, breuvage sacré qui est un succédané du sang du taureau3. L'autre dadophore, dans le coin opposé, tout en empoignant de la main gauche l'extrémité de sa torche, s'avance vers un autel rond, qu'entoure un serpent crèté, et il abaisse de la main droite un caducée vers le sol, d'où jaillissent des flammes ou de l'eau -- nous reviendrons dans un instant sur ce point. Dans le coin gauche supérieur, un buste de la Lune, un croissant derrière les épaules, est entouré, semble-t-il, d'un nuage semi-circulaire. La déesse nocturne paraît se détourner de l'action qui se passe auprès d'elle, mais l'on aurait tort, croyons-nous, d'attacher à son geste une signification. Son buste occupe généralement le coin droit des bas-reliefs -- comme sur la face antérieure de notre plaque -- et le sculpteur aura reproduit une image que lui fournissait son modèle, sans la modifier malgré son changement de place.

La figuration, ici bien distincte, de la peau du taureau sur la couche où les deux divinités festoient, permet de

1.   Même geste, bien distinct sur le bas-relief de Troïa-Caetobriga, cf. infra, p. 191, et fig. 4.

2.  Pour le fouet, comme attribut du Soleil, aurige céleste, sur les monuments mithriaques, cf. M. M. M., I, p. 123. n. S ; 124, n. 9. II, p 336, mon. 235, fig. 213 ; p. 365, no. 251. pl. VIII.

3.  Boundahish, XIV, 1 (p. 46 West) : "From the blood (du taureau mourant) arose the grape-vine, from which they make the wine. On this account wine abounds with blood". cf. Zâd-Sparam, IX, 3 (p. 173 West) : M. M. M. I, p. 146 sqq. 197.


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reconnaître avec certitude ce même motif sur d'autres monuments, où il n'avait pas été aperà§u. On le retrouve sur les bas-reliefs de Konjica1, de Sarrebourg2, de Dieburg3, probablement dans un des tableaux de Doura-Europos4, et sur le fragment du Camp Prétorien à Rome5. Nous voyons ici se perpétuer un rite, remontant à un stade très primitif de la religion, et qui est resté en usage jusqu'à nos jours dans le culte de maint peuple non civilisé6. Il s'inspire de cette croyance que la peau conserve une partie de l'énergie vitale qui animait l'animal sacrifié et qu'elle communique les qualités de la victime au prêtre ou au fidèle qui se revêtent de cette dépouille, s'y couchent ou se mettent simplement en contact avec elle. Le cuir du taureau écorché doit ainsi faire participer les deux commensaux qui s'étendent sur lui, à la puissance merveilleuse de l'animal créateur de la vie ; et bientàÂ't l'un et l'autre pourront s'élever vers le séjour des Immortels.

Que le rhyton, que tiennent souvent en main les convives du banquet mithriaque, soit ici présenté à Hélios par un des dadophores, n'a rien qui puisse nous surprendre. Cet acolyte de Mithra reste dans son ràÂ'le de serviteur, en remplissant ici la fonction d'échanson du symposion divin7. Mais il en est autrement de l'action accomplie par le second porte-flambeau. Elle ne se retrouve nulle part ailleurs, et figure un épisode jusqu'ici inconnu de la légende mithriaque. Dès lors, son interprétation ne pourra être que conjecturale. Il semble que

1.   Cf. supra, p. 185, n. 1.

2.  M. M. M., II, p. 515 et pi. IX ; Espérandieu, Bas-reliefs de la Gaule, VI, p. 32, n° 4563.

3.   Fr. Behn. Das Mithrasheiligtum von Dieburg, 1928, p. 16, scène 11 et pl. I.

4.   Excav. of Doura Europos. Report VII, 1939, p. 107 sqq.

5.   Cf. supra, p. 185, n. 1.

6.  Ce rite a été étudié en particulier par Frazer, Golden Bough3, Spirits of the corn, 1912, II, 169 sqq., et Adonis, Attis, Osiris3, p. 246 ; Robertson-Smith, Religion of the Sémites3, 1894, p. 435 sqq.: cf. Hastings, Encycl. of Religion, XI, p. 580, s. v. « Skin » et VI, p. 50, s. v. « Fleece ».

7.  Cf. le bas-relief de Konjica, où c'est un des mystes à'º7njpsToGvTSৠ(Porphyre, De Abstin., IV, 16) à qui est dévolue cette fonction.


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le dadophore ait frappé de son caducée le sol de la grotte et en ait fait, nous l'avons dit, jaillir des flammes ou sourdre des eaux. Le caducée n'a pas ici une fonction spécifiquement mithriaque1, mais il est resté ce qu'il était à l'origine2, une baguette magique dont on se servait pour produire des effets surnaturels. S'il allumait un feu. interprétation que pouvait recommander un premier examen de la pierre, le sujet représenté resterait énigmatique. Mais les lignes sinueuses gravées dans le marbre peuvent aussi figurer l'écoulement d'un liquide, et alors le mystère s'éclaircit, au moins en partie, car Porphyre nous apprend que l'antre consacré à Mithra dans les montagnes de la Perse était « fleuri et arrosé de sources »3.

La comparaison avec une coupe de terre sigillée, mise au jour à Trêves (fig. 3), nous permet d'aller plus loin4. Malgré la petitesse des reliefs qui en décorent le fond, on distingue nettement, à la partie supérieure, Mithra et Sol attablés, celui-ci reconnaissable à sa couronne radiée, l'autre à son bonnet phrygien. Le soleil lève de la main droite le rhyton qu'il va vider. Mithra reà§oit un autre rhyton de la main d'un acolyte servant d'échanson, comme à Fiano. Le second serviteur, qui lui répond de l'autre càÂ'té, tient de la main gauche une serviette, et offre de la droite un pain rond, semblable à ceux qui sont posés sur la table, avec un plat contenant peut-être un poisson. Plus bas, est couché un lion gigantesque ; au-dessous, un serpent vient boire dans un cratère, et de part et d'autre, sont penchés deux oiseaux, un corbeau et un coq.

1.   La présence du caducée sur d'autres monuments mithriaques s'explique par des raisons qui ne sont pas valables ici : attribut de Mithra identifié avec Mercure comme dieu psychopompe ; cf. Haas. Bilderatlas zur Religionsg., XV, Rel. des Mithras, p. XIII. n° 27. -- Donné pour le même motif à Phosphoros dans la scène de l'ascension de Mithra, M. M. M.. II, p. 337, n° 235 c. -- Comme attribut de Mercure sur une statue de I'Eon panthée : M. M. M., I, p. 82.-- Emblème de la planète Mercure dans une mosaïque d'Ostie, C. R. Ac. Inscr., 1945, p. 416.

2.   Cf. Saglio-Pottier, Dict. Ant., s. v. Mercurius, p. 1807 sqq. ; De Waele dans Roscher, Lexik, s. v. « Zauberstab », p. 547 sqq.

3.   Porphyre. De antro Nympharum, 5 : SîrïjXaiov à vOiQpàÂ'v xal TtfQyà ৠà«xov-

4.   Siegfried Löschcke, dans Trierer Heimatbuch, Festschrift zur Rheinischen Jahrtausend Feier, Trêves, 1925, p. 322 sqq.


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Fig. 3. -- Coupe de terre sigillée, trouvée à Trêves.

Löschcke a déjà expliqué ce groupe comme représentant les quatre éléments : suivant le symbolisme mithriaque. le lion est le feu, le serpent buvant dans le cratère est la terre que fertilise l'eau qu'elle absorbe, et les oiseaux sont l'air où ils volent. Cette interprétation se trouve corroborée par une décou-


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verte faite à Ostie dans un mithréum déblayé récemment. Devant l'autel du feu placé au fond du temple, la mosaïque du pavement groupe un serpent sortant d'une fente d'un rocher, un vase et un oiseau, qui sont les emblèmes des trois autres éléments1.

Ainsi s'expliquerait aussi la composition du marbre de Fiano-Romano : l'eau jaillissant à càÂ'té de l'autel où s'allumera le feu, et qu'entoure le serpent, c'est-à -dire la terre. L'air est ici absent, peut-être parce qu'il a la propriété d'être invisible2.

On se demandera pourquoi ces emblèmes cosmiques ont été adjoints à la scène du banquet. La raison en est que la grotte, où est célébré celui-ci, était regardée comme une image du monde, dont sa voà»te était le firmament ; et l'on se plaisait à y figurer les symboles des éléments dont ce monde est composé3.

Nous reproduisons encore (fig. 4) le bas-relief peu connu de Caetobriga en Lusitanie4, dont les ressemblances comme les divergences sont instructives pour l'intelligence des monuments que nous venons de décrire. A càÂ'té de la scène du Mithra tauroetone. dont une faible portion est conservée, est reproduite celle du banquet. Devant la couche, nous retrouvons Mithra et Sol, qui tiennent chacun dans la main gauche le rhyton; dans le coin de droite, un dadophore, abaissant sa torche et portant une aiguière, s'apprête, semble-t-il, à puiser, comme échanson. la liqueur contenue dans un grand vase à deux anses, qu'entoure de ses replis un gros serpent, qui y plonge la tête pour s'abreuver. L'autre dado-

1.  Cf. C. r. Acad. Inscr.. 1945, p. 415. Une tablette de plomb des Cavaliers danubiens » (cf. Rev. archéol.. 193S. p. 67 sqq.). conservée au Musée d'Agram, nous présente de même une scène de repas, et. au-dessous, un cratère qui a, à sa droite, un serpent et un coq, à sa gauche un lion. Plus haut, un sacrificateur écorche un bélier suspendu à un arbre. Cf. M. Rostovtzeff, Une tablette votive Thraco-milhriaque (Mèm.savants étrangers... Acad. Inscr., XIII, 1923. p. 386, pi. II, 1) ; Saxl, Mithras, fig. 60 et p. 20.

2.  Cf. notre Symbolisme funéraire, p. 125.

3.  Porphyre, De antro Nymph., 6 : ElxàÂ'vx ©épovroৠtou cîrrjXatou tou xoar;aou ttov Sa è'vfoৠ(jijtx^oXa ©epàÂ'vrov twv xoaauc&v oToi/eîtov ; cf. M. M. M., I, p. 398,  360.

4.  Cf. supra, p. 185, n. 1.


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phore a laissé tomber sa torche à terre, pour saisir à deux mains (si je déchiflfre bien la photographie), un plat où sont disposés des pains, à moins qu'il ne tienne un grand rhyton. Le Soleil, comme sur notre bas-relief de Fiano. abaisse la main droite ouverte pour recevoir cette offrande.

La multiplication dans ces dernières années des images du repas mythique, exécutées à grande échelle par le pinceau ou le ciseau, à Doura-Europos sur l'Euphrate à Troïa en Portugal, dans le mithréum de Santa-Prisca à Rome, enfin à Fiano-Romano ont achevé de prouver l'importance que la théologie mithriaque attachait à ces agapes divines, que reproduisait dans la liturgie le banquet des mystes. Le sacrement qui devait assurer aux initiés l'immortalité était accompli en commémoration de la cène dont Mithra et le Soleil avaient jadis donné l'exemple : et les éléments de cette cène, le pain et le vin servis aux « participants » (μετέχοντες), représentaient mystiquement la chair et le sang du Taureau, que les deux divinités associées avaient jadis consommés. Saint Justin et Tertullien voient dans ces repas mithriaques une imitation satanique de la communion chrétienne1. L'apologiste grec, rappelant comment fut instituée l'eucharistie, finit par observer que les démons pervers l'ont imitée dans les mystères de Mithra. et il fait allusion à des formules rituelles qui étaient prononcées sur le pain et la coupe présentées au myste lors de son initiation ; elles devaient offrir quelque ressemblance avec les paroles prononcées par Jésus dans la dernière Cène2.

Un passage étrange d'une Ã..."uvre tardive vient peut-être suppléer à la réticence de Justin, qui s'est fait scrupule de reproduire les formules païennes. Un manuscrit arabe en caractères syriaques (karshouni) de la Bibliothèque de Birmingham3

1. Tertullien. De praescr. haeret.. 40 : Mithra celebrat et panis oblationem et imaginent resurrectionis inducit. »

2. Justin. Apol. I, 66 : "Oirsp xal èv toïৠto5 MîàÂ'px [/.uerrrjpîotৠTrapsà à»ixav yivsaGxi ol rovrépol SaljjLOvsà§- àÂ'~i yà p apnroৠxai -crr/jpiov à»Sa-roৠtî9stxi èv txïৠtoO 'j.'jo[i.svo'j teXstxTৠu.ït' I-iXovcùv Ttvwv Tj èTuaraaGs rt ;xa6sïv Sà»vaoàÂ's.

3. A. Mingana, Catalogue of the Mingana collection of manuscripts (Birmingham, Selley Oak colleges library) Cambridge, 1933. Ms. Mingana, n° 142, ff. 48 à 61. -- Notre attention a été attirée sur ce manuscrit par le Père Vosté, dont

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contient une homélie ou une lettre pastorale, dont le thème est de mettre en parallèle les prétentions fausses des Juifs et des Mages et la puissance véritable du christianisme. Le motif qui y est reproduit avec une rigueur monotone est que le démon a fait accomplir aux infidèles une série de prodiges, mais qu'à ces faux miracles, Dieu en a opposé de vrais. Venant à parler des Mages1, l'auteur inconnu assure que Zoroastre ayant fondé des pyrées, exhorta ses sectateurs à se jeter dans le feu, et qu'ils semblèrent y périr dans les flammes ; puis qu'en étant sortis sains et saufs, ils parurent ressusciter, mais ce n'était là qu'une illusion produite par des sortilèges. Or le Christ se mesura avec Zoroastre et, en ressuscitant réellement les morts, rendit vaine la propagande des Mages dans le monde entier. Puis l'écrivain chrétien ajoute : « Ce Zardasht dit encore à ses disciples : Qui ne mangera pas de mon corps et ne boira pas de mon sang, de manière qu'il se mélange à moi et que je me mélange à lui, celui-là n'aura pas le salut... Mais le Christ dit à ses disciples : « Qui mange mon corps et boit mon sang, aura la vie éternelle2. » La première partie de ce passage remonte vraiment à

l'érudition d'orientaliste nous a une fois de plus fait profiter de ses découvertes. Notre ami M. Levi della Vida a bien voulu se charger de traduire pour nous, avec sa compétence éprouvée, l'ouvrage Karsunî qui nous intéressait, et qu'il s'est réservé d'étudier plus en détail au point de vue de ses sources et de sa date. La guerre a malheureusement interrompu ses recherches ; provisoirement, espérons-le.

1.  Nous reproduisons ici la traduction de ce que dit des Mages cette Ã..."uvre difficilement accessible, et parfois peu compréhensible : F. 158 b : « Quant à la secte des Mages nous vous dirons encore ce que fit Zardasht au Temps de L. d. yà». n (ou c. d. yà». n), le 82° roi après Adam. Il ouvrit des pyrées et accomplit des prodiges qui entraînèrent les âmes à lui obéir. Parmi ses différents miracles, il excitait les gens à se jeter dans les pyrées, et ceux qui les voyaient croyaient qu'ils brà»laient, mais tout cela était art de sorcellerie. Après quelque temps, comme ils se trouvaient toujours dans les pyrées, les gens croyaient (f. 159 a) qu'ils étaient ressuscites, ainsi que l'atteste le livre Z. b. h. r. et d'autres livres des Mages. Ce Zardasht dit encore à ses disciples : « Oui ne mangera pas mon corps et ne boira pas mon sang, de manière qu'il se mélange à moi et que je me mélange à lui, celui-là n'aura pas de salut. » Quand ses Ã..."uvres devinrent célèbres et que ses adeptes se répandirent dans le monde, ils le firent bouillir et burent son bouillon.

2.  Jean, VI, 53 ; cf. Matth., XXVI, 26. -- Sur l'introduction d'une formule semblable dans le manichéisme, cf. Alberry, Das manichà¤ische Bema-Fest (Zeitschr. f. Neutest. Wissenschaft, 1938, XXXVII, p. 7).


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une tradition mazdéenne, selon laquelle de pareils prodiges auraient prouvé la mission divine de Zoroastre. Celui-ci, dans son enfance, est jeté dans un grand bà»cher à l'instigation des sorciers, mais les flammes ardentes l'épargnent et sa mère le retrouve en vie1. Plus tard, lit-on ailleurs, le prophète s'étant retiré sur une montagne, une pluie de feu incendia celle-ci, mais les Perses, qui étaient venus prier en ce lieu virent apparaître le prophète indemne2. Lorsque l'auteur de l'homélie arabe prétend avoir consulté un livre des Mages, dont le titre n'a pu malheureusement être déchiffré, il paraît dire la vérité. Il y a donc quelque probabilité qu'il ait trouvé aussi dans ce livre les paroles qu'il prête à Zoroastre s'adressant à ses disciples. Ce livre aurait-il donc transporté à la personne même du fondateur du mazdéisme ce que les mithriastes appliquaient au Taureau, dont il fallait, dans un repas mystique, consommer la chair et boire le sang ? Peut-être. Mais notre source médiévale est si trouble qu'on perdrait sa peine, je le crains, à vouloir en clarifier les eaux. Il n'est pas douteux que certains Mages ont rapproché leurs traditions des doctrines de l'Eglise et réclamé pour eux-mêmes la priorité. Un mythe mazdéen, détourné de son sens véritable, fut invoqué pour prouver que Jésus, dont une étoile miraculeuse devait annoncer la naissance aux astrologues de la Perse, était un avatar de Zoroastre3 : « Il surgira, dit celui-ci, de ma famille et de ma lignée; moi c'est lui, et lui c'est moi; je suis en lui, et il est en moi. » Ces paroles offrent une singulière analogie avec celles de l'anonyme arabe « de manière qu'il se mélange à moi et que je me mélange à lui ».

Franz Cumont.

1.  Dinkart, VII, 3, 8 s. (West, Pahlavi Texts, V, 36), Zad-Sparam, XVI, 7 (Ibid., p. 146). Même récit dans le Zarâtust Nama persan (Rosenberg, Le livre de Zoroastre, 1904, c. 8, p. 12).

2.  Dion Chrysost... Or.. XXXVI, 39. cf. nos Mages hellénisés. I, p. 29 ; II, p. 143. De même à la fin du monde, les justes traverseront un fleuve de feu sans en sentir la brà»lure (Boundahish, XXX. 18).

3.  Théodore bar Konaî, dans Mages hellénisés, t. II, p. 128 (traduction du P. Peeters) ; cf. t. I, p. 52 sqq.