TERTULLIEN
[Traduit par E.-A. de Genoude]
I. S'il ne vous est pas libre, souverains magistrats de l'empire romain, qui dispensez publiquement la justice dans le lieu le plus éminent de cette ville, sous les yeux de la multitude, d'instruire et d'examiner notre cause; si, pour cette seule affaire, votre autorité craint ou rougit de rechercher publiquement la justice; si enfin la haine du nom chrétien, trop portée, comme nous l'avons déjà vu, aux délations domestiques, s'oppose à notre défense devant les tribunaux, qu'il soit permis au moins à la vérité de parvenir à vos oreilles par la voie secrète de nos modestes réclamations. Elle ne demande point de grâce, parce que la persécution ne l'étonne pas. Etrangère ici-bas, elle n'ignore pas que parmi des étrangers il se rencontre facilement des ennemis. Elle a une autre origine, une autre demeure, d'autres espérances, d'autres faveurs, une autre dignité. Tout ce qu'elle demande, c'est de ne pas être condamnée sans qu'on l'ait entendue. Qu'avez-vous à redouter pour les lois de cet empire si elle est écoutée? Leur pouvoir ne sera-t-il pas plus respecté quand elles ne |252 condamneront la vérité qu'après l'avoir entendue? Que si vous la condamnez sans l'avoir écoutée, outre la haine qui s'attache à une pareille iniquité, vous donnez lieu de croire que vous avez menti à votre conscience, parce que vous ne pourriez plus la condamner si vous l'aviez entendue.
Tel est donc notre premier grief, l'injustice de votre haine pour le nom chrétien. Votre ignorance même, qui semblerait au premier coup d'œil excuser cette injustice, la prouve et l'aggrave. Quoi de plus injuste que de haïr ce que l'on ne connaît pas? Quand même l'objet serait digne de haine, elle n'est encourue qu'autant qu'elle est reconnue méritée; et comment la justifier, tant que l'objet demeure inconnu? C'est par les qualités et non par les impressions que la haine se justifie. Puisque vous haïssez par la raison que vous ne connaissez pas, pourquoi ne vous arriverait-il pas de haïr ce que vous ne devriez pas haïr? De là double conclusion: vous ne nous connaissez pas tant que vous nous persécutez; vous nous persécutez injustement tant que vous ne nous connaissez pas.
La preuve que l'on ne nous connaît pas (et cette ignorance dont on se prévaut est une injustice coupable), c'est que quiconque nous haïssait autrefois, faute de savoir qui nous sommes, cesse de nous haïr en apprenant à nous mieux connaître. Voilà ce qui les rend Chrétiens. Avec la lumière arrive la conviction: ils commencent à détester ce qu'ils étaient, à reconnaître ce qu'ils détestaient. Leur nombre est aujourd'hui incalculable. On crie à l'envahissement de la ville: dans les campagnes, dans les îles, dans les châteaux, partout des Chrétiens! On se plaint douloureusement, comme d'une perte pour l'empire, que le sexe, l'âge, la condition, la dignité courent en foule à leurs autels. Et vous n'en concluez pas que cette doctrine renferme en elle-même quelque bien qui vous échappe; vous ne voulez pas renoncer à d'injustes soupçons, vous ne voulez pas examiner de plus près! Dans cette occasion |253 seule la curiosité publique s'est endormie. Cette vérité, que d'autres sont ravis de connaître, on l'ignore par choix, et on prétend la juger! Oh! que ces hommes méritent bien mieux la censure d'Anacharsis que ceux qui jugeaient des musiciens sans l'être eux-mêmes! Ils aiment mieux ne pas savoir, parce que déjà ils haïssent; tellement ils pressentent que ce qu'ils ignorent ils ne pourraient le haïr s'ils le connaissaient. Cependant, en approfondissant la vérité, vous trouverez que cette haine n'a point de motifs; en ce cas, sans doute, il faut renoncer à une haine injuste: ou vous en découvrirez de raisonnables; alors, loin d'éteindre votre haine, elle n'en sera que plus durable par la sanction de la justice.
---- Mais enfin, dira-t-on, le Christianisme est-il bon par cela qu'il attire à lui la multitude? Combien d'hommes se tournent vers le mal! Que de transfuges de la vertu! ----Qui le conteste? Mais cependant parmi ceux mômes que le vice précipite, il n'en est pas un qui ose le donner pour la vertu. La nature a répandu sur toute espèce de mal la crainte ou la honte. Le méchant cherche les ténèbres; découvert, il tremble; accusé, il nie; sous les instruments qui le torturent, il n'avoue ni facilement, ni toujours; condamné, il s'attriste, il se tourne contre lui-même; les emportements et les égarements des passions, il les impute à la fatalité, à son étoile, parce qu'il ne veut point accepter comme venant de lui le mal qu'il reconnaît. A-t-on jamais rien vu de semblable parmi les Chrétiens? Pas un qui rougisse, pas un qui se repente, sinon de n'avoir pas toujours été Chrétien. Dénoncé, il s'en fait gloire; accusé, il ne se défend pas; interrogé, il confesse hautement; condamné, il rend grâces. Etrange espèce de mal qui n'a aucun des caractères du mal, ni crainte, ni honte, ni détours, ni regret, ni repentir; singulier crime, dont le prétendu coupable se réjouit, dont l'accusation est l'objet de ses vœux, le châtiment son bonheur. Vous ne sauriez appeler démence ce que vous êtes convaincus d'ignorer. |254
II. Enfin, si vous avez la certitude que nous sommes de grands criminels, pourquoi nous traiter autrement que nos semblables, c'est-à-dire comme les autres criminels? Aux mêmes crimes, sans doute, les mêmes châtiments. Les autres accusés peuvent se défendre, et par leur bouche, et par une protection vénale; ils ont tous la liberté de contester et de répliquer, parce que la loi défend de condamner personne sans l'avoir entendu. Les Chrétiens sont les seuls auxquels la parole soit interdite pour prouver leur innocence, pour défendre la vérité, pour épargner aux juges une sentence inique. Pour les condamner, on n'attend qu'une chose, une chose nécessaire à la haine publique, c'est qu'ils avouent leur nom; quant à l'information du crime, on n'y songe pas. Qu'il s'agisse au contraire de tout autre criminel, il ne suffit pas qu'il se déclare homicide, sacrilège, incestueux, ennemi de l'Etat, ce sont là les beaux titres dont on nous honore, avant de prononcer, vous interrogez rigoureusement sur les circonstances, la qualité du fait, le lieu, le temps, la manière, les témoins, les complices. Rien de tout cela dans la cause des Chrétiens. Cependant ne faudrait-il pas également leur arracher l'aveu des crimes qu'on leur impute, de combien d'enfants égorgés ils se seraient nourris, combien d'incestes ils auraient commis au milieu des ténèbres, quels cuisiniers, quels chiens auraient été leurs complices? Gloire incomparable, en effet, pour un magistrat, que de déterrer un Chrétien qui aurait déjà mangé de cent enfants!
Mais que dis-je? nous avons entre les mains la preuve que l'on a même défendu d'informer contre nous. Pline le Jeune, gouverneur de Bithynie, après avoir condamné à mort plusieurs Chrétiens, en avoir dépouillé d'autres de leurs emplois, effrayé cependant de leur multitude, sollicita de l'empereur Trajan des instructions pour l'avenir. Il expose dans sa lettre que tout ce qu'il a découvert sur les mystères des Chrétiens, outre leur entêtement à ne pas |255 sacrifier, se borne à ceci: ils s'assemblent avant le jour pour chanter des hymnes en l'honneur du Christ leur Dieu, et entretenir parmi eux une exacte discipline. Ils défendent l'homicide, la fraude, l'adultère, la trahison, et généralement tous les crimes. Trajan répondit qu'il ne fallait pas les rechercher, mais les punir quand ils seraient dénoncés. Etrange jurisprudence! monstrueuse contradiction! Trajan défend de rechercher les Chrétiens parce qu'ils sont innocents, il ordonne de les punir comme coupables; il épargne et il sévit, il dissimule et il condamne! Pourquoi vous contredire si grossièrement? Si vous condamnez les Chrétiens, pourquoi ne pas les rechercher? et si vous ne les recherchez point, pourquoi ne pas les absoudre? Dans toutes les provinces il y a des postes militaires afin de poursuivre les voleurs. Contre les criminels de lèse-majesté, contre les ennemis publics, tout homme est soldat. La recherche doit s'étendre à tous les complices, à tous les confidents. Le Chrétien est le seul contre lequel la perquisition est interdite, en même temps la dénonciation permise, comme si la recherche pouvait amener autre chose que la dénonciation. Vous condamnez un Chrétien dénoncé, et vous défendez de le rechercher! Il est donc punissable, non parce qu'il est coupable, mais parce qu'il a été découvert. Vous violez toutes les formes dans le jugement des Chrétiens; vous mettez les autres à la question pour les faire avouer, et les Chrétiens pour les contraindre à nier. Assurément, si le nom de Chrétien était un crime, nous le nierions, et vous emploieriez les tourments pour nous forcer à l'avouer; mais ne dites pas qu'il serait inutile d'arracher aux Chrétiens l'aveu de leurs forfaits, parce que le nom de Chrétien emporte et prouve tous les crimes. Qu'un homicide avoue son crime, vous le forcez encore à en déclarer les circonstances, quoique vous n'ignoriez pas ce que c'est qu'un homicide. Votre injustice redouble dès qu'avec une pareille opinion des Chrétiens vous les obligez par la violence à nier qu'ils soient |256 Chrétiens, pour leur faire nier, avec leur nom, tous les crimes que ce seul nom vous paraît renfermer.
Serait-ce, par hasard, que vous répugneriez à frapper des hommes que vous regardez comme des scélérats? Vous dites à ce Chrétien homicide: Niez. Persiste-t-il à se déclarer Chrétien, vos verges déchirent le sacrilège; mais si vous n'agissez pas ainsi envers les coupables, vous nous jugez donc innocents, et puisque nous sommes innocents, pourquoi ne nous permettez-vous pas de persister dans une déclaration que la nécessité seule condamne à défaut de la justice? Un homme élève la voix: Je suis Chrétien! ce qu'il est, il le proclame; vous, vous voulez entendre ce qu'il n'est pas. Assis sur vos tribunaux pour obtenir l'aveu de la vérité, nous sommes les seuls auxquels vous imposiez le mensonge. Vous demandez si je suis Chrétien; je réponds que je le suis, et vous m'appliquez à la torture! votre torture veut donc me corrompre? J'avoue, et vous ordonnez la question! que feriez-vous donc si je niais! Vous ne croyez pas facilement les autres lorsqu'ils nient; pour nous, à peine avons-nous dit non, vous voilà convaincus.'
Un tel renversement de l'ordre doit vous inspirer la crainte qu'il n'y ait quelque force secrète qui vous porte à agir contre toutes les formes, contre la nature même des jugements, contre les lois: car, si je ne me trompe, les lois ordonnent de découvrir les coupables, non de les cacher; de les condamner quand ils ont avoué, non de les absoudre: c'est ce que veulent les décrets du sénat et les édits des empereurs.
Le pouvoir, dont vous êtes les dépositaires, n'a rien de tyrannique, il est réglé par les lois. Aux tyrans seuls d'employer les tortures comme peines! chez vous, la loi ne les ordonne que pour découvrir la vérité: servez-vous-en, à la bonne heure, mais jusqu'à l'aveu seulement. Prévenues par la confession, elles deviennent inutiles; il ne reste qu'à prononcer, à infliger au coupable la peine qu'il a méritée, et non point à l'y soustraire. Et quel est le |257 juge qui s'empresse d'absoudre un coupable? Il sait qu'il ne lui est pas permis de le vouloir: aussi n'entreprend-il jamais de le contraindre à nier pour le trouver innocent. Et un Chrétien, coupable, selon vous, de tous les crimes, l'ennemi des dieux et des empereurs, des lois et des mœurs, l'ennemi, en un mot, de toute la nature, vous le forcez à nier afin de pouvoir l'absoudre. Manifeste prévarication! vous voulez qu'il nie ce qui constitue son crime, pour le déclarer innocent malgré lui, et le décharger du passé. Quel étrange aveuglement de ne pas reconnaître qu'il faut en croire plutôt à des déclarations spontanées qu'à des désaveux arrachés par la violence! Quelle foi méritent des désaveux auxquels manqua la liberté? Et ne craignez-vous pas que ce Chrétien, renvoyé absous pour avoir menti à sa conscience, ne se moque de vous, et ne redevienne de nouveau Chrétien?
Puisque vous établissez ces différences entre nous et les autres coupables, puisque vous n'exigez de nous qu'une seule chose, la répudiation du nom chrétien, nous y renonçons (quand nous nous permettons ce qui est défendu aux Chrétiens), il résulte clairement que nous n'avons à nous justifier d'aucun crime, qu'on n'a rien à nous imputer que notre nom qu'une rivalité de religion poursuit avec acharnement. Elle commence par vous empêcher d'approfondir ce que vous êtes certains d'ignorer: aussi l'on croit sur notre compte ce qui n'a jamais été prouvé. On s'abstient de recherches, de peur de trouver des preuves du contraire; on nourrit complaisamment de jaloux préjugés, afin de pouvoir, sans autre argument, sur notre simple confession, condamner un nom odieux. Nous confessons, on nous torture! nous persévérons, on nous livre au supplice! commençons-nous à nier, on nous absout! On ne fait la guerre qu'à un nom.
Enfin pourquoi, dans vos arrêts de mort, ne nous condamnez-vous que comme Chrétiens, et non comme homicides, comme incestueux, comme coupables, en un mot, |258 de tous les crimes que vous nous imputez? Nous sommes les seuls dont vous dédaigniez ou dont vous rougissiez de nommer les crimes en nous condamnant. Mais si le nom de Chrétien ne rappelle aucun crime, il est bien insensé que ce nom seul constitue un crime.
III. Que dis-je? la haine du nom chrétien est si aveugle pour la plupart, que, même en louant un Chrétien, elle glisse jusque dans la louange de son nom. Je suis étonné, dit-on, qu'un homme aussi sage se soit tout à coup fait Chrétien. Personne ne remarque que Caïus n'est vertueux ni Lucius sage que parce qu'ils sont Chrétiens, ou qu'ils ne sont Chrétiens que parce qu'ils sont sages et vertueux. Nos ennemis louent ce qu'ils connaissent, blâment ce qu'ils ignorent, et, ce qu'ils savent, ils le corrompent par ce qu'ils ignorent; quand il serait plus juste de juger de ce qui est caché par ce qui est connu, que de condamner ce qui est connu par ce qui est caché.
D'autres louent, en croyant les blâmer, ceux qu'ils connaissaient avant leur conversion, en disant qu'ils étaient alors des hommes perdus, méprisables, pervers; tant la haine les aveugle! Quoi! c'est cette femme si libre, si galante! Quoi! c'est ce jeune homme si ardent, si débauché! Les voilà devenus Chrétiens! On fait honneur au nom chrétien de leur changement. Quelques-uns sacrifient leurs propres intérêts à cette haine, contents du tort qu'ils éprouvent, pourvu qu'ils n'aient point sous les yeux ce qu'ils haïssent. Un mari, qui n'a plus de raisons pour être jaloux, rejette une femme devenue chaste; un père, qui souffrait antérieurement les désordres de son fils, a déshérité ce fils désormais soumis; un maître, autrefois plein de douceur pour son esclave, Ta banni de sa présence depuis qu'il est fidèle. Tout homme que le nom chrétien a rendu meilleur devient odieux, tant la haine des Chrétiens l'emporte en eux sur toute espèce de bien! Mais si la haine s'attache au nom, quel crime y a-t-il dans un nom? quelle accusation trouvera-t-on à former contre les mots? |259 à moins qu'un nom n'offre à l'oreille un son barbare, ou à l'esprit des idées sinistres ou des images impures. Or, christianus est tiré d'un mot grec qui signifie onction; il signifie douceur lorsqu'on le prononce peu correctement par un e comme vous le faites. (Car notre nom même ne vous est pas bien connu. ) Il est donc vrai qu'on hait un nom innocent dans des hommes irréprochables. C'est la secte, dit-on, que l'on hait dans le nom de son auteur. Mais est-il inoui que les disciples prennent le nom de leur maître? D'où vient le nom des platoniciens, des épicuriens, des pythagoriciens? Les stoïciens et les académiciens ont emprunté le leur du lieu de leurs assemblées; les médecins, d'Erasistrate; les grammairiens, d'Aristarque; les cuisiniers, d'Apicius. A-t-on jamais trouvé mauvais qu'un nom fût transmis par le fondateur avec sa doctrine? Sans doute, si on prouve évidemment qu'une secte est pernicieuse, que l'auteur est dangereux, on prouvera aussi que le nom est mauvais et odieux, mais à cause de la secte et de l'auteur. De même, avant de prendre en aversion le nom de Chrétien, il fallait s'attacher à connaître la secte par l'auteur, ou l'auteur par la secte. Mais ici, sans nulle information, sans éclaircissement préalable, on accuse, on persécute un nom; on condamne le Christianisme et son auteur à l'aveugle, sur un simple mot, mais non parce qu'ils sont convaincus.
IV. Après avoir établi, dans cette espèce d'avant-propos, combien est injuste la prévention qui pèse sur nous, je vais maintenant prouver notre innocence. Non-seulement je justifierai les Chrétiens des crimes qu'on leur impute; mais, devenu à mon tour accusateur, je ferai voir que les vrais coupables, ce n'est pas nous; je montrerai à nos calomniateurs que nous sommes incapables des horreurs que nous sommes en droit de leur reprocher, et cela, pour les forcer à rougir de leurs préventions contre des hommes à qui ils devraient, je ne dis pas rendre l'hommage que le crime doit à la vertu, mais à qui du moins, pour parler |260 leur langage, ils devraient pardonner de leur ressembler. Je répondrai sur chacune des choses qu'ils nous accusent de faire en secret, tandis qu'ils se les permettent en public, et pour lesquelles on nous traite comme des scélérats, des insensés qu'il faut dévouer aux supplices et au mépris de tous.
Mais, comme à la vérité dont nous sommes l'organe, et qui répond à chacune des objections, on oppose l'autorité des lois, après lesquelles, dites-vous, l'examen est interdit, et dont les dispositions suprêmes dominent toutes les considérations, commençons par discuter ce qui regarde les lois, puisque vous êtes les défenseurs de ces lois. D'abord, lorsque vous avez prononcé avec dureté cet arrêt: Il ne vous est pas permis d'être Chrétiens, et que vous le prescrivez sans aucune modification qui l'adoucisse, vous faites profession publique de violence et de tyrannie, puisque c'est dire que notre religion est interdite, non parce qu'elle doit l'être, mais parce que vous voulez qu'elle le soit. Si vous la prohibez par la raison qu'elle ne doit pas être permise, c'est apparemment parce que le mal doit être sévèrement prohibé, comme ce qui est bien doit être permis. Si donc je réussis à prouver que la doctrine proscrite par votre loi est un bien, j'aurai prouvé que votre loi n'a pu la frapper d'interdit, comme elle en aurait le droit, si c'était un mal.
Si votre loi a failli, c'est qu'elle est l'œuvre de l'homme et qu'elle ne descend pas du ciel. Qu'y a-t-il de surprenant, ou qu'un législateur se soit trompé, ou qu'il ait réformé l'ouvrage sorti de ses mains? Lycurgue fut si affligé des changements que les Lacédémoniens introduisirent dans ses lois, qu'il se condamna à mourir de faim dans un exil volontaire. Vous-mêmes, aidés du flambeau de l'expérience qui a dissipé les ténèbres de l'antiquité, n'éclaircissez-vous pas tous les jours par des rescrits et par des édits l'antique et confuse forêt de vos lois? Hier encore l'empereur Sévère, tout ennemi qu'il est des innovations, n'abrogeait-il par une loi peu réfléchie, quoique |261 vénérable par son antiquité, la loi Papia, qui ordonnait la paternité avant le temps fixé par la loi Julia pour le mariage? Et cette loi barbare qui permettait au créancier de couper par morceaux un débiteur insolvable, n'a-t-elle pas été abolie par les suffrages unanimes du peuple romain? La peine de mort a été commuée en une peine infamante. Au lieu de répandre le sang, on a voulu que l'opprobre fît rougir le front du banqueroutier, que la loi punit par la confiscation de ses biens.
Que de réformes restent à opérer encore dans vos bis, s'il est vrai que ce n'est ni leur ancienneté, ni la dignité de leurs auteurs, mais l'équité seule qui les rend respectables. Injustes donc, on a droit de les condamner, ces mêmes lois qui nous condamnent. J'ai dit injustes. Que sera-ce, si à l'injustice elles joignent l'extravagance, comme celles qui vont jusqu'à sévir contre un nom? Si c'est l'action qu'elles châtient, pourquoi donc nous châtier sur le seul aveu de notre nom, tandis que tous les autres, elles ne les frappent que sur la preuve du crime? Je suis incestueux, pourquoi n'informe-t-on pas contre moi? infanticide, que ne m'applique-t-on à la torture? J'ai outragé les dieux, j'ai insulté aux empereurs: pourquoi ne pas entendre ma justification? Il n'y a point de loi qui défende d'examiner les preuves du crime qu'elle condamne; point de juge en droit de punir, s'il ne sait pas que le crime a été commis; point de citoyen qui puisse observer la loi, s'il ignore ce qu'elle punit. Il ne suffit pas que la loi se rende à elle-même le témoignage intérieur de son équité; il faut qu'elle la fasse connaître à ceux dont elle exige l'obéissance. Elle devient suspecte quand elle repousse l'examen: elle est tyrannique, quand elle commande une soumission aveugle.
V. Pour remonter à l'origine des lois qui nous concernent, il y avait un ancien décret qui défendait aux empereurs de consacrer aucun dieu nouveau sans l'approbation du sénat. M. Emilius sait ce qui arriva à son dieu |262 Alburnus. Il n'est pas indifférent pour notre cause de remarquer que c'est le caprice de l'homme qui décide de la divinité. Si le dieu ne plaît point à l'homme, il ne sera point dieu: c'est au dieu de rechercher la faveur de l'homme. Tibère, sous le règne duquel le nom chrétien fit son apparition dans le monde, rendit compte au sénat des preuves de la divinité de Jésus-Christ, qu'il avait reçues de la Palestine, et les appuya de son suffrage. Le sénat rejeta la proposition, parce qu'elle n'avait pas été soumise à son examen. Mais l'empereur persista dans son sentiment, et menaça du supplice quiconque accuserait les Chrétiens. Consultez vos annales, vous verrez que Néron le premier tira le glaive des Césars contre la secte des Chrétiens qui s'élevait particulièrement à Rome. Nous nous faisons gloire de le nommer pour l'auteur de notre condamnation. Quand on connaît Néron, plus de doute que ce qu'il a condamné ne soit un grand bien. Domitien, ce demi-Néron pour la cruauté, avait commencé aussi à persécuter les Chrétiens; mais comme il conservait quelque chose de l'homme, il s'arrêta sur cette pente, et rappela même ceux qu'il avait exilés. Voilà quels ont été nos persécuteurs, des hommes injustes, impies, infâmes; vous-mêmes vous les condamnez et vous rétablissez ceux qu'ils ont condamnés. De tous les princes qui ont connu et respecté le droit divin et le droit humain, nommez-en un seul qui ait poursuivi les Chrétiens. Nous pouvons en nommer un qui s'est déclaré leur protecteur, le sage Marc-Aurèle. Qu'on lise la lettre où il atteste que la soif cruelle qui dévorait son armée en Germanie fut apaisée par la pluie que le ciel accorda aux prières des soldats chrétiens. S'il ne révoqua pas expressément les édits contre les Chrétiens, du moins les rendit-il sans effet, en portant des lois plus rigoureuses encore contre nos accusateurs. Quelles sont donc ces lois qui ne sont exécutées contre nous que par des princes impies, injustes, infâmes, cruels, extravagants; que Trajan a éludées en partie, en défendant de rechercher les |263 Chrétiens; que n'ont jamais autorisées ni un Adrien, si curieux en tous genres, ni un Vespasien, le destructeur des Juifs, ni un Antonin, ni un Vérus? Cependant c'était à des princes vertueux et non à d'autres scélérats, qu'il appartenait d'exterminer une secte de scélérats.
VI. Que ces grands zélateurs des lois et des usages paternels me disent maintenant s'ils les ont respectés tous; s'ils les ont toujours observés scrupuleusement; s'ils n'ont pas entièrement aboli les règlements les plus sages et les plus nécessaires pour la pureté des mœurs. Que sont devenues ces lois somptuaires, ces lois si sévères contre le faste et l'ambition, qui fixaient à une somme modique la dépense d'un repas, qui défendaient d'y servir plus d'une volaille, encore n'était-il pas permis de l'engraisser; qui chassaient du sénat un patricien possesseur de dix livres d'argent, comme coupable d'une ambition démesurée; qui renversaient des théâtres à peine élevés, comme n'étant propres qu'à corrompre les mœurs; qui ne souffraient pas qu'on usurpât impunément les marques des dignités et de la naissance? Aujourd'hui je vois donner des repas nommés centenaires, parce qu'ils coûtent cent mille sesterces (1). Je vois l'argent des mines converti en vaisselle, je ne dis pas pour l'usage des sénateurs, mais des affranchis, mais des esclaves qui n'ont rompu leurs chaînes que d'hier. Je vois qu'on multiplie les théâtres, qu'on les abrite contre les injures de l'air. Et sans doute, c'est pour garantir du froid ces délicats et voluptueux spectateurs, que les Lacédémoniens inventèrent leurs manteaux.
Je vois les dames romaines parées comme les courtisanes et confondues avec elles. Ces antiques coutumes qui protégeaient la modestie et la tempérance sont abolies. Autrefois les femmes ne portaient point d'or, à l'exception de l'anneau nuptial que l'époux leur avait mis au doigt et donné pour gage. L'usage du vin leur était si |264 rigoureusement interdit, que des parents condamnèrent à mourir de faim une femme, pour avoir rompu les sceaux d'un cellier. Sous Romulus, Mécénius tua impunément sa femme, qui n'avait fait que goûter du vin. Voilà pourquoi elles étaient obligées d'embrasser leurs proches, afin qu'on pût juger par leur souffle si elles en avaient bu. Qu'est devenue cette antique félicité du mariage, si bien fondée sur la pureté des mœurs que, pendant près de six cents ans, aucune maison n'offrit l'exemple du divorce? Aujourd'hui, chez les femmes, l'or surcharge tout le corps, le vin éloigne d'elles tout embrassement. Le divorce est comme le fruit et le vœu du mariage. Vous qui vous vantez de tant de respect pour la divinité, vous avez aboli les sages règlements de vos pères sur le culte des dieux. Les consuls, conformément au décret du sénat, avaient chassé Bacchus et ses mystères, non-seulement de Rome, mais de toute l'Italie. Sérapis et Isis, Harpocrate avec son dieu à tête de chien, ne se sont-ils pas vus repoussés du Capitole, c'est-à-dire chassés du palais des dieux, par les consuls Pison et Sabi-nus? Ceux-ci ne les ont-ils pas bannis de l'empire, après avoir renversé leurs autels, voulant ainsi arrêter les vaines et infâmes superstitions? et cependant ces consuls n'étaient pas chrétiens! Pour vous, vous avez rétabli ces divinités, vous les avez environnées du plus grand éclat. Où est la religion? Où est le respect dû aux ancêtres? Par l'habillement, le genre de vie, l'éducation, le sentiment, le langage même, vous désavouez vos ancêtres. Vous nous vantez sans cesse les mœurs antiques, et rien n'est plus nouveau que votre manière de vivre. Il est facile de le voir, en vous éloignant des sages institutions de vos pères, vous retenez et vous gardez ce qu'il faudrait rejeter, et vous rejetez ce qu'il faudrait conserver. Tout en paraissant protéger avec la plus grande fidélité les traditions anciennes, je veux dire le respect pour les dieux, pour ces dieux, grande erreur des premiers temps; tout en relevant les autels de Sérapis devenu romain, tout en consacrant vos |265 fureurs à Bacchus, désormais divinité de l'Italie, vous êtes coupables de toutes les transgressions dont vous faites un crime aux Chrétiens; vous négligez, vous outragez, vous détruisez le culte de vos propres divinités, et cela au mépris de l'autorité des ancêtres. Je vous le prouverai quand il sera temps; mais, en attendant, je vais répondre à cette calomnie qui nous impute des crimes secrets, et je me préparerai la voie à des justifications plus éclatantes.
VII. On dit que dans nos mystères nous égorgeons un enfant, que nous le mangeons, et qu'après cet horrible repas, nous nous livrons à des plaisirs incestueux, lorsque des chiens dressés à ces infamies ont renversé les flambeaux, et en nous délivrant de la lumière, nous ont affranchis de la honte. On le répète tous les jours. Mais, depuis si long-temps qu'on le répète, vous n'avez pris aucun soin d'éclaircir le fait. Eclaircissez-le donc si vous le croyez; ou cessez de le croire, si vous ne voulez pas l'éclaircir. Votre négligence hypocrite prouve que ce que vous n'osez éclaircir n'est pas. Vous confiez contre les Chrétiens un singulier ministère au bourreau, qui les oblige non pas à avouer leur conduite, mais à taire leur nom.
La religion des Chrétiens, nous l'avons dit, a commencé sous Tibère. La vérité a commencé en se faisant haïr, et elle a apparu comme une ennemie. Autant d'étrangers, autant d'adversaires: les Juifs par jalousie, les soldats par l'avidité du pillage, nos serviteurs par leur condition même. Tous les jours on nous assiège; tous les jours on nous trahit; la plupart du temps on nous fait violence jusque dans nos assemblées. Qui de vous a jamais entendu les cris de cet enfant que, nous immolons? Nommez-moi le dénonciateur qui ait montré au juge nos lèvres encore sanglantes, comme celles des cyclopes et des syrènes? Avez-vous surpris dans les femmes chrétiennes quelques traces de ces infamies? Celui qui aurait pu voir de pareilles abominations aurait-il été vendre son silence à des hommes qu'il traînait devant les tribunaux? |266
Si, comme vous le dites, nous nous cachons toujours, comment ce que nous faisons a-t-il été découvert? Qui nous a livrés? Les coupables eux-mêmes? cela ne peut être: le secret est ordonné dans tous les mystères. Il est inviolable dans ceux d'Eleusis et de Samothrace: il le sera à plus forte raison dans les nôtres, qui ne peuvent être révélés sans attirer aussitôt la vengeance des hommes, tandis que celle du ciel est suspendue. Si les Chrétiens ne se sont pas trahis eux-mêmes, ils ont donc été trahis par des étrangers. Mais d'où est venue aux étrangers la connaissance de nos mystères, puisque toutes les initiations même des hommes pieux écartent les profanes? Les impies seuls auraient-ils moins à craindre?
La nature de la renommée est connue de tout le monde; votre poète l'appelle le plus rapide de tous les maux. Pourquoi l'appelle-t-il un mal? Parce qu'elle est rapide? parce qu'elle sème les rumeurs? ou plutôt n'est-ce point parce qu'elle est toujours menteuse? Elle l'est, même quand elle annonce la vérité, parce qu'elle la dénature, l'affaiblit, l'exagère. Que dis-je? La renommée ne vit que de mensonges; elle n'existe que lorsqu'elle ne prouve rien: dès qu'elle a prouvé, elle cesse d'être, sa fonction est remplie. Elle nous a transmis le fait qu'elle annonçait: dès-lors on le sait avec certitude et on l'énonce simplement. On ne dit plus: Le bruit court qu'une telle chose est arrivée à Rome, qu'un tel a tiré au sort le gouvernement de cette province; mais: Il a tiré au sort cette province; cela est arrivé à Rome. Qui dit renommée, dit incertitude: où commence la certitude, elle disparaît. Qui donc pourra en croire la renommée? Ce ne sera pas le sage qui ne croit jamais ce qui est incertain. Quel que soit l'appareil avec lequel la renommée se présente, quel que soit le nombre de circonstances qu'elle accumule, il faut bien qu'on sache que souvent un seul homme lui a donné naissance, et que de là elle se glisse par la bouche et les oreilles de la multitude comme par autant de canaux. Mais l'obscurité et le |267 vice de son origine sont tellement couverts par l'éclat qui l'environne, que personne ne s'avise de penser que la première bouche a pu être menteuse; ce qui arrive tantôt par jalousie, tantôt par des soupçons téméraires, tantôt par cette pente naturelle d'une partie des hommes pour le mensonge. Heureusement il n'est rien que le temps ne découvre enfin: témoins vos proverbes et vos sentences. La nature a voulu que rien ne pût rester long-temps dans l'ombre. Ce n'est donc pas sans raison que depuis tant d'années la renommée seule a le secret de nos crimes. Oui, voilà l'unique accusateur que vous produisez contre nous, et qui jusqu'ici n'a pu rien prouver des rumeurs qu'il publie partout et avec tant d'assurance.
VIII. J'en appelle à la nature contre ceux qui jugent de tels bruits dignes de foi. Eh bien! je vous l'accorde, nous proposons la vie éternelle comme la récompense de ces crimes. Croyez-le pour quelques moments. Mais, je vous le demande, quand même vous seriez parvenus à le croire, voudriez-vous acheter si cher la récompense? Oui, venez plonger le poignard dans le sein d'un enfant qui n'est ennemi de personne, qui n'est coupable d'aucun crime, qui est l'enfant de tous, ou si un autre est chargé d'un semblable ministère, venez voir mourir un homme avant qu'il ait vécu; épiez le moment où cette ame encore jeune va s'échapper; recevez ce sang qui commence à couler; trempez-y votre pain; rassasiez-vous-en! A table, remarquez avec soin où est votre mère, où est votre sœur; ne vous trompez point, quand les ténèbres produites par les chiens tomberont sur l'assemblée; car ce serait un crime que de manquer un inceste. Initié de la sorte aux mystères, vous voilà sûr de l'immortalité. Répondez-moi, voudriez-vous de l'immortalité à ce prix? Non, sans doute; aussi ne sau-riez-vous croire qu'elle soit à ce prix. Mais quand vous le croiriez, vous n'en voudriez point, et quand vous le voudriez, je l'affirme, vous ne le pourriez point. Comment d'autres le pourraient-ils si vous ne le pouvez pas? Et si |268 d'autres le peuvent, comment ne le pourriez-vous pas? Sommes-nous d'une autre nature que vous? Nous prenez-vous pour des monstres? La nature nous aurait-elle donné d'autres dents pour les repas de chair humaine, un autre corps pour les voluptés incestueuses? Si vous croyez ces horreurs d'un homme, vous êtes capables de les commettre. Vous êtes hommes comme les Chrétiens. Si vous ne pouvez les commettre, vous ne devez pas les croire: les Chrétiens sont hommes comme vous.
Mais, nous dira-t-on, on trompe, on surprend des ignorants! Comme s'ils pouvaient ignorer les bruits qui courent à ce sujet, comme s'ils n'avaient pas le plus grand intérêt à les approfondir et à s'assurer de la vérité! D'ailleurs, l'usage est que tous ceux qui demandent à être initiés abordent celui qui préside aux sacrifices, pour savoir de lui les préparatifs prescrits. Il leur dira donc: « Il vous faut un enfant qui ne sache pas ce que c'est que la mort, qui rie sous le couteau; il vous faut du pain pour recueillir le sang qui jaillit, des candélabres, quelques torches, des chiens et des lambeaux de chair que vous jetterez à ces animaux, afin qu'en s'élançant sur la proie ils éteignent les flambeaux. Avant tout, amenez votre mère et votre sœur. » Mais si elles ne veulent point venir, ou si vous n'avez ni mère ni sœur, si vous êtes seul dans votre famille, vous ne serez donc pas reçu Chrétien?
Quand même tous ces préparatifs auraient été faits à l'insu des initiés, du moins ils les auraient connus dans la suite, et ils les souffrent et ils ne se plaignent pas! Craindraient-ils le châtiment? Ils sont, sûrs, en nous accusant, de trouver des protecteurs. Après tout, ils aimeraient mieux mourir que de vivre sous le poids d'une telle conscience. Je veux que la crainte leur ferme la bouche. Pourquoi leur obstination à demeurer dans la secte? Des engagements que l'on n'eût pas pris si on les eût connus, on les rompt aussitôt qu'on les connaît.
IX. Pour ajouter une nouvelle force à notre justification, |269 je prouverai que vous vous permettez, et en secret et en public, ce dont vous nous accusez sur un peut-être. En Afrique, on immolait publiquement des enfants à Saturne, jusqu'au proconsulat de Tibère, qui fît attacher les prêtres de ce dieu aux arbres même du temple dont l'ombre couvrait ces affreux sacrifices, comme à autant de croix votives. J'en prends à témoin les soldats de mon pays qui assistèrent le proconsul dans cette exécution. Cependant ces détestables sacrifices se continuent encore dans le secret. Ainsi les Chrétiens ne sont pas les seuls qui vous bravent. Aucun crime n'est entièrement déraciné; et puis, un dieu change-t-il de mœurs? Saturne, qui n'a pas épargné ses propres enfants, aurait-il épargné des enfants étrangers que leurs pères et leurs mères venaient d'eux-mêmes lui offrir, et qu'ils caressaient au moment qu'on les immolait., afin que le sacrifice ne fût point troublé par des larmes? Et cependant qu'il y a loin encore de l'homicide au parricide!
Quant aux Gaulois, c'étaient des hommes qu'ils sacrifiaient à Mercure. Je renvoie à vos théâtres les cruautés de la Tauride. Mais encore aujourd'hui, dans la ville la plus religieuse de l'univers, chez les descendants du pieux Enée, n'adore-t-on pas un Jupiter, que dans ses jeux mêmes on arrose de sang humain? C'est du sang des criminels, dites-vous: en sont-ils moins des hommes? N'est-il pas encore plus honteux que ce soit le sang des méchants? Toujours du moins sont-ce là autant d'homicides. Oh! quel Jupiter chrétien! oh! qu'il est bien le fils unique de son père pour la cruauté!
Mais, puisqu'il importe peu que l'on immole ses enfants par religion ou par caprice, quoique le parricide soit un crime de plus, je m'adresse maintenant au peuple. Combien parmi ceux qui m'entendent, d'hommes altérés du sang chrétien! Combien de magistrats si intègres pour vous, si rigoureux contre nous! Combien, à la conscience desquels j'en appellerai, tuent leurs enfants aussitôt qu'ils |270 sont nés! Le genre de supplice, voilà toute la différence. Par un raffinement de cruauté, vous les étouffez dans l'eau, vous les exposez à la faim, au froid, aux animaux immondes. Un âge plus avancé choisirait la mort du glaive. Pour nous, à qui l'homicide a été interdit, il ne nous est pas permis de faire périr le fruit au sein de la mère, lorsque le sang n'est pas encore devenu un homme. C'est un homicide prématuré que d'empêcher la naissance. Et dans le fond, arracher l'ame déjà née, ou troubler sa naissance, n'est-ce pas la même chose? C'était un homme qui allait naître: tout le fruit était dans le germe.
Pour en venir à ces repas de sang et de chair humaine, qui font frémir, vous pouvez lire dans Hérodote, si je ne me trompe, que certaines peuplades, après s'être tiré du sang au bras, se le présentent mutuellement à boire, comme pour sceller leur alliance par cet échange. Il se passa quelque chose de semblable dans la conjuration de Catilina. Les Scythes, dit-on, mangent leurs parents après leur mort. Mais pourquoi chercher des exemples si loin? Ici même, pour être admis aux mystères de Bellone, il faut avoir bu du sang qu'on tire de sa cuisse entr'ouverte, et qu'on recueille dans la main. Et ceux qui, pour guérir l'épilepsie qui les travaille, sucent avec une soif avide le sang encore bouillant des criminels qui viennent d'expirer dans l'arène, où sont-ils? Où sont-ils ceux qui mangent des animaux tués dans l'amphithéâtre? Ne se nourrissent-ils pas de la chair de leurs semblables? car ce sanglier s'est abreuvé du sang de la victime qu'il a déchirée; ce cerf est tombé dans le sang du gladiateur; et dans le ventre des ours, on voit encore palpiter les membres des hommes qu'ils ont dévorés. Vous vous engraissez d'une chair engraissée de la chair de l'homme! En quoi donc vos repas diffèrent-ils des prétendus repas des Chrétiens? Et ceux qui, avec des fantaisies dépravées, se précipitent dans des plaisirs infâmes qui révoltent la nature et qui feraient rougir le crime, sont-ils moins criminels, moins |271 homicides?..... Rougissez d'imputer aux Chrétiens des crimes dont ils sont si éloignés, qu'ils ont même interdit sur leurs tables le sang des animaux, et que par cette raison ils s'abstiennent des bêtes étouffées et mortes d'elle-mêmes, pour ne se souiller d'aucun sang, même de celui que recèleraient leurs entrailles. Vous ne l'ignorez pas, puisque parmi vos moyens de corruption, vous présentez à la foi chrétienne des mets pleins de sang. Or, je vous le demande, pouvez-vous croire que ces hommes accoutumés à ne voir qu'avec horreur le sang des animaux, soient si fort altérés du sang de leurs semblables, à moins peut-être que vous n'ayez trouvé celui-ci plus délicat? Que ne joignez-vous donc le sang humain au feu et. à l'encens pour éprouver les Chrétiens! Vous les reconnaîtrez et les enverrez au supplice, s'ils goûtent du sang, comme vous le faites, quand ils refusent de sacrifier. Et certainement vos tribunaux et vos arrêts ne vous laisseront jamais manquer de sang humain.
On nous accuse d'inceste. Mais qui doit être plus incestueux que ceux qui ont reçu des leçons de Jupiter même? Ctésias écrit que les Perses abusent de leurs propres mères. Les Macédoniens ne sont pas exempts de soupçon, témoin cette indécente équivoque: Subjuguez votre mère, lorsqu'ils entendirent pour la première fois OEdipe déplorant sur le théâtre sa malheureuse destinée. Et parmi vous, jouets éternels d'une passion désordonnée, voyez combien les méprises sont propres à multiplier les incestes. Vous exposez vos enfants, vous les abandonnez à la compassion du premier étranger qui passe, ou vous les émancipez pour les faire adopter à de meilleurs pères. Insensiblement le souvenir d'une famille à laquelle on ne tient plus s'efface, et avec l'erreur l'inceste se répand et se perpétue. Comme cette honteuse passion vous tyrannise et vous suit partout, à la ville, dans les voyages, au-delà des mers, il doit arriver que les fruits déplorables de votre incontinence, semés en tous lieux, inconnus à |272 vous-mêmes, s'allient ensemble ou avec leurs auteurs, sans le soupçonner.
Pour nous, la chasteté la plus sévère et la plus religieuse nous prémunit contre ces malheurs; le mariage nous garantit de toute impureté, de tout excès, et nous met à l'abri de l'inceste. Je pourrais vous en citer qui éloignent jusqu'à l'ombre du péril, en portant au tombeau une continence virginale, vieillards quoique encore enfants par l'innocence. Si vous aviez pris garde que c'est chez vous que se commettent ces désordres, vous auriez remarqué aussi que les Chrétiens en sont innocents. Le même regard vous aurait montré l'un et l'autre. Mais, par un double aveuglement qui n'est que trop commun, vous ne voyez pas ce qui est, vous croyez voir ce qui n'est point. C'est ce que je vous ferai observer pour tout le reste. Venons à ce qui est public.
X. Vous n'adorez pas nos dieux, dites-vous, et vous n'offrez pas de sacrifices pour les empereurs. Sans doute, nous n'offrons de sacrifices pour personne, puisque nous n'en offrons pas pour nous-mêmes, depuis que nous n'adorons plus vos dieux. Voilà pourquoi nous sommes poursuivis comme des sacrilèges et des coupables. Voilà le point capital de notre cause, ou plutôt voilà notre cause tout entière. Elle mérite bien que vous l'approfondissiez. Nous demandons de n'être point jugés par la prévention ou par l'injustice: l'une désespère d'arriver à la vérité, l'autre la repousse.
Nous avons cessé d'adorer vos dieux depuis que nous avons reconnu leur néant. Vous êtes donc en droit d'exiger de nous la démonstration qu'ils ne sont pas des dieux, et que par là même ils ne méritent aucun culte, puisqu'il faudrait les adorer s'ils étaient réellement dieux. Et les Chrétiens seraient justement punissables, si ceux qu'ils refusent d'adorer, persuadés de leur néant, étaient des dieux en effet.
Mais, dites-vous, ce sont nos dieux à nous. Nous |273 appelons de vous-mêmes à votre conscience. Qu'elle nous juge, qu'elle nous condamne, si elle peut nier que tous vos dieux ont été des hommes. Qu'elle ose le contester, elle sera confondue par les monuments antiques qui vous en ont transmis la connaissance et qui subsistent encore parmi nous, par les villes où ils sont nés, par les pays où ils ont vécu, où ils ont laissé des traces de leur passage, où l'on montre même leurs tombeaux. Je ne passerai pas en revue l'un après l'autre tant et de si puissants dieux, anciens, nouveaux, barbares, grecs, romains, étrangers, captifs, adoptifs, particuliers, communs, mâles, femelles, de la ville, de la campagne, marins, guerriers. Il serait inutile d'examiner leurs litres. Je n'en dirai qu'un mot, moins pour vous les faire connaître que pour vous rappeler ce que vous me paraissez en effet avoir oublié.
Vous n'avez point de dieu avant Saturne. De Saturne viennent vos dieux principaux et les plus connus. Ainsi, ce qui est certain du premier, il faudra l'avouer de toute sa postérité. Interrogeons-nous les historiens? Ni Diodore de Sicile, ni Cassius Sévérus, ni Thallus, ni Cornélius Népos, ni aucun autre écrivain de l'antiquité, ne parlent de Saturne que comme d'un homme. Si nous consultons les monuments publics, on ne peut en trouver de plus authentiques qu'en Italie, où Saturne, après plusieurs expéditions et à son retour de l'Attique, s'arrêta et fut reçu par Janus, ou Janès, comme le veulent les Saliens. Il donna son nom à la montagne où il s'était retiré, à la ville qu'il fonda; (elle le conserve encore aujourd'hui; ) à toute l'Italie enfin, qui perdit dès-lors le nom d'OEnotrie. Il fut le premier qui apporta l'écriture à cette contrée, et marqua la monnaie à l'effigie du prince: de là vient qu'il préside au trésor public. Saturne est donc un homme. S'il est homme, il est fils d'un homme, et non pas du ciel et de la terre. Mais comme son origine était inconnue, il fut aisé de lui attribuer pour parents ceux dont nous pouvons tous nous dire les enfants. Qui, en effet, par honneur et par |274 respect pour le ciel et la terre, ne les appellerait pas volontiers du nom de père et de mère? D'ailleurs, les étrangers qui surviennent tout à coup, n'avons-nous pas coutume de dire qu'ils sont tombés du ciel? De là pour ce Saturne manifesté publiquement le privilège d'une origine céleste. Le vulgaire appelle aussi enfants de la terre ceux dont il ignore l'origine.
Je ne vous dirai pas qu'autrefois les hommes étaient si grossiers, que l'aspect d'un personnage inconnu les frappait ainsi que l'eût fait la présence de quelque divinité, et qu'aujourd'hui, tout instruits qu'ils sont, ils mettent au rang des dieux ceux dont la mort était, peu de jours auparavant, annoncée par un deuil public. Ce peu de mots sur Saturne suffira. Nous vous montrerons aussi que Jupiter était homme, issu d'un autre homme, et que tout cet essaim de dieux était mortel aussi bien que toute leur race.
XI. Comme vous n'avez point osé nier qu'ils fussent hommes, vous avez adopté pour système qu'ils ont été faits dieux après leur mort. Examinons pour quelles raisons. Il faut d'abord que vous admettiez l'existence d'un dieu supérieur, source unique de la divinité, qui de certains hommes ait fait des dieux; car ceux-ci n'auraient, pu se donner une divinité qu'ils n'avaient pas, et celui-là l'accorder à ceux qui ne l'avaient point, à moins d'en être en possession lui-même comme d'une propriété. S'il n'existait personne pour les faire dieux, vainement vous supposeriez qu'ils aient pu le devenir, quand vous supprimez le principe de leur divinisation. Assurément, s'ils avaient pu par eux-mêmes se faire dieux, ils n'auraient jamais été hommes, puisqu'ils avaient la faculté d'une condition meilleure. Eh bien! s'il est un être qui fasse des dieux, je reviens à l'examen des raisons de cette transformation d'hommes en dieux. Je n'en vois pas d'autre que celle-ci: Ce grand dieu, dans l'exercice de ses fonctions divines, avait besoin de secours et de service. Mais d'abord n'est-il pas indigne d'un Dieu d'avoir besoin du secours d'un |275 autre, et surtout d'un mort? Si pareil besoin devait se faire sentir, pourquoi dès le principe ne pas créer un dieu qui pût servir plus tard d'auxiliaire? Et je ne vois pas encore à quoi bon. Que ce monde n'ait pas été fait; qu'il n'ait pas eu de commencement, comme le veut Pythagore, ou qu'il ait été fait et qu'il soit né, comme l'enseigne Platon, ce monde, dans l'un et l'autre système, s'est trouvé arrangé, disposé, ordonné par la plus haute sagesse. Le principe qui conduit tout à la perfection ne pouvait être imparfait. Dès-lors qu'avait-il besoin de Saturne et de sa race. Que de légèreté dans les hommes qui ne croient pas que dès le commencement de toutes choses, la pluie soit tombée du ciel, que les astres aient resplendi, la lumière brillé, le tonnerre mugi; que Jupiter lui-même ait redouté les foudres dont vous armez ses mains; que toutes sortes de fruits soient sortis du sein de la terre avant Bacchus, et Cérès et Minerve, et même avant ce premier homme père des autres! car rien de ce qui était nécessaire à l'homme pour le nourrir et le conserver n'a pu être fait après lui. On dit des choses nécessaires à la vie, qu'elles ont été découvertes par l'homme, mais non créées. Or ce qui est découvert existait, ce qui existait s'attribue non à celui qui a découvert, mais à celui qui a créé. Une chose existe avant sa découverte. Mais si Bacchus est un dieu pour avoir fait connaître la vigne, on est injuste envers Lucullus, qui le premier a transporté dans l'Italie les cerisiers du Pont. On ne l'a pas consacré Dieu comme auteur d'un fruit, pour l'avoir découvert et montré. Si, dès le principe, chaque chose s'est trouvée munie et pourvue de tout ce qui était nécessaire aux fonctions qu'elle avait à remplir, à quoi bon changer l'homme en dieu? Les postes et les emplois que vous distribuez étaient dès l'origine tout ce qu'ils auraient été quand vous n'auriez pas créé des dieux.
Mais vous vous tournez d'un autre côté. Vous nous répondez qu'en conférant la divinité, on voulait récompenser |276 le mérite; vous nous accordez sans doute que ce dieu qui fait des dieux se distingue surtout par la justice, et qu'il ne dispense un si grand privilège ni au hasard, ni sans titre et outre mesure.
Je veux bien passer en revue les mérites, et examiner s'ils sont de nature à élever au ciel ou à précipiter dans le Tartare, que vous appelez quand cela vous plaît la prison des enfers, un lieu de supplice. Là sont précipités les impies qui se sont armés contre les auteurs de leurs jours; ceux qui se sont rendus coupables d'inceste à l'égard d'une sœur, ou d'adultère envers une épouse; ceux qui ont ravi de jeunes vierges, corrompu de jeunes enfants; les hommes de sang, les meurtriers, les voleurs, les fourbes, en un mot, tous ceux qui ressemblent à quelques-uns de vos dieux; car il n'en est pas un que vous puissiez montrer exempt de reproche ou de vice, à moins de nier qu'il ait été homme. Mais outre que vous ne pourrez pas nier que ces dieux aient été des hommes, ils sont marqués à certains caractères qui prouvent qu'ils n'ont pu devenir dieux avec le temps. Si c'est pour punir ceux qui leur ressemblent que vous siégez sur le"s tribunaux; si tous tant que vous êtes d'hommes vertueux, vous fuyez commerce, entretien, relation avec les pervers et les infâmes; si le grand dieu s'est associé de pareils hommes pour leur communiquer sa divinité, pourquoi condamnez-vous ceux dont vous adorez les collègues? Votre justice est une dérision du ciel. Faites donc l'apothéose des plus grands scélérats pour flatter vos dieux: c'est les honorer que de diviniser leurs semblables.
Mais, silence sur ces infamies! Vos dieux ont été des hommes vertueux, bienfaisants et irréprochables, je vous l'accorde. Cependant combien n'avez-vous pas laissé dans les enfers de personnages qui valaient mieux encore: un Socrate par sa sagesse, un Aristide par sa justice, un Thé-mistocle par sa valeur, un Alexandre par sa fortune et sa grandeur d'ame, un Polycrate par son bonheur, un Crésus par ses richesses, un Démosthène par son éloquence? |277 Nommez-moi un de vos dieux plus sage et plus grave que Caton, plus juste et plus brave que Scipion, plus grand que Pompée, plus heureux que Sylla, plus opulent que Crassus, plus éloquent que Cicéron! Il était bien plus digne de ce dieu suprême qui connaissait d'avance les plus vertueux, d'attendre de pareils dieux pour se les associer. Ses choix ont été prématurés, à mon avis, il a trop tôt fermé le ciel, et il rougit maintenant des murmures que ces ames héroïques élèvent au fond des enfers.
XII. Je ne m'étends pas davantage sur cet article. Vous montrer d'après l'évidence même ce que sont vos dieux, c'est vous prouver ce qu'ils ne sont pas. Au sujet de vos dieux, je ne retrouve que des noms d'anciens morts, je n'entends que des fables; je ne reconnais que ces fables au fond des mystères; et dans leurs simulacres, je ne vois qu'une matière sœur de notre vaisselle et de nos meubles les plus communs. C'est même de ces meubles que vous les forgez (telle est la puissance de la consécration) après que l'art en a changé la destinée et la forme, non sans l'outrage le plus sanglant et le plus odieux: sacrilège dans le travail même de la métamorphose. Pour nous, nous nous consolons de nos tortures, en voyant vos dieux souffrir, pour devenir dieux, tout ce qu'on nous fait éprouver à cause d'eux. Vous attachez les Chrétiens à des croix, à des poteaux. N'y attachez-vous pas vos dieux lorsque vous formez leur ébauche d'argile? N'est-ce pas sur un gibet que le corps de votre dieu reçoit ses premiers traits? Vous déchirez les flancs des Chrétiens avec des ongles de fer; mais les scies, mais les rabots, mais les limes s'exercent plus violemment encore sur tous les membres de vos dieux? On tranche la tête aux Chrétiens! Vos dieux, sans le secours des agrafes, du plomb et des clous, seraient sans tête î On nous jette aux animaux féroces: vous y exposez Cybèle, Bacchus, Cérès. On nous livre au feu: vous jetez aussi vos dieux dans les flammes dès le premier essai qui leur donne une forme! On nous condamne aux |278 mines: c'est de là que l'on arrache vos dieux. On nous relègue dans les îles: et c'est là que ces dieux naissent ou meurent. Si tels sont les éléments de la divinité, vous déifiez donc ceux que vous punissez: les supplices sont des apothéoses. Ce qu'il y a de certain, c'est que vos dieux ne sentent pas plus les insultes et les outrages quand on les fabrique, que les honneurs après qu'ils sont fabriqués.
O impiété! ô sacrilège! vous écriez-vous! ---- Frémissez, écumez de colère tant qu'il vous plaira. N'est-ce pas vous cependant qui battiez des mains aux paroles de Sénèque, lorsqu'il s'élevait avec encore plus de véhémence et d'amertume contre vos superstitions? Si nous refusons d'adorer des statues, des images froides et inanimées, qui ressemblent aux morts qu'elles représentent, ce que comprennent si bien les milans, les rats, les araignées, est-ce que notre courage à repousser une erreur si manifeste ne mérite pas plutôt des louanges que des châtiments? Et pouvons-nous passer pour outrager vos dieux, quand nous sommes certains qu'ils n'existent pas? Ce qui n'est pas ne souffre de la part de personne, puisqu'il n'est pas.
XIII. ----Quoi qu'il en soit, dites-vous, nous les tenons pour dieux. ---- Mais si vous les tenez pour dieux, pourquoi cette impiété, pourquoi ce sacrilège, pourquoi cette irrévérence dans lesquels on vous surprend tous les jours? Vous êtes persuadés que ce sont des dieux, et vous les négligez! Vous les redoutez, et vous les mettez en pièces! Vous vous constituez leur vengeur, et vous les insultez! Dites, suis-je un imposteur?
Premièrement, comme chacun parmi vous porte ses hommages où il lui plaît, ceux que vous n'adorez point, vous les offensez. La préférence pour les uns est un affront pour les autres: on ne choisit qu'en excluant; vous rejetez donc ceux que vous n'adoptez pas; vous méprisez ceux que vous répudiez, et vous ne craignez pas leur ressentiment! Ainsi que nous l'avons énoncé plus haut, c'est le décret du sénat qui a fixé le sort de chacun de ces dieux. |279 Celui dont l'homme n'a point voulu, que l'homme a réprouvé par son suffrage, n'a pu être dieu. Ces dieux domestiques que vous appelez lares, vous lès traitez en effet comme des domestiques, vous les vendez, vous les engagez, vous le changez; hier corbeille pour Saturne, aujourd'hui vase pour Minerve, ils prennent d'autres formes à mesure qu'ils vieillissent, et qu'ils s'usent par les hommages mêmes qu'ils reçoivent; à mesure qu'ils éprouvent l'impression d'un dieu plus puissant qu'eux, la nécessité. Pour les dieux publics, vous les insultez avec l'autorité du droit public; ils sont soumis aux impôts, mis à l'enchère; ils sont au Capitole ou au marché: pour eux, même voix du crieur public, même mode de vente, même registre. Des terres chargées d'impôts perdent de leur prix; les hommes soumis à la capitation sont avilis, là se trouvent des marques de servitude. Pour vos dieux, plus ils paient d'impôts, plus ils sont honorés; disons mieux: plus ils sont honorés, plus ils paient d'impôts. On trafique de la divinité. La religion va mendiant par les cabarets: tant pour le droit d'entrer dans les temples, tant pour la place qu'on y occupe; sans argent, point de connaissance de la divinité; on ne l'aborde qu'à prix d'or.
Quels honneurs rendez-vous à vos dieux que vous ne rendiez aussi aux morts? N'élevez-vous pas des autels et des temples aux uns comme aux autres? mêmes statues, mêmes insignes. Le dieu n'est-il pas ce qu'était ce mort, ne conserve-t-il pas le même âge, le même état, la même profession? En quoi les repas des morts diffèrent-ils des repas en l'honneur de Jupiter? le vase des sacrifices, de l'urne funéraire? l'embaumeur des cadavres, de l'arus-pice? Un aruspice préside aussi aux cérémonies funèbres. C'est avec raison que vous rendez à vos empereurs morts les honneurs divins qu'ils recevaient de vous pendant leur vie. Vos dieux vous sauront gré, que dis-je? ils se féliciteront d'avoir leurs maîtres pour collègues. Mais quand vous placez entre les Junon, les Cérès, les Diane, une |280 prostituée telle que Larentia; ( encore si c'était Laïs ou Phryné! ) quand vous érigez une statue à Simon le Magicien, avec cette inscription: Au dieu saint! quand vous placez parmi les dieux je ne sais quel infâme favori, quoique, à vrai dire, vos anciennes divinités ne valent pas mieux, cependant elles regardent comme un outrage de votre part que vous accordiez à d'autres un droit dont elles seules étaient en possession depuis tant de siècles.
XIV. Venons à vos rites religieux. Je ne parle pas de vos sacrifices où vous n'offrez que des victimes mortes, infectes, rongées par les ulcères. S'en rencontre-t-il de meilleures, d'intactes? vous avez grand soin de n'en donner que les extrémités, tout ce qui n'est bon à rien, et qu'à la maison vous auriez jeté à vos esclaves ou à vos chiens. De la dîme que vous devez à Hercule, il n'en paraît pas le tiers sur ses autels. Sage économie! je dois la louer; elle sauve du moins une partie de ce qui sans elle serait entièrement perdu.
Mais si je détourne les yeux sur les ouvrages où vous puisez des leçons de sagesse et de morale, que je trouve de fables ridicules! Vos dieux, partagés entre les Grecs et les Troyens, combattent les uns contre les autres, comme des couples de gladiateurs. Vénus est blessée d'une flèche lancée par une main mortelle; Mars est dévoré d'ennui pendant treize mois dans les fers; Jupiter, enchaîné par la troupe des dieux, ne doit sa liberté qu'à un monstre; tantôt il pleure la mort de son fils Sarpédon; tantôt brûlé d'un amour incestueux pour sa sœur, il lui nomme toutes ses maîtresses, qui lui sont bien moins chères, s'il faut l'en croire.
D'après l'exemple de leur prince, quels poètes craignent de déshonorer les dieux? L'un envoie Apollon garder les troupeaux d'Admète; l'autre fait de Neptune un maçon, et loue ses services à Laomédon de Troie. Un fameux lyrique, Pindare, chante qu'Esculape fut frappé de la foudre pour avoir exercé la médecine avec une avarice criminelle. |281 Quelle indignité de la part de Jupiter, si la foudre est partie de sa main! Le voilà convaincu d'inhumanité envers son petit-fils, de jalousie envers le talent. Convient-il à des hommes religieux de le dire, si cela est vrai; ou de l'inventer, si cela est faux? Les poètes comiques et tragiques ne ménagent pas plus vos dieux; ils se plaisent à choisir pour sujets leurs malheurs et leurs égarements.
Je ne dis rien des philosophes: je me contente de citer Socrate, qui, pour se moquer des dieux, jurait par un chêne, par un bouc, par un chien. Aussi, répondez-vous, Socrate fut-il condamné comme athée. La vérité fut toujours en butte à la haine. Mais le repentir des Athéniens qui punirent les accusateurs de Socrate, qui lui dressèrent une statue d'or dans un temple après avoir cassé leur premier jugement, l'a, je pense, suffisamment justifié. Dio-gène ne s'est-il pas permis je ne sais quelles railleries envers Hercule? Et le cynique romain, Varron, n'a-t-il pas imaginé trois cents Jupiter sans têtes?
XV. Les auteurs de vos farces ne vous divertissent qu'en couvrant d'opprobres vos dieux. Voyez les bouffonneries des Lentulus et des Hostilius. Dans ces mimes, dans ces plaisanteries, croyez-vous rire des histrions ou des dieux, quand vous mettez sur la scène un Anubis adultère, la Lune homme, Diane battue de verges, le Testament de feu Jupiter, les trois Hercules faméliques? Ne représente-t-on pas au naturel toute la turpitude de vos divinités? Le Soleil pleure son fils précipité du ciel; vous riez de ses larmes! Cybèle soupire pour un berger dédaigneux; vous n'en rougissez pas! On chante les histoires scandaleuses de Jupiter; Paris juge Minerve, Junon et Vénus, et vous le souffrez! Que dirai-je? c'est le plus infâme des hommes qui revêt le personnage de votre Dieu; c'est un impudique dressé à ce rôle par une longue corruption, qui représentera un Hercule, une Minerve! N'est-ce pas là insulter, avilir la majesté des dieux jusqu'au milieu de vos applaudissements? |282
Etes-vous plus religieux dans l'amphithéâtre, où vos dieux viennent danser sur du sang humain, sur les traces dégoûtantes d'horribles supplices, et fournir aux criminels le sujet des scènes qu'ils donnent au public? Souvent même ces malheureux subissent le sort des dieux. Nous avons vu le misérable qui jouait Atys, ce Dieu de Pessinunte, mutilé sur le théâtre; l'acteur qui représentait Hercule expirer dans les flammes. Nous avons vu, non sans hilarité, dans les jeux barbares des peuples du Midi, Mercure touchant les morts de sa baguette brûlante, et le frère de Jupiter précipiter dans le Tartare, à coups de marteau, les corps des gladiateurs. Si tout cela, et tout ce qu'on pourrait ajouter, déshonore vos dieux et. abaisse leur majesté, de pareilles licences décèlent par conséquent un souverain mépris pour leurs personnes, et dans les acteurs qui jouent, et dans les spectateurs qui applaudissent.
Mais, dites-vous, ce ne sont là que des jeux. Si j'ajoute donc, ce que la conscience publique avouera, que c'est dans vos temples, que c'est au pied des autels que se négocient les adultères et les plus infâmes commerces; que c'est d'ordinaire chez les prêtres et les ministres des dieux, sous les bandelettes, sous la pourpre et les ornements sacrés, tandis que l'encens fume encore, que la passion s'assouvit, je ne sais si vos dieux n'auront pas plus à se plaindre de vous que des Chrétiens. Du moins, tous les sacrilèges sont parmi vous; les Chrétiens n'entrent pas même de jour dans vos temples. Mais peut-être que s'ils adoraient de pareilles divinités, il les dépouilleraient comme vous.
Qu'adorent-ils donc, ceux qui ne les adorent pas? Il est à présumer qu'ils sont des adorateurs du vrai Dieu, puisqu'ils n'adorent pas des dieux mensongers; qu'ils ne donnent plus dans l'erreur, puisqu'après l'avoir reconnue ils l'ont abjurée. Admettez d'abord ce point: je vous expliquerai bientôt l'ensemble de nos mystères; mais il faut auparavant effacer les fausses impressions que vous en avez prises. |283
XVI. Quelques-uns de vous ont rêvé que notre Dieu était une tête d'âne. Tacite est l'auteur de cette ridicule invention. Dans le cinquième livre de son histoire, où il parle de la guerre des Juifs, il remonte à l'origine de ce peuple. Après avoir dit sur leur origine, sur leur nom et leur religion tout ce qu'il lui plaît d'imaginer, il raconte que les Juifs, libres du joug de l'Egypte, ou, comme il le pense, chassés de ce pays, et traversant les vastes et arides déserts de l'Arabie, étaient près de mourir de soif lorsqu'ils aperçurent des ânes sauvages qui allaient boire, et qui leur découvrirent une source. Il ajoute que, par reconnaissance, ils consacrèrent une statue représentant un âne. De là on a conclu, j'imagine, que les Chrétiens, rapprochés par leur religion du culte judaïque, adoraient la même idole. Cependant ce même historien, si fertile en mensonges, rapporte dans la même histoire que Pompée, après s'être rendu maître de Jérusalem, entra dans le temple pour y surprendre ce qu'il y avait de plus secret dans la religion des Juifs, et qu'il n'y trouva aucun simulacre. Assurément, si celui-ci eût été un objet d'adoration pour les Juifs, il l'eussent placé dans le sanctuaire plutôt que partout ailleurs, puisqu'ils n'auraient point eu à redouter les regards des étrangers dans ce culte, vain et superstitieux. Il n'était permis qu'aux prêtres d'entrer dans le sanctuaire; le voile qui le séparait du reste du temple en dérobait la vue aux spectateurs. Pour vous, vous ne le nierez pas, vous adorez les chevaux et les bêtes de charge, avec leur déesse Epone. Voilà peut-être ce que vous trouvez à reprocher aux Chrétiens, c'est que parmi ces adorateurs de toutes sortes d'animaux, ils se bornent à adorer l'âne.
Quant à ceux qui prétendent que nous adorons une croix, nous ne faisons que les imiter, s'il est vrai que nous invoquions du bois. Qu'importe ici la forme, si la matière est la même, et si cette matière est censée le corps d'un Dieu? Y a-t-il grande différence d'une croix à la Pallas athénienne, à la Cérès du Phare, qui s'élève comme une |284 pièce de bois grossière, informe, sans figure? Tout poteau dressé en l'air est la moitié d'une croix; ainsi nous adorerions, nous, le Dieu tout entier. Nous avons dit plus haut que les ouvriers font prendre à vos dieux leur forme sur une croix; d'ailleurs, en adorant les Victoires, vous adorez les croix qui sont au milieu des trophées. Vos armées révèrent leurs enseignes, jurent par elles, les préfèrent même à tous les dieux. Ces images superbes sont la parure des croix, ces voiles, ces étoffes précieuses de vos drapeaux et de vos étendards servent à les enrichir. J'approuve votre délicatesse, vous n'avez pas voulu les adorer nues et sans ornement!
D'autres, avec plus de vraisemblance et de raison, s'imaginent que le soleil est notre Dieu. Ainsi, nous voilà rangés parmi les Perses, quoique nous n'adorions pas comme eux l'image du soleil peinte sur une toile ou représentée sur nos boucliers. Ce qui a fait naître ce soupçon, c'est sans doute parce que nous nous tournons vers l'orient pour prier. Mais ne voit-on pas la plupart d'entre vous tournés vers le soleil levant, affecter d'adorer le ciel et de remuer les lèvres? Si nous donnons à la joie le jour du soleil, c'est pour une raison tout autre que l'adoration du soleil. Nous célébrons le jour qui suit immédiatement celui de Saturne, que vous passez dans l'oisiveté et les festins, bien différemment des Juifs, dont vous ignorez les usages.
Mais depuis peu on a représenté notre Dieu dans cette cité sous une forme nouvelle. Un de ces hommes qui louent leur sang pour combattre contre les bêtes, a exposé un tableau avec cette inscription: Le dieu des Chrétiens, Onochœtès (race d'âne). Il y était représenté avec des oreilles d'âne, un pied de corne, un livre à la main, et vêtu de la toge. Nous avons ri du nom et du travestissement; mais dans le vrai, ce monstre à double forme était le dieu qui convenait merveilleusement à ceux qui adorent des divinités avec des têtes de lion et de chien, des cornes de chèvre et de bélier, boucs depuis les reins, serpents depuis les cuisses, portant des ailes au dos ou bien aux |285 pieds. Ces détails étaient superflus; je n'ai pas voulu qu'on me reprochât d'avoir omis à dessein rien de ce que nous impute la rumeur publique. L'exposé de notre croyance achèvera de répondre à toutes ces imputations.
XVII. Le Dieu que nous adorons est un Dieu unique, dont la parole qui commande, dont la sagesse qui dispose, dont la force qui produit, a tiré du néant le monde et les éléments, les corps et les esprits, pour être l'ornement de sa grandeur. C'est pour cela que les Grecs ont donné au monde un nom qui signifie ornement. Dieu est invisible, quoiqu'il se manifeste partout; insaisissable, quoique sa grâce nous le représente; incompréhensible, quoique l'intelligence humaine s'élève jusqu'à lui. Par là même se prouvent sa vérité et sa grandeur; car ce qu'on peut voir à la manière ordinaire, ce qu'on peut comprendre et saisir, est inférieur à l'œil qui voit, à la main qui touche, à la raison qui comprend; mais ce qui est immense ne peut être parfaitement connu que de soi-même. Rien ne donne une idée plus magnifique de Dieu que l'impuissance où nous sommes de le concevoir. Son essence, qui ne connaît point de bornes, le découvre et le cache tout à la fois aux regards des hommes; aussi leur plus grand crime, c'est de ne pas vouloir reconnaître celui qu'il est impossible d'ignorer.
Voulez-vous qu'on vous prouve l'existence de Dieu par tant et de si merveilleux ouvrages sortis de ses mains, par ceux qui nous environnent, par ceux qui nous conservent, par ceux qui nous réjouissent, par ceux mêmes qui nous épouvantent? Voulez-vous écouter le témoignage de votre ame? interrogez-la. Malgré la prison d'un corps qui la captive, malgré les préjugés de l'éducation qui arrêtent son essor, malgré les passions qui l'énervent, et les idoles qui la tiennent en esclavage, lorsqu'elle sort comme de l'ivresse ou d'un profond sommeil, ou d'une maladie, et qu'elle recouvre pour ainsi dire la santé, la voilà qui invoque Dieu sous le nom seul qui lui convienne. Grand Dieu! bon Dieu! |286 ce qui flaira à Dieu! tel est le cri universel. Elle le reconnaît aussi pour juge par ces paroles: Dieu le voit! Je me repose sur Dieu! Dieu me le rendra! O témoignage de l'ame naturellement chrétienne! Et quand elle tient ce langage, elle regarde, non le Capitole, mais le ciel; elle sait bien que c'est la demeure du Dieu vivant, que c'est de lui, que c'est de là qu'elle descend.
XVIII. Pour nous donner une connaissance plus complète, plus vive et de ses secrets et de ses volontés, à nos premières lumières il a joint celle des Ecritures, qui nous apprennent à le chercher, à le trouver, à croire en lui quand on l'a découvert, à le servir selon notre foi. Dès le commencement il a envoyé sur la terre des hommes dignes par leur justice et par leur innocence de le connaître et de le faire connaître; il les a inondés de son Esprit pour annoncer qu'il n'y a qu'un Dieu, qui a tout créé, qui a formé l'homme du limon de la terre ( c'est là le vrai Prométhée), qui a réglé l'année par le retour invariable des saisons, qui a placé dans les tempêtes, dans les feux de sa foudre les signes de sa majesté et de la terreur de ses jugements, qui a tracé des préceptes par lesquels on peut lui plaire, préceptes que vous ignorez ou que vous transgressez, mais auxquels sont attachées de magnifiques récompenses; car à la fin des temps il jugera ces fidèles adorateurs pour leur donner un bonheur sans fin, et les profanes, pour les livrer à des flammes également éternelles. Tous seront rappelés à la vie, recréés, examinés pour qu'il soit fait justice selon les œuvres. Comme vous, nous avons ri de ces dogmes: nous avons été des vôtres. Les hommes ne naissent pas Chrétiens, ils le deviennent. Les prédicateurs dont nous avons parlé, on les appelait prophètes, parce qu'ils prédisaient l'avenir; leurs prophéties et les miracles qu'ils opéraient pour attester la divinité de leur mission, sont consignés dans le trésor de nos livres sacrés: ces livres, maintenant, sont connus de tout le monde. Le plus savant des Ptolémées, surnommé |287 Philadelphe, fort habile dans toutes les sciences, ayant conçu le projet de former une nombreuse bibliothèque, à l'exemple peut-être de Pisistrate, donna tous ses soins pour rassembler les livres les plus anciens et les plus renommés. Sur l'avis du célèbre Démétrius de Phalère, son bibliothécaire, il fit demander aux Juifs leurs livres écrits dans leur idiome, et qui ne se trouvaient que chez eux. Les prophètes, tous Juifs d'origine, n'avaient prophétisé que pour les Juifs, peuple adoptif de Dieu, en vertu de la grâce faite à leurs pères. Les Juifs sont originairement Hébreux; aussi est-ce dans cette langue qu'ils parlent et qu'ils ont écrit. Pour donner l'intelligence de leurs livres à Ptolémée, ils lui envoyèrent soixante-douze interprètes. Le philosophe Ménédême, frappé de. l'uniformité de leurs versions, a reconnu dans cet accord l'œuvre de la Providence. Aristée nous l'atteste: il nous a laissé en grec, comme témoignage, un monument non suspect. On voit encore aujourd'hui ces livres dans la bibliotèque de Ptolémée, près du temple de Sérapis, avec l'original hébreu. Les Juifs ont la liberté de les lire publiquement, moyennant un tribut. On va en écouter la lecture le jour du sabbat. Qu'on les consulte, on apprendra à y connaître Dieu, et qui les approfondira sera forcé de croire.
XIX. La haute antiquité de ces livres leur concilie une autorité supérieure à celle de tous les autres. Chez vous, l'antiquité va de pair avec la religion. Or, les livres d'un seul de nos prophètes, qui sont comme un trésor où sont déposés les mystères de la religion juive, et par conséquent de la nôtre, devancent de plusieurs siècles ce que vous avez de plus reculé, vos édifices, vos monuments, vos origines, vos institutions, votre histoire, vos idiomes les plus surannés, la plupart de vos peuples, les cités les plus fameuses, jusqu'aux caractères de l'écriture, ces témoins et ces gardiens de toutes les choses humaines. Je n'en dis point assez: ils sont antérieurs de plusieurs siècles à vos dieux, à vos temples, à vos oracles, à vos sacrifices. Si vous avez |288 entendu parler de Moïse, Moïse est le contemporain d'Inachus, roi d'Argos; il précéda de cent soixante-dix ans Danaüs, un de vos plus anciens rois, d'environ huit cents ans la fondation de Rome, d'environ mille ans le désastre de Priam. Je pourrais aussi le placer plus de cinq cents ans avant Homère; les autorités ne me manqueraient point. Tous les autres prophètes sont postérieurs à Moïse, et cependant les moins anciens devancent encore les plus anciens de vos sages, de vos législateurs et de vos historiens.
La preuve des faits que je viens d'avancer n'est pas difficile, mais elle est immense; elle n'est point pénible, mais longue; elle demande bien des calculs et des investigations. Il faut ouvrir les archives des peuples les plus anciens, des Egyptiens, des Chaldéens, des Phéniciens; il faut consulter leurs historiens, qui peuvent faire jaillir la lumière, Manéthon d'Egypte, Bérose de Chaldée, Iromus de Phénicie, roi de Tyr, et ceux qui ont écrit d'après eux, Ptolémée de Mendès, Ménandre d'Ephèse, Démétrius de Phalère, le roi Juba, Appion, Thallus, et le juif Josèphe, qui tantôt les suit, tantôt les combat dans son ouvrage sur les antiquités de sa nation. Il faudrait aussi conférer les annales des Grecs, s'attacher à fixer les dates de chaque événement pour enchaîner les temps dans une chronologie lumineuse; il faudrait pour ainsi dire, voyager à travers les histoires et les littératures du genre humain: c'est déjà avoir fourni la moitié de la preuve que d'indiquer les sources d'où on peut la tirer. Nous nous bornons là aujourd'hui, de peur ou de la tronquer en nous hâtant, ou de nous écarter du but par un trop long développement.
XX. En dédommagement de ce délai, nous vous offrons quelque chose de mieux que l'antiquité de nos Ecritures, c'est leur sublime majesté; si l'on doute qu'elles soient les plus anciennes, nous prouvons qu'elles sont divines; il ne faut pas en tirer la preuve de très-loin; et d'ailleurs, ce que nous avons sous les yeux nous instruira, je veux dire le monde, le temps présent, les événements. Ce qui arrive, ce |289 que nous voyons tous les jours, a été prédit. Il a été prédit que la terre engloutirait des cités, que les mers recouvriraient des îles, que des guerres intestines et étrangères déchireraient les nations, que les royaumes heurteraient les royaumes, que la famine, la peste, des calamités publiques désoleraient certaines contrées, que les bêtes féroces feraient de grands ravages, que les petits seraient élevés et les grands humiliés, que la justice deviendrait plus rare, que l'iniquité se propagerait, que l'amour de toutes les vertus s'affaiblirait, que l'harmonie des saisons et des éléments serait bouleversée, enfin que des monstres et des prodiges troubleraient le cours de la nature. Tout cela a été écrit d'une manière très-providentielle. Tandis que nous souffrons ces épreuves, nous les lisons, et tandis que nous les lisons, nous les voyons se réaliser. Voilà, si je ne me trompe, pour nos prophéties une grande preuve de divinité: les oracles accomplis nous font croire ceux qui restent à s'accomplir, puisqu'ils sont mêlés à ceux qui s'accomplissent sous nos yeux. Les mêmes bouches les ont prononcés, les mêmes mains les ont écrits, le même esprit les a dictés. Il n'y a qu'un temps pour les prophètes, car la prophétie qui pénètre l'avenir se perd dans le présent, tandis que l'homme distingue le temps à mesure que s'écoule le présent: le futur devient le présent, et le présent le passé. Je vous le demande, avons-nous tort de croire pour l'avenir ceux que nous avons déjà trouvés si fidèles pour le présent et pour le passé?
XXI. Comme nous avons avancé que la religion des Chrétiens s'appuie sur les livres des Juifs, les plus anciens qui existent, et que cependant elle est toute nouvelle, puisqu'elle ne remonte pas au-delà du règne de Tibère, ainsi que tous le savent, et que nous le disons nous-mêmes, peut-être, à cet égard, voudra-t-on l'attaquer, comme si, à l'ombre d'une religion bien connue et permise, la nôtre cachait des opinions nouvelles et particulières, ou bien parce que, outre la date, nous n'avons rien de commun |290 avec les Juifs, ni l'abstinence de certaines viandes, ni les fêtes, ni la circoncision, ni le nom, toutes choses indispensables, selon vous, si nous reconnaissions le même Dieu. Le peuple lui-même connaît le Christ, mais comme un homme ordinaire, tel que les Juifs Font jugé. De là on se croit fondé à nous accuser d'adorer un homme.
Assurément, loin de rougir de Jésus-Christ, nous nous glorifions d'être poursuivis et condamnés pour son nom. Cependant nous n'avons point d'autre Dieu que le Dieu des Juifs. Il est nécessaire de nous expliquer sommairement sur le Christ, comme Dieu.
Les Juifs avaient mérité, par la foi et la justice de leurs pères, de devenir la nation chérie de Dieu: de là, la grandeur de leur nation, et leur empire florissant. Tel fut leur bonheur, que, par une prérogative singulière, Dieu leur parlait lui-même, les instruisait de ses commandements, et les avertissait de lui rester fidèles: mais, follement enflés des vertus de leurs ancêtres, ils abandonnèrent sa loi pour vivre dans les désordres du monde païen. Quand ils n'en conviendraient pas, leur déplorable catastrophe accuserait leurs prévarications. Dispersés, vagabonds, bannis du ciel et du sol de leur patrie, ils errent dans toutes les contrées sans avoir ni Dieu ni homme pour roi, sans qu'il leur soit permis de saluer la terre paternelle, et d'y mettre le pied, même à titre d'étrangers. Les saints oracles, qui les menaçaient de ces malheurs, leur annonçaient aussi que, vers la fin des temps, Dieu se choisirait parmi toutes les nations, et dans toutes les parties de l'univers, des adorateurs plus fidèles qu'il investirait, à leur préjudice, de grâces plus abondantes, à cause de la dignité du nouveau législateur. Or, le dispensateur et l'arbitre do cette grâce, le législateur du nouveau culte, le bienfaiteur du genre humain, dont il allait devenir le réformateur et la lumière, était annoncé comme le Fils de Dieu, mais non pas de manière à rougir du nom de fils et des désordres de son père, ou de l'inceste d'une sœur, du déshonneur d'une |291 fille, de l'infidélité d'une épouse étrangère, condamné à avoir pour père un dieu que l'amour métamorphose en serpent, en taureau, en oiseau et en pluie d'or. Vous reconnaissez là votre Jupiter. Mais le Fils de Dieu n'a point de mère qui l'ait mis au jour d'une manière impure: la mère qu'il parut avoir ne connaissait aucun homme. Je vais vous expliquer sa nature, pour vous faire entendre le mystère de sa naissance.
J'ai dit que Dieu avait créé le monde par sa parole, sa raison et sa puissance; vos philosophes même conviennent que Logos, c'est-à-dire le Verbe, la sagesse, est l'architecte de ce monde. Zenon le désigne comme le sublime ouvrier qui a tout arrangé, disposé; il l'appelle Destin, Dieu, l'ame de Jupiter, la nécessité de toutes choses. Selon Cléanthe, ce sont là les attributs de l'Esprit répandu dans toutes les parties de l'univers. Nous disons aussi, nous, que la propre substance du Verbe, de la raison et de la puissance, avec laquelle Dieu a tout fait, est un Esprit, Verbe quand il ordonne, raison quand il dispose, puissance quand il exécute. Nous avons appris que cette parole, ce Verbe, Dieu l'a proféré, et en le proférant l'a engendré, et que par là il est Fils de Dieu lui-même par l'unité de substance; car Dieu est Esprit. Le rayon parti du soleil est une portion d'un tout; mais le soleil est dans le rayon, puisque c'est le rayon du soleil: il n'y a pas séparation, mais seulement extension de substance. Il en est ainsi du Verbe, Esprit engendré d'un Esprit, Dieu de Dieu, comme la lumière émane de la lumière. La source de la lumière ne perd rien ni de sa substance ni de son éclat lorsqu'elle se répand et se communique. De même, ce qui procède de Dieu est Dieu, fils de Dieu, et les deux ne font qu'un, Esprit de l'Esprit, Dieu de Dieu, autre en propriété, non en nombre, en ordre, non en nature", sorti de son principe sans le quitter.
Ce rayon de Dieu, ainsi qu'il était prédit dès l'origine des temps, est descendu dans une Vierge, et, devenu |292 chair dans son sein, il naît homme uni à Dieu. La chair, animée par l'Esprit, se nourrit, croît, parle, enseigne, opère; et voilà le Christ. Recevez toujours cette doctrine, ne fût-ce qu'une fable comme les vôtres, en attendant que je vous montre comment on prouve que le Christ est Dieu. Ceux qui parmi vous ont imaginé des fables pour détruire cette vérité, qu'elles s'efforçaient de contrefaire, savaient que le Christ devait venir. Les Juifs le savaient: c'était à eux que s'adressaient les prophètes. Aujourd'hui ils attendent encore son avènement; et le grand débat entre eux et nous, c'est qu'ils soutiennent qu'il n'a point encore paru. Deux avènements du Christ sont marqués dans les prophètes, le premier dans la bassesse de la condition humaine; il a eu lieu; le second dans la splendeur de la Divinité qui se manifeste; il est réservé pour la consommation des temps. Les Juifs, ne comprenant pas le premier, espèrent le second qui a été prédit avec plus de clarté, et se persuadent qu'il est l'unique. Leurs infidélités les ont empêchés de reconnaître le premier, qu'ils auraient cru s'ils l'eussent compris, et qui les aurait sauvés s'ils l'eussent cru. Ils lisent eux-mêmes dans leurs livres la déclaration que Dieu, pour les châtier, leur a dérobé la sagesse et l'intelligence, l'usage des yeux et des oreilles. Comme les abaissements de Jésus-Christ ne leur laissaient voir dans sa personne qu'un homme ordinaire, sa puissance devait le leur faire regarder comme un magicien. D'un mot, chassant les démons qui obsédaient l'homme, rendant la lumière à des yeux éteints, la santé aux lépreux, le mouvement aux paralytiques, la vie aux morts, soumettant les éléments, apaisant les tempêtes et marchant sur les eaux, il manifestait partout dans sa personne le Logos, c'est-à-dire le Verbe éternel de Dieu, son premier né, toujours rempli de sa vertu et de sa raison, toujours soutenu par son esprit. Mais les docteurs et les chefs de la nation, révoltés contre une doctrine qui les confondait, jaloux d'ailleurs de voir le peuple en foule courir sur ses |293 pas, contraignirent Pilate, gouverneur d'une partie de la Syrie pour les Romains, de l'abandonner à leur haine pour l'immoler sur une croix. Lui-même l'avait prédit. Ce n'est point assez: les prophètes l'avaient annoncé bien des siècles auparavant. Attaché à la croix, il rendit l'ame en poussant un grand cri, et prévint le ministère du bourreau. A l'instant le jour s'éteignit, quoique le soleil ne fût encore que dans son midi. Ceux qui ignoraient que ce phénomène avait été prédit pour la mort du Christ, le prirent pour une éclipse. On l'a nié ensuite, faute d'en connaître la cause. Mais, ouvrez vos archives! le prodige s'y trouve consigné.
Après que son corps eut été détaché de la croix et déposé dans le tombeau, les Juifs l'environnèrent avec grand soin de nombreuses sentinelles, de peur que ses disciples ne l'enlevassent furtivement, et ne persuadassent à des hommes déjà prévenus, qu'il était ressuscité le troisième jour, ainsi qu'il l'avait prédit. Le troisième jour arrive; voilà que tout à coup la terre tremble; l'énorme pierre qui fermait le sépulcre est renversée; les gardes fuient saisis d'épouvanté, sans qu'il eût paru aucun de ses disciples, et, dans le tombeau vide, on ne trouve plus que les dépouilles d'un tombeau. Cependant, les principaux de la nation, intéressés à supposer un crime, et. à tenir éloigné de la foi un peuple tributaire et placé sous leur dépendance, firent courir le bruit que le corps du Christ avait été dérobé par ses disciples.
Le Christ ne se montra point à la multitude: l'impiété devait être punie par l'aveuglement: n'était-il pas juste aussi que la foi, destinée à de magnifiques récompenses, fût achetée par quelques épreuves? Mais il demeura pendant quarante jours avec ses disciples dans la Galilée, qui fait partie de la Judée, leur enseignant ce qu'ils devaient enseigner eux-mêmes; après quoi, leur ayant donné mission de proclamer son Evangile, il s'éleva dans le ciel, environné d'une nuée qui le déroba à leurs regards: |294 prodige beaucoup plus certain que l'apothéose de Romulus, dont vous n'avez que des Proculus pour garants. Pilate, chrétien dans le cœur, rendit compte de ces événements à l'empereur Tibère. Les Césars auraient cru au Christ s'ils n'avaient pas été nécessaires au monde, ou s'ils avaient pu être Césars et Chrétiens tout ensemble. Les apôtres, fidèles à leur mission, se partagèrent l'univers, et après avoir beaucoup souffert des Juifs soulevés contre la religion du Christ, avec ce courage et cette confiance que donne la vérité, ils répandirent le sang chrétien à Rome durant la persécution de Néron.
Nous vous produirons des témoins irréprochables de la divinité du Christ, ceux même que vous adorez: et c'est un argument bien fort, je pense, que d'employer, pour vous faire croire les Chrétiens, ceux même qui vous empêchent de les croire.
En attendant, voilà un ensemble de ce que nous sommes. Nous avons produit l'origine de notre religion, et de notre nom, en faisant connaître son auteur. Que personne ne cherche plus dès-lors à nous décrier, et ne pense autre chose de nous que ce qui est: il n'est pas permis de mentir sur le fait de sa religion. En disant que l'on adore ce que l'on n'adore pas en effet, on renie le véritable objet de son culte; on abjure sa religion, en transportant à un autre les honneurs divins. Oui, nous le confessons, nous le proclamons à la face du monde, jusqu'au milieu de vos tortures, mis en lambeaux, couverts de notre sang, nous confessons hautement que nous adorons Dieu par le Christ. Croyez-le un homme, si vous voulez! c'est par lui, c'est en lui que Dieu veut être connu et adoré.
Je répondrai aux Juifs que c'est par le ministère d'un homme, de Moïse, qu'ils ont appris eux-mêmes à connaître Dieu. Je répondrai aux Grecs, qu'Orphée dans la Thrace, Musée à Athènes, Mélampe à Argos, Trophonius dans la Béotie, avaient leurs initiations et leurs mystères. Faut-il arriver jusqu'à vous, ô maîtres du monde? Numa, qui |295 n'était qu'un homme, plia les Romains au joug des plus gênantes superstitions. Ne sera-t-il pas permis au Christ de révéler le secret de la divine essence qui lui est propre? Ne lui sera-t-il pas permis, je ne dis pas de chercher avec Numa à dompter, à humaniser un peuple grossier et farouche, en frappant ses sens par le spectacle d'une multitude de divinités qu'il fallait apaiser, mais de donner à des nations civilisées sans doute, que dis-je? trompées par leur urbanité même, des yeux pour entrevoir la vérité? Examinez donc si le Christ est vraiment Dieu, et si sa religion conduit à la réforme des mœurs et à la pratique du bien quiconque l'embrasse. Il s'ensuit que toute autre religion qui lui est opposée est fausse, particulièrement celle qui, se cachant sous des noms et des simulacres de morts, n'offre pour garantie de sa divinité que de vains symboles, que de prétendus prodiges et de ridicules oracles.
XXII. Nous reconnaissons des substances spirituelles, et leur nom lui-même n'est pas nouveau. Les philosophes savent qu'il y a des démons: Socrate n'attendait-il pas la réponse de son démon familier? Et pourquoi pas? Ne s'était-il pas attaché à lui dès son enfance? et certes, ce n'était pas pour le porter au bien. Les poètes savent également qu'il y a des démons. La multitude la plus ignorante mêle ce nom dans ses jurements et ses imprécations; c'est comme avec le sentiment d'une conviction intime qu'elle prononce par mode d'exécration le nom de Satan, chef d'une race perverse. Platon reconnaît aussi des anges. Ecoutons les magiciens! Ils nous apprennent qu'il existe des démons et des anges. Mais comment de quelques anges qui se sont volontairement pervertis, est venue la race plus perverse encore des démons réprouvée par Dieu avec leurs auteurs et leur prince, c'est ce qu'il faut voir en détail dans les livres saints.
Il suffira de parler de leurs opérations, dont le but unique est la ruine de l'homme. Dès le berceau du monde, |296 leur malice s'est signalée par sa perte. Ils causent au corps des maladies et de funestes accidents, et à l'ame des émotions subites, désordonnées, par la violence de leur surprise. La subtilité de ces esprits, qui échappe à nos sens, îes rend propres à agir ainsi sur notre double substance. Des forces purement spirituelles restent invisibles, impalpables; quand elles agissent, on ne les reconnaît qu'à leurs effets, soit, par exemple, que le poison secret d'un souffle meurtrier fasse tomber le fruit dans sa fleur, l'étouffe dans son germe, ou le blesse dans sa naissance; soit que l'air vicié dans ses principes exhale des miasmes pestilentiels. C'est par des ressorts aussi cachés que l'influence maligne des anges et des démons remue, corrompt les âmes, les jette dans des accès de fureur et de démence, leur souffle d'infâmes passions, les offusque par mille erreurs, dont la plus grave est celle qui fait prendre à l'homme, ainsi trompé et circonvenu, ces démons pour des dieux, au point d'offrir comme aliments à leurs simulacres et à leurs images, l'odeur des sacrifices et des parfums. Mais est-il pour eux un plus grand bonheur que d'éloigner l'homme du vrai Dieu par leurs prestiges et leurs oracles mensongers? Comment s'y prennent-ils? Je vais vous le dire. Tout esprit a la vitesse d'un oiseau; tels sont les anges et les démons; ils se transportent donc partout en un moment; toute la terre n'est pour eux qu'un seul et même lieu. Il leur est aussi facile de savoir ce qui arrive quelque part que de le publier. Leur vélocité, parce que leur nature est inconnue, les fait passer pour des dieux: ils veulent paraître les auteurs de ce qu'ils annoncent; ils le sont quelquefois du mal; du bien, jamais. Ils ont même appris les desseins de Dieu, autrefois par la voix des prophètes, aujourd'hui par leurs écrits qui retentissent encore. C'est ainsi qu'en dérobant à la divinité quelques-uns des ses secrets, ils sont parvenus à la contrefaire. Quant à leurs oracles, sous combien d'ambiguïtés ils les enveloppent ! avec quelle adresse |297 ils les plient à l'événement, quel qu'il soit! Crésus et Pyrrhus peuvent vous en parler savamment. Si la prêtresse sut à Delphes que Crésus faisait cuire une tortue avec de la chair d'agneau, c'est qu'en un clin d'œil le dieu s'était transporté en Lydie. Répandus dans l'air, portés sur les nues, voisins des astres, il leur est facile de prédire les changements de temps, la pluie, par exemple, que déjà ils sentent. Vantez leur secours dans la guérison des maladies, je vous le conseille. Ils commencent par vous les donner; ils prescrivent ensuite des remèdes inouïs ou contraires. On croit qu'ils ont guéri le mal, ils ont simplement cessé d'en faire. A quoi bon citer après cela les impostures et les prestiges de ces esprits trompeurs, ces fantômes sous la figure de Castor et de Pollux, l'eau qu'une Vestale porte dans un crible, le vaisseau qu'une autre tire avec sa ceinture, cette barbe qui devient rousse sous la main qui la touche? Et pourquoi tous ces prodiges? afin qu'on adore des pierres et qu'on ne s'occupe plus du vrai Dieu.
XXIII. Or, si les magiciens font paraître des fantômes, s'ils évoquent les âmes des morts, s'ils font rendre des oracles à des enfants; si, habiles charlatans, ils imitent les miracles, s'ils savent même envoyer des songes à la faveur des anges et des démons qu'ils ont invoqués et qui leur confient leurs pouvoirs, et par lesquels des chèvres, des tables devinent l'avenir, à plus forte raison ces puissances séductrices feront-elles par elles-mêmes et pour elles ce qu'elles opèrent pour des intérêts étrangers. Mais si vos dieux ne faisaient rien de plus que les anges et les démons, que deviendrait la prééminence, la supériorité qui caractérise essentiellement la nature divine? Quand ils font des prodiges pour établir la croyance des dieux, n'est-il pas plus probable qu'ils aiment mieux se faire dieux que de se donner simplement pour anges ou démons? Ou bien, toute la différence viendrait-elle des lieux? Ceux que vous proclamez dieux dans vos temples, cesseraient-ils de l'être |298 partout ailleurs? Dites alors que ceux qui courent sur les tours des temples ne sont pas fous comme ceux qui courent sur les toits de leurs voisins; ceux qui se mutilent, comme ceux qui se coupent la gorge. Des extravagances qui se ressemblent partent du même principe. Mais jusqu'ici ce ne sont que des paroles. Voici la démonstration par le fait, que les dieux et les démons sont absolument les mêmes.
Que l'on appelle devant vos tribunaux un homme connu pour être possédé du démon, un Chrétien, quel qu'il soit, n'importe, commandera à l'esprit impur de parler: aussitôt il confessera qu'il est véritablement démon, et qu'ailleurs il se dit faussement dieu. Amenez également quelqu'un de ceux qu'on croit agités par un dieu, qui, la bouche béante sur l'autel, hument la divinité avec la vapeur, parlent avec de violents efforts, et n'envoient de leur poitrine haletante que des mots entrecoupés. Si cette vierge Célestis, déesse de la pluie, si Esculape, inventeur de la Médecine, qui a rendu la vie à Socordius, Thanatius et Asclépiodote, destinés à la perdre une seconde fois; si Célestis et Esculape, n'osant mentir à un Chrétien, ne confessent pas qu'ils sont des démons, répandez sur le lieu même le sang de ce téméraire Chrétien. Quoi de plus clair qu'un pareil témoignage et de plus sûr qu'une pareille preuve? Voilà la vérité elle-même avec sa simplicité, avec son énergie. Que pourriez-vous soupçonner? de la magie, ou de l'imposture? Vos yeux et vos oreilles vous confondraient. Qu'avez-vous donc à opposer à l'évidence toute nue et sans art?
Si vos dieux le sont véritablement, pourquoi s'accusent-ils faussement de n'être que des démons? Est-ce par déférence pour nous! Vos dieux sont donc soumis aux Chrétiens. Et quelle divinité qu'une divinité asservie à l'homme, et ce qu'il y a de plus humiliant encore, à son antagoniste! D'une autre part, s'ils sont anges ou démons, pourquoi répondent-ils ailleurs qu'ils possèdent les attributs divins? En effet, de même que ceux qui passent pour dieux, s'ils |299 l'étaient réellement, ne se diraient pas des démons, de peur de se dégrader par cet aveu, ainsi ceux que vous connaissez à coup sûr pour des démons, n'oseraient pas se dire dieux, s'il existait vraiment des dieux dont ils viendraient prendre le nom. Se hasarderaient-ils à profaner la redoutable majesté de leurs maîtres? Tant il est vrai que la divinité que vous adorez n'existe point. Si elle existait, elle ne serait ni usurpée par les démons, ni désavouée par les dieux. Les uns et les autres s'accordant à vous prouver qu'ils ne sont pas dieux, reconnaissez donc qu'ils sont tous des démons. Cherchez ailleurs la divinité! Les Chrétiens, après vous avoir convaincus de la fausseté de vos dieux par vos dieux mêmes, vous découvrent par la même voie quel est le vrai dieu, s'il est unique, s'il est celui que proclament les Chrétiens, s'il faut croire en lui et l'adorer, comme notre foi et nos rites le prescrivent.
Que vos dieux vous disent maintenant quel est ce Christ avec sa fabuleuse histoire; s'il n'est qu'un homme ordinaire; si ses disciples ont enlevé son corps furtivement du tombeau; s'il est encore parmi les morts; s'il n'est pas plutôt dans le ciel; s'il ne doit pas en descendre sur les ruines du monde, au milieu des frémissements et des lamentations de toutes les créatures, les Chrétiens seuls exceptés; s'il ne doit pas en descendre avec la majesté de celui qui est la puissance et l'esprit de Dieu, son Verbe, sa sagesse, sa raison, son Fils. Qu'ils insultent avec vous à nos mystères! qu'ils nient que Jésus-Christ après la résurrection générale jugera tous les hommes! qu'ils viennent encore avec Platon et les poètes nous placer sur son tribunal un Minos, un Rha-damante! que du moins ils essaient d'effacer l'ignominie de leur condamnation! qu'ils nous démontrent clairement qu'ils ne sont pas des esprits immondes, quand tout les en accuse, et le sang dont ils se repaissent, et les sacrifices dégoûtants qu'on leur offre, et toutes les infamies de leurs prêtres! qu'ils s'inscrivent en faux contre la sentence déjà prononcée contre leur perversité, et qui au jour |300 suprême s'étendra à leurs adorateurs et à leurs ministres.
L'empire que nous exerçons sur les démons nous vient du nom de Jésus-Christ et de la pensée des châtiments qu'ils savent que Dieu doit leur infliger par le Christ. Craignant le Christ en Dieu et Dieu dans le Christ, ils sont soumis aux serviteurs de Dieu et du Christ. Aussi, au moindre contact de nos mains, au moindre souffle de notre bouche, effrayés par la pensée et par l'image du feu éternel, vous les voyez pleins de terreur sortir à regret des corps, lorsque nous le commandons, et rougir d'une humiliation subie en votre présence. Vous les croyez quand ils mentent; croyez-les donc aussi quand ils disent la vérité contre eux-mêmes. On ment bien par vanité, mais pour se déshonorer, jamais. Aussi inclinons-nous bien plus à croire ceux qui font des aveux à leur préjudice, que ceux qui nient pour leur propre intérêt. Les témoignages de vos divinités font beaucoup de Chrétiens, parce qu'on ne peut les croire sans croire au Christ. Oui, ils enflamment la foi à nos saints livres, ils s'élèvent et affermissent notre espérance. Vous leur offrez en sacrifice le sang des Chrétiens: voudraient-ils perdre de si zélés, de si utiles adorateurs? S'il leur était permis de mentir quand l'un de nous les interroge en votre présence, pour leur arracher la vérité, s'exposeraient-ils, en vous rendant Chrétiens, à se voir chassés un jour par vous-mêmes?
XXIV. Quand vos dieux vous confessent qu'ils ne le sont pas, qu'il n'y a d'autre dieu que le Dieu des Chrétiens, en faut-il davantage pour nous justifier de l'accusation d'avoir outragé la religion romaine? Car, s'il est certain qu'ils ne sont pas dieux, il est par là même prouvé que ce n'est pas une religion; et si votre religion et vos dieux sont des chimères, comment pouvons-nous être coupables envers la religion? Votre accusation retombe suivons seuls qui, en adorant le mensonge, en méprisant, que dis-je? en combattant la vraie religion du vrai Dieu, chargez votre tête du crime trop réel d'irréligion. |301
Et quand il serait avéré que ce sont des dieux, ne convenez-vous pas, d'après l'opinion générale, qu'il existe un être plus élevé, plus parfait, et comme le maître de l'univers, dans lequel réside la plénitude de la puissance et de la majesté? Tel est le système adopté par le plus grand nombre d'entre vous au sujet de la divinité. L'autorité souveraine est dans les mains d'un seul; mais il partage avec plusieurs les fonctions de la divinité. Voilà pourquoi Platon nous représente le grand Jupiter dans le ciel à la tête d'une armée de dieux et de démons. Il faut, selon vous, vénérer à l'égal de lui-même tous ces employés subalternes, ses lieutenants. Mais, répondez-moi, quel crime commet-on contre César, quand, pour mieux mériter ses faveurs, on concentre sur la personne de César ses hommages et ses espérances? Est-on coupable pour ne vouloir point donner à un autre la qualité de Dieu, de même que celle de César à un autre prince? Ne serait-ce pas plutôt un crime capital d'appeler ou de souffrir qu'on appelle César qui que ce soit, hors César lui-même? Permettez à l'un d'adorer le vrai Dieu, à l'autre Jupiter; à l'un de lever des mains suppliantes vers le ciel, à l'autre vers l'autel de la foi, à celui-là de compter les nuages en priant, comme vous le dites, à celui-ci les panneaux d'un lambris; à l'un d'offrir à Dieu sa propre vie en sacrifice, à l'autre celle d'un bouc. Prenez garde que ce ne soit autoriser l'irréligion que d'ôter la liberté de la religion et le choix de la divinité, de ne pas me permettre d'adorer qui je veux, pour me contraindre d'adorer qui je ne veux pas. Où est le dieu qui aime les hommages forcés? Un homme lui-même en voudrait-il?
Les Egyptiens se livrent sans scrupule et en toute liberté à l'extravagance de leurs superstitions, inscrivent au rang des dieux les oiseaux et les bêtes, et punissent de mort quiconque a tué un de ces dieux. Chaque province, chaque ville a son dieu particulier: dans la Syrie Astarté, dans l'Arabie Dysarès, dans la Norique Bélénus, dans |302 l'Afrique Célestis, dans la Mauritanie ses rois. Je crois n'avoir nommé que des provinces romaines, et cependant leurs dieux ne sont pas les dieux des Romains. Ils sont tout aussi étrangers à Rome que ces dieux inconnus consacrés par les villes municipales, Delventinus à Cassin, Visidianus à Narni, Ancaria à Ascoli, Nursia à Vulsin, Valentia à Ocriculum, Nortia à Sutrin, Curis à Falèse, Curis, qui a donné son nom à sa fille Junon. Tous les peuples ont leurs cultes divers: à nous, à nous seuls on refuse la liberté de conscience! Nous outrageons les Romains, nous cessons d'être Romains, parce que notre Dieu n'est pas adoré des Romains. Toutefois, que vous le vouliez ou non, notre Dieu est le Dieu de tous les hommes: l'univers lui appartient. Mais chez vous, il est libre d'adorer tout, hors le vrai Dieu, comme s'il n'était pas juste que le Dieu de qui nous dépendons tous, fût adoré de tous.
XXV. La démonstration de la fausseté de vos dieux et de la vérité du nôtre me paraît complète. L'autorité de vos dieux est venue elle-même apposer le sceau à l'évidence et à la force du raisonnement. Mais, puisque j'ai nommé les Romains, je ne refuserai point d'entrer en lice avec les téméraires qui affirment que c'est en récompense de leur zèle inviolable pour leur religion, que les Romains sont élevés à ce haut point de gloire et dominent sur le monde; que, par conséquent, une preuve sensible que leurs dieux sont véritables, c'est que leurs plus scrupuleux adorateurs sont aussi les peuples les plus florissants.
Voilà donc le prix magnifique dont la reconnaissance de vos dieux a gratifié la cité qui les honore. C'est donc un Sterculus, c'est un Mulunus, c'est une Larentina (2), vos |303 dieux originaires, qui ont élevé l'empire à ce faîte de prospérité? Car, pour les dieux étrangers, je n'imagine pas qu'ils aient protégé les Romains aux dépens de leurs compatriotes, ni qu'ils aient abandonné à des ennemis la terre où ils ont reçu le jour, où ils ont passé leur vie, où ils se sont signalés et où reposent leurs cendres.
Mais Cybèle chérit peut-être dans Rome le sang troyen, les descendants de ses compatriotes qu'elle défendit autrefois contre les Grecs. Elle a voulu passer chez leurs vengeurs, qu'elle prévoyait devoir mettre un jour sous le joug les superbes conquérants de la Phrygie. Aussi a-t-elle donné sous nos yeux une preuve éclatante de sa divinité, lorsque l'empereur Marc-Aurèle ayant été enlevé à la république près de Syrmium, le seize des calendes d'avril, le vénérable chef des Galles mutilait ses bras le neuf des calendes du même mois, faisait avec son propre sang d'impures libations, et ordonnait les prières accoutumées pour la santé de cet empereur, alors au rang des morts. O paresseux, courriers! ô tardives dépêches, qui ont empêché Cybèle d'être plus tôt instruite de la mort de l'empereur! En vérité, les Chrétiens riraient bien à leur tour d'une pareille divinité.
Jupiter a-t-il pu voir d'un œil indifférent son île de Crète ébranlée jusque dans ses fondements par les faisceaux romains? A-t-il ainsi oublié l'antre du mont Ida, l'airain des Corybantes, et les doux parfums de sa nourrice? Son tombeau ne lui est-il pas plus cher que le Capitole? Et n'est-ce pas à la terre qui couvrait ses cendres qu'il devait accorder l'empire du monde?
Junon aurait-elle souffert que Carthage fût renversée par la race d'Enée; Carthage dont la déesse, pour parler avec le poète,
Au séjour de Samos préféra la beauté:
C'est là qu'étaient son glaive et son char redouté.
Si dans ses longs efforts le Destin la seconde,
Ces orgueilleux remparts régneront sur le monde. |304
Epouse et sœur infortunée de Jupiter, elle ne pouvait rien contre les destins:
Car Jupiter lui-même à leur joug est soumis.
Les destins ont donc livré Carthage aux Romains, en dépit des vœux et des efforts de Junon; et cependant jamais les Romains ne leur ont rendu autant d'honneurs qu'à Larentina, la plus infâme des prostituées.
Il est constant que plusieurs de vos dieux ont régné. Or, si ce sont eux qui aujourd'hui distribuent les royaumes, de qui tenaient-ils les leurs? Quelles divinités Jupiter et Saturne adoraient-ils? quelque Sterculus, apparemment? Mais Sterculus et ses compatriotes n'eurent des autels à Rome que long-temps après. Quant à ceux de vos dieux qui n'ont pas régné, il est certain que de leur temps il y avait des rois qui ne leur rendaient point de culte, puisque ces divinités n'existaient pas encore. Il y avait des princes long-temps avant vos dieux: il faut donc chercher ailleurs les dispensateurs des couronnes.
Mais que c'est avec peu de fondement que l'on attribue aux dieux la grandeur de Rome comme prix des hommages qu'ils en ont reçus, puisque sa grandeur a précédé ces hommages! Et quoique Numa ait enfanté toutes vos superstitions, néanmoins vous n'aviez de son temps ni statues ni temples; la religion était frugale, les cérémonies étaient pauvres: alors, pas de Capitole rival de l'Olympe; quelques autels de gazon dressés à la hâte, des vases d'argile, une fumée légère, de dieu nulle part: le ciseau des Grecs et le génie toscan n'avaient pas encore inondé Rome de statues. En un mot, les Romains n'étaient pas religieux avant d'être grands; ils ne sont donc pas grands parce qu'ils ont été religieux. Eh! comment ces magnifiques prospérités les auraient-ils dues à leur religion, puisqu'elles sont l'ouvrage du sacrilège?
En effet, tout royaume, tout empire, si je ne me trompe, |305 s'établit par la guerre, s'agrandit par la victoire. Mais la guerre et la victoire traînent nécessairement après elles le sac et la ruine des cités. Les cités ne croulent pas sans que les dieux en souffrent; les remparts et les temples s'abîment dans les mêmes décombres; le sang du prêtre coule avec le sang du citoyen; les mêmes mains enlèvent l'or sacré et l'or profane. Ainsi, autant de trophées pour les Romains, autant de sacrilèges; autant de victoires remportées sur les peuples, autant de triomphes sur les dieux; autant de dépouilles arrachées à l'ennemi, autant de divinités captives dans vos temples. Et ces dieux vaincus consentent à recevoir les hommages de leurs vainqueurs! et ils donnent un empire sans bornes (3) à ceux dont ils ont à payer les outrages plutôt que les adorations! C'est qu'on outrage impunément comme on adore sans fruit des dieux muets et insensibles. Et comment pourrait-on faire honneur à la religion de la grandeur des Romains, qui l'ont offensée à mesure qu'ils se sont agrandis, ou même qui ne se sont agrandis qu'en l'offensant? D'ailleurs tous ces peuples subjugués dont les royaumes ont grossi le colosse romain, n'avaient-ils pas aussi leurs religions?
XXVI. Voyez donc si le dispensateur des couronnes ne serait pas plutôt cet être souverain qui tient dans sa puissance et la terre et ceux qui gouvernent la terre; si celui qui a précédé les temps, qui a ordonné les siècles et l'enchaînement de leurs révolutions, n'a pas réglé dans ses conseils la durée et les vicissitudes des empires; si les cités ne s'élèvent et ne s'abaissent point, au gré de celui qui dominait le genre humain avant qu'il y eût des cités.
A quoi bon toutes ces impostures? Rome sauvage est plus ancienne que quelques-uns de vos dieux. Elle régnait avant la pompe et la magnificence du Capitole. Les |306 Babyloniens régnaient avant vos pontifes, les Mèdes avant vos quindécemvirs, les Egyptiens avant vos saliens, les Assyriens avant vos luperques, les Amazones avant vos vestales. Et si c'étaient véritablement vos dieux qui disposassent des royaumes, les Juifs, contempteurs de toutes ces divinités mensongères, n'auraient jamais eu d'empire. Vous avez vous-même offert des victimes à leur dieu, à son temple des présents. Un jour, vous avez honoré de votre alliance leur nation. Jamais vous ne l'auriez subjuguée, si elle n'eût commis un dernier attentat contre le Christ.
XXVII. Nous nous sommes suffisamment justifiés du crime d'avoir outragé vos dieux, en prouvant qu'ils ne sont rien moins que des dieux. Aussi quand on nous convoque à d'impies sacrifices, nous opposons le témoignage de notre conscience, qui nous apprend à qui se rapportent les hommages prostitués à de vains simulacres et à des hommes déifiés.
Quelle démence, s'écrient quelques-uns d'entre vous, d'aimer mieux perdre la vie par opiniâtreté, au lieu de la sauver en sacrifiant, sans répudier pour cela vos croyances! C'est-à-dire que vous nous donnez le conseil de vous tromper! Nous reconnaissons sans peine celui qui vous l'a suggéré, qui soulève le monde contre nous, et afin d'abattre notre constance, emploie aujourd'hui l'artifice qui séduit, demain la violence qui terrasse. L'artisan de ces manœuvres, c'est cet esprit, ange et démon à la fois, qui, devenu notre ennemi par sa réprobation et envieux des grâces divines, s'introduit dans vos ames, d'où il nous fait la guerre, et vous pousse, par de secrètes instigations, à ces jugements iniques, à ces cruautés barbares que j'ai attaquées au commencement de cette apologie.
Et quoique les démons nous soient soumis, pareils à de méchants esclaves, mêlant parfois l'insolence à la peur, ils sont ravis de nuire à ceux qu'ils redoutent. La haine est fille de la peur. Condamnés sans espérance, leur |307 consolation est le mal qu'ils opèrent en attendant que leur supplice, déjà commencé, se consomme. Ce qui n'empêche pas toutefois que, tramés en notre présence, ils ne ploient sous le joug et ne rentrent dans leurs chaînes. De loin ils nous bravent: de près ils rampent. Ainsi lorsque, semblables à des esclaves qui, brisant leurs fers, s'échappent de leurs cachots ou des mines qui les retiennent, ils s'élancent contre leurs maîtres avec d'autant plus de fureur qu'ils sentent l'inégalité de leurs forces, obligés alors de combattre ces vils ennemis, nous leur résistons avec une constance égale à leur acharnement, et nous n'en triomphons jamais plus glorieusement que lorsque nous mourons avec intrépidité pour la foi.
XXVIII. Mais puisque, forcer des hommes libres à sacrifier, est une injustice criante, une violence inouïe, attendu que la religion est un acte spontané (4), quoi de plus extravagant que de vouloir contraindre un autre homme de rendre à la divinité des hommages que de lui-même il est assez intéressé à lui rendre! N'a-t-il pas droit de vous répondre au nom de sa liberté: « Je ne veux pas, moi, des bonnes grâces de Jupiter. De quoi vous mêlez-vous? Que Janus s'irrite! qu'il me montre tel visage qu'il voudra, que vous importe? » C'est pour cela que ces esprits pervers vous ont suggéré le conseil de nous imposer des sacrifices pour le salut des empereurs. Vous vous croyez obligés de nous y contraindre par la force; et nous, la foi nous ordonne de vous offrir nos têtes.
Nous voilà donc arrivés au crime de lèse-majesté humaine: mais cette majesté est pour vous plus auguste que la majesté divine. Dans vos craintes respectueuses ou vos rusés ménagements, vous vénérez plus César sur son trône que Jupiter dans l'Olympe. En vérité, vous avez |308 raison, s'il y a là intelligence. Le dernier des vivants ne vaut-il pas mieux qu'un mort quel qu'il soit? Mais tel n'est pas le motif qui vous guide. Vous cédez à la terreur d'une majesté qui éblouit vos sens, coupables envers la divinité de lui préférer une puissance humaine. Aussi vous parjurerez-vous plutôt en jurant par tous vos dieux, que par le génie seul de César.
XXIX. Assurez-vous d'abord que ces dieux auxquels vous sacrifiez pour le salut des empereurs, ou de qui que ce soit, peuvent en effet les protéger ou les guérir. Si cela est, traitez-nous en criminels. Mais si ces esprits méchants, anges ou démons, sont capables d'opérer quelque bien, si, après s'être perdus eux-mêmes, ils ont la vertu de sauver, si des condamnés peuvent absoudre, si enfin des morts (vous savez ce qui en est) garantissent les vivants, qu'ils commencent donc par défendre leurs statues, leurs images, leurs temples qui ne sauraient se passer des gardes que leur donnent les Césars? Et ces statues, ces temples, la matière n'en est-elle pas tirée des mines et des carrières de l'empereur? Leurs édifices sont-ils debout autrement que par la volonté de l'empereur? Plusieurs dieux ont éprouvé sa colère, d'autres se sont ressentis de sa munificence et de ses libéralités. Je le demande, ceux qui sont au pouvoir de l'empereur, qui n'existent que par lui, comment seront-ils les arbitres de sa destinée? comment leur devra-t-il sa conservation, tandis qu'eux-mêmes ils lui sont redevables de la leur.
Voilà donc pourquoi nous sommes criminels de lèse-majesté, parce que nous n'abaissons pas les empereurs au-dessous de la pierre ou du métal qui leur appartient, parce que nous ne nous jouons pas du salut des empereurs en le plaçant dans des mains de plomb. Vous, au contraire, vous vous montrez religieux à leur égard en le cherchant où il n'est pas, en le demandant à des êtres impuissants à l'accorder, plutôt qu'au seul être qui le tient en sa puissance, en faisant une guerre barbare aux Chrétiens qui |309 seuls savent comment il faut le demander, qui seuls, par conséquent, peuvent l'obtenir.
XXX. Nous, Chrétiens, nous invoquons pour le salut des empereurs un Dieu éternel, un Dieu véritable, un Dieu vivant, un Dieu dont les empereurs eux-mêmes doivent redouter la colère plus que celle de tous les dieux réunis. Peuvent-ils ignorer de qui ils tiennent l'empire, comment ils sont entrés dans le monde, qui leur a donné la vie? Ils sentent bien qu'il n'y a pas d'autre Dieu que lui, qu'ils dépendent de lui seul, placés au second rang, les premiers après lui, avant et par-dessus tous les dieux. En effet, supérieurs à tous les hommes vivants, comment ne seraient-ils pas au-dessus de tous les morts? Ils connaissent les bornes de leur pouvoir; ils comprennent qu'ils ne peuvent rien contre celui par lequel ils peuvent tout. Qu'il déclare la guerre au ciel cet empereur en démence, qu'il le traîne captif à son char de triomphe, qu'il mette garnison dans le ciel, qu'il rende le ciel tributaire! Rêverie extravagante! Il n'est grand qu'autant qu'il reconnaît son maître dans le Dieu du ciel. Il appartient, lui aussi, au Dieu de qui relèvent le ciel et toutes les créatures. C'est par lui qu'il est empereur; par lui, qu'avant d'être empereur, il est homme. Il tient sa couronne du Dieu dont il tient la vie. Les yeux levés au ciel, les mains étendues, parce qu'elles sont pures, la tête nue, parce que nous n'avons à rougir de rien, sans ministre qui nous enseigne des formules de prières, parce que chez nous c'est le cœur qui prie, nous demandons pour les empereurs, quels qu'ils soient, une longue vie, un règne tranquille, la sûreté dans leurs palais, la valeur dans les armées, la fidélité dans le sénat, la vertu dans le peuple, la paix dans tout le monde: enfin tout ce qu'un homme, tout ce qu'un empereur peut ambitionner.
Vœux magnifiques!... Je ne puis les adresser qu'à celui qui a le pouvoir de m'exaucer, parce qu'il est l'unique dispensateur des grâces, parce que je suis le seul qui aie le |310 droit de les obtenir, comme son serviteur, comme son adorateur, prêt à être immolé pour sa loi. Je lui offre la plus précieuse victime qu'il m'a demandée lui-même, la prière partie d'une ame innocente, d'une chair pudique, inspirée par l'Esprit saint. Loin de ses autels quelques grains d'un vil encens, les parfums de l'Arabie, quelques gouttes de vin, le sang d'un bœuf languissant qui appelle la mort: mais, mille fois plus que toutes ces souillures, loin de ses autels une conscience infecte î Une merveille qui m'étonne toujours, c'est que parmi vous les prêtres les plus corrompus choisissent les victimes les plus pures, et que l'on examine plutôt les entrailles des animaux que le cœur des sacrificateurs. Tandis que nous épanchons ainsi notre ame devant Dieu, déchirez-nous, si vous le trouvez bon, avec des ongles de fer, attachez-nous à des croix, que vos flammes nous caressent de leurs langues dévorantes, que vos poignards se plongent dans notre gorge, que vos bêtes féroces bondissent sur nous, la seule attitude du Chrétien en prière vous témoigne qu'il est prêt à tout souffrir! Courage donc, zélés magistrats! arrachez à cet homme une ame qui invoque son Dieu pour le salut de l'empereur!... La vérité, le dévouement à Dieu, voilà donc nos crimes!
XXXI. ---- Mais peut-être qu'adroits flatteurs, nous nous retranchons derrière des vœux hypocrites, pour échapper au supplice par l'imposture. ---- En vérité, c'est là un artifice qui nous réussit à merveille. Sans doute, vous croyez et vous nous laissez prouver tout ce que nous voulons! Si cependant vous vous persuadiez que peu nous importe la vie des empereurs, ouvrez nos livres! ils sont la parole de Dieu; nous ne les cachons à personne; différentes circonstances les ont fait passer dans des mains étrangères. Vous y apprendrez qu'il nous est enjoint, par un excès de charité, de prier pour nos ennemis, de souhaiter du bien à nos persécuteurs. Or, quels sont les plus grands ennemis, les plus acharnes persécuteurs des Chrétiens, sinon |311 ceux-là mêmes dont on les accuse d'offenser la majesté? Il y a plus, vous y trouverez cette loi formelle, explicite: « Priez pour les rois, pour les princes, pour les puissances de la terre, afin que vous jouissiez d'une paix parfaite (5). » En effet, que l'empire s'ébranle, tous ses membres s'ébranlent avec lui; et nous-mêmes, bien que la multitude nous regarde comme des étrangers, nous nous trouvons nécessairement enveloppés dans ses désastres.
XXXII. D'ailleurs, une raison non moins décisive nous fait une loi de prier pour le salut des empereurs et pour les prospérités de Rome. Ignorons-nous que la dernière catastrophe qui menace l'univers, la clôture suprême du temps avec toutes les calamités qu'elle amènera, n'est suspendue que par le cours de l'empire romain? Demander à Dieu d'ajourner ce lamentable événement, c'est lui demander la prolongation de l'empire. Si nous ne jurons point par le génie des Césars, nous jurons par leur vie, plus auguste que tous les génies qui ne sont que des démons. Nous respectons dans les empereurs les conseils de la Providence qui les a établis chefs des nations. Ils n'ont de pouvoir, nous le savons, que celui que Dieu leur a transmis. Nous lui demandons la conservation d'un être qu'il a lui-même voulu: et c'est là pour nous un grand serment. Quant aux génies, nous les conjurons pour lés chasser des corps qu'ils obsèdent. Mais nous préserve le ciel de jurer par eux, et de leur déférer ainsi un honneur qui n'appartient qu'au Dieu véritable!
XXXIII. Mais pourquoi parler davantage du religieux, sentiment et de la piété chrétienne qui nous lie à l'empereur? Pourrions-nous y manquer envers l'élu de notre Dieu? A ce titre, je le dirai hardiment: César est à nous plus qu'à personne, puisque c'est notre Dieu qui l'a établi ce qu'il est. Je suis donc à même plus qu'un autre de contribuer à sa conservation, non-seulement parce que je la |312 demande à celui qui peut l'accorder, et que je suis dans les conditions nécessaires pour l'obtenir, mais encore parce qu'en abaissant la majesté impériale au-dessous de Dieu, mais de Dieu seul, j'intéresse bien plus sûrement en sa faveur le Dieu auquel je soumets César. Je le fais sujet de Dieu; mais son égal, non. Je ne l'appellerai point. Dieu, et parce que je ne sais pas mentir, et parce qu'il ne me vient point à l'esprit de l'insulter, et parce que lui-même ne voudrait pas s'entendre appeler dieu. Homme, il ne peut que gagner à s'abaisser devant Dieu. C'est bien assez pour lui de porter le titre d'empereur, titre auguste qui lui vient d'en haut. L'appeler dieu, c'est lui dénier sa qualité de César: il ne peut être empereur sans être un homme. Lors même qu'il s'avance environné de gloire sur le char triomphal, on a soin de l'avertir qu'il est mortel. Derrière lui est placé un héraut qui lui crie: Regarde derrière toi, et souviens-toi que tu es homme. Rien de si flatteur, de si propre à lui donner une haute idée de sa pompe éblouissante, que l'indispensable précaution de lui rappeler la fragilité de son être. Appelez-le dieu, il descend, parce qu'il a la conscience du mensonge: mais qu'il est mille fois plus grand quand on l'avertit de ne pas se croire un dieu!
XXXIV. Auguste, le fondateur de votre empire, ne permettait pas même qu'on le nommât seigneur: c'est le privilège de la divinité. Je consentirais cependant à lui déférer ce titre, pourvu que ce ne soit pas dans le même sens que je le donne à Dieu. Je ne suis point l'esclave de César. Mon unique seigneur, c'est le Dieu tout-puissant, le Dieu éternel, le maître de César, comme le mien. D'ailleurs, il est le père de la patrie; comment en serait-il le seigneur? Un nom qui respire la bonté et l'amour n'est-il pas préférable à un nom qui ne rappelle que des idées de puissance? Voyez les chefs de famille! ils en sont appelés les pères plutôt que les seigneurs. Le nom de dieu convient bien moins encore à l'empereur. Ce n'est qu'à la plus |313 honteuse comme à la plus funeste flatterie qu'il appartient de le lui décerner. Tandis que vous avez un empereur, irez-vous saluer de ce titre quelqu'un de ses sujets? Par ce sanglant et impardonnable outrage, n'attireriez-vous pas la vengeance de l'empereur sur votre tête, peut-être même sur la tête de celui que vous auriez honoré de ce nom? Commencez par respecter la divinité, si vous voulez ménager à l'empereur sa protection! Cessez d'appeler dieu celui qui ne peut se passer de Dieu! Si cette basse et sacrilège adulation ne rougit pas de son imposture, qu'elle redoute les sinistres présages: c'est conspirer contre la vie de César que de le consacrer dieu avant son apothéose.
XXXV. Les Chrétiens sont donc les ennemis de l'Etat, parce qu'ils ne rendent point à l'empereur des honneurs illusoires, mensongers, sacrilèges; parce que, disciples de la religion véritable, ils célèbrent les jours de fêtes de l'empereur par une joie tout intérieure, et non par la débauche. Grande preuve de zèle, en effet, que d'allumer des feux et de dresser des tables dans les rues, d'étaler des festins par les places publiques, de transformer Rome en vaste taverne, de faire couler des ruisseaux de vin, de courir çà et là en bandes tumultueuses, l'insulte à la bouche, l'impudence sur le front, la luxure dans le regard! La joie publique ne se manifeste-t-elle que par la honte publique? Ce qui viole les bienséances tout autre jour, deviendra-t-il légitime aux fêtes de l'empereur? Ces mêmes lois, qu'en d'autres temps on observe par respect pour César, faudra-t-il les fouler aux pieds pour l'honorer aujourd'hui! La licence et le dérèglement s'appelleront-ils piété? De scandaleuses orgies passeront-elles pour une fête religieuse? Oh! que nous méritons bien la mort, d'acquitter les vœux pour les empereurs, et de participer à l'allégresse générale sans nous départir de la sobriété, de la chasteté, de la modestie! Quel crime, dans un jour consacré au plaisir, de ne pas ombrager nos portes de lauriers, de ne pas allumer des flambeaux en plein midi! La joie |314 populaire a sanctifié le désordre: rien de plus honnête alors que de décorer sa maison de toutes les apparences d'un lieu de prostitution nouvellement ouvert.
Il est à propos maintenant de mettre à nu la sincérité de vos démonstrations pour la seconde majesté, qui fournissent prétexte contre nous à une seconde calomnie. Vous accusez les chrétiens de sacrilège lorsqu'ils refusent, par respect pour la bienséance, pour la modestie et la pudeur, de célébrer avec vous les fêtes des Césars? Examinons de quel côté se trouvent la franchise et la vérité. Il se pourrait que ceux qui nous refusent le nom de Romains et nous déclarent ennemis des empereurs, fussent plus criminels que nous. J'interroge donc les Romains eux-mêmes; je demande à cette immense multitude qui s'agite sur les sept collines, si jamais sa langue, toute romaine qu'elle est, épargna aucun de ses empereurs. Tibre, réponds-moi! parlez, écoles de gladiateurs! Si la nature n'avait recouvert les cœurs que d'une matière transparente, pas un seul dans lequel on ne surprît, comme dans un miroir, à côté des vœux secrets qu'ils nourrissent, les images toujours nouvelles de nouveaux Césars, pour en obtenir les largesses et les distributions accoutumées. Oui, voilà ce qui occupe les Romains, à l'heure même où ils crient:
O ciel! prends sur nos jours pour ajouter aux siens!
Un Chrétien ne connaît pas plus ce langage qu'il ne sait souhaiter un nouvel empereur.
Le peuple, dites-vous, est toujours peuple. ---- Soit. Mais cependant ce sont là des Romains: nous n'avons pas d'ennemis plus acharnés. Mais peut-être que les autres ordres de l'Etat, selon le rang qu'ils y occupent, ont montré une plus religieuse fidélité. Rien d'hostile dans le sénat, ni parmi les chevaliers: dans les camps, à la cour, pas l'ombre d'une conspiration. D'où venaient donc un Cassius, un Niger, un Albinus? d'où venaient ceux qui assassinent |315 César, cachés entre deux bosquets de laurier? ceux qui s'exercent dans les gymnases pour étrangler habilement leurs maîtres; ceux qui forcent le palais à main armée, plus audacieux que les Sigerius et les Parthenius? D'où ils venaient! Ils étaient Romains, si je ne me trompe; c'est-à-dire que ce n'étaient pas des Chrétiens. Tous, lorsque déjà couvait leur rébellion prête à éclater, sacrifiaient pour le salut de l'empereur, juraient par son génie, simulaient plus ou moins la fidélité, et surtout ne manquaient pas d'appeler les Chrétiens des ennemis publics. Les complices ou les partisans des dernières factions qu'on découvre tous les jours, misérables restes échappés après la moisson de leurs parricides chefs, n'ornaient-ils pas leurs portes de guirlandes? Y en avait-il d'assez fraîches, d'assez touffues pour eux? Quels vestibules brillaient avec plus de pompe sous le feu des illuminations? Ne couvraient-ils pas la place publique de la magnificence de leurs tables? Etait-ce pour prendre leur part de la joie générale? Loin d'eux ce projet! Ils murmuraient des vœux coupables à l'ombre d'une solennité étrangère; et, substituant un nouveau prince à un prince dont ils tramaient la chute, ils consacraient au fond de leur cœur l'image de leur espérance.
Ils ne sont pas moins prodigues de démonstrations ceux qui consultent les astrologues, les aruspices, les augures, les magiciens, sur le salut des empereurs. Quant aux Chrétiens, jamais ils n'ont recours, pas même pour leur propre compte, à des sciences inventées par les anges rebelles et maudits de Dieu. Et d'où peut venir cette curiosité qui interroge et suppute la vie de César, si on ne machine rien contre elle, si on ne souhaite pas qu'elle ait un terme, si du moins on n'attend rien de sa mort? Au fond de l'horoscope du maître et de la personne que l'on aime, il y a une pensée différente: autre est la curiosité du sang, autre la curiosité de l'esclavage.
XXXVI. S'il est donc avéré que ces conspirateurs, qui |316 gardaient le nom de Romains, sont des ennemis publics, ne pourrait-il pas se faire aussi que nous qui passons pour ennemis, et auxquels on refuse le nom de Romains, soyons aussi Romains et rien moins qu'ennemis? Non! la fidélité et le dévouement dus aux empereurs ne consistent pas en témoignages extérieurs, sous le masque desquels la trahison est si habile à se cacher; ils consistent dans les sentiments pacifiques que nous sommes obligés d'entretenir pour tous les hommes comme pour les empereurs. Car ce n'est pas aux empereurs seuls que nous devons vouloir du bien: nous faisons le bien sans acception de personnes, parce que c'est pour nous-mêmes que nous le faisons, sans attendre ni louange, ni récompense d'aucun homme. Notre rémunérateur est Dieu, qui nous a prescrit cette charité universelle qui s'étend à tous indistinctement. Nous sommes pour les empereurs les mêmes que pour nos proches et nos voisins. Vouloir du mal à qui que ce soit, en faire, en dire, en penser même, nous est également interdit. Ce qui n'est point licite contre l'empereur, ne l'est contre personne: ce qui ne l'est contre personne, l'est peut-être encore moins contre celui que Dieu a élevé si haut.
XXXVII. Si, comme nous l'avons dit, il nous est ordonné d'aimer nos ennemis, qui pourrions-nous haïr? S'il nous est défendu de nous venger de ceux qui nous offensent, pour ne pas leur ressembler, qui nous sera-t-il permis d'offenser? Vous-mêmes, je vous établis juges: combien de fois vous êtes-vous déchaînés contre les Chrétiens, autant pour assouvir vos haines personnelles que pour obéir à vos lois? Combien de fois n'a-t-on pas vu le peuple, sans attendre vos ordres, de son propre mouvement, se ruer précipitamment sur nous, des torches dans les mains, ou armé d'une grêle de pierres? Dans la fureur des bacchanales, on n'épargne pas même les Chrétiens qui ne sont plus. Oui, l'asile de la mort est violé! Du fond des sépulcres où ils dorment, on arrache nos cadavres, quoique déjà méconnaissables, quoique déjà en pourriture, pour mutiler |317 encore et disperser ces lambeaux. Etrange acharnement qui nous poursuit jusque dans le sommeil de la mort! Avez-vous remarqué cependant que nous ayons jamais cherché les représailles? Une seule nuit, et quelques flambeaux, en faudrait-il davantage pour nous assurer une large satisfaction, s'il nous était permis de repousser le mal par le mal? Mais à Dieu ne plaise qu'une religion divine recoure, pour se venger, à des feux allumés par la main des hommes, ni qu'elle s'afflige des épreuves qui la mettent en lumière! Que si, au lieu de conspirer dans l'ombre, nous levions publiquement l'étendard, nous ne manquerions ni de forces, ni de troupes. Les Maures, les Marcomans, les Parthes mêmes, quelque nation que ce soit, renfermée, après tout, dans ses limites, est-elle plus nombreuse qu'une nation qui n'a d'autres limites que l'univers? Nous ne sommes que d'hier, et déjà nous remplissons l'empire, vos cités, vos îles, vos forteresses, vos bourgades, vos conseils, les camps, les tribus, les décuries, le palais, le sénat, la place publique; nous ne vous laissons que vos temples. Quelle guerre ne serions-nous pas capables d'entreprendre, même à forces inégales, nous qui nous laissons égorger si volontiers, si, dans notre doctrine, il ne valait pas mieux souffrir la mort que la donner? Sans même prendre les armes, sans nous révolter ouvertement, nous pourrions vous combattre simplement en nous séparant de vous. Que cette immense multitude vînt à vous quitter brusquement pour se retirer dans quelque contrée lointaine, la perte de si nombreux citoyens de toute condition eût décrié votre gouvernement, et vous eût assez punis. Nul doute qu'épouvantés de votre solitude, à l'aspect de ce silence universel, devant cette immobilité d'un monde frappé de mort, vous auriez cherché à qui commander: il vous serait resté plus d'ennemis que de citoyens. Maintenant, la multitude des Chrétiens fait que vos ennemis paraissent en petit nombre.
Mais, sans nous, qui vous délivrerait de ces adversaires |318 cachés qui portent le trouble dans vos ames aussi bien que dans vos santés, je parle de ces démons que nous chassons sans intérêt, sans récompense? Il suffirait, pour notre vengeance, de vous laisser librement à la merci de ces esprits immondes. Et vous, sans nous tenir compte de cet important service, sans réfléchir que, loin de vous être nuisibles, nous vous sommes nécessaires, vous nous traitez en ennemis! Nous, les ennemis du genre humain! Si nous sommes ennemis, nous ne le sommes que de l'erreur.
XXXVIII. Il fallait donc inscrire du moins parmi les factions innocentes et permises une religion à laquelle on ne peut rien reprocher de ce qui rend les autres factions si redoutables. Qu'on les proscrive celles-là, dans l'intérêt des mœurs publiques, pour prévenir les déchirements des partis, pour empêcher que les comices, que le sénat, que vos spectacles ne soient troublés par le choc des rivalités et des cabales, surtout à une époque où l'on vend jusqu'à ses violences, à la bonne heure! Mais nous, si indifférents pour la gloire du monde, si désintéressés dans ses grandeurs, nous ne savons ce que c'est que former des ligues: nous demeurons toujours étrangers aux affaires publiques. Le monde, voilà notre république à nous. Nous renonçons sans peine à vos spectacles, aussi bien qu'au principe qui les a produits: nous avons en horreur la superstition, qui en est la mère: bien plus, nous nous éloignons avec mépris de tout ce qui s'y passe. Nous n'avons rien de commun avec les extravagances du cirque, avec les obscénités du théâtre, avec les jeux barbares de l'arène, avec la frivolité des gymnases. N'a-t-il pas été permis aux disciples d'Epicure d'imaginer ce qu'il leur a plu? En quoi vous offensons-nous quand nous adoptons d'autres joies que les vôtres? Et si nous voulions vous sevrer de tout divertissement, à nous le dommage, il me semble; vous n'y entrez pour rien. Nous condamnons vos plaisirs, soit; mais vous goûtez aussi peu les nôtres.
XXXIX. A quoi donc s'occupe la faction chrétienne? |319 Je vais l'exposer. Après l'avoir défendue contre la calomnie, au mal qu'on lui impute opposons le bien qui s'y trouve. Unis ensemble par le nœud d'une même foi, d'une même espérance, d'une même morale, nous ne faisons qu'un corps. Saintement ligués contre Dieu, nous l'assiégeons de nos prières, afin de lui arracher par une violence toujours agréable ce que nous lui demandons. Nous l'invoquons pour les empereurs, pour leurs ministres, pour toutes les puissances, pour l'état présent du siècle, pour la paix, pour l'ajournement de la catastrophe dernière. Nous nous assemblons pour lire les Ecritures, où nous puisons, selon les circonstances, les lumières et les avertissements dont nous avons besoin. Cette sainte parole nourrit notre foi, relève notre espérance, affermit notre confiance, resserre de plus en plus la discipline en inculquant le précepte. C'est là que se font les exhortations et les corrections, là que se prononcent les censures au nom de Dieu. Assurés que nous sommes toujours en sa présence, nous jugeons avec maturité, et c'est un terrible préjugé pour le jugement futur, que d'avoir mérité d'être banni de la communion des prières, de nos assemblées et de tout ce saint commerce. Des vieillards recommandables président; ils parviennent à cette distinction, non par argent, mais par le témoignage d'un mérite éprouvé. Rien de ce qui concerne les choses de Dieu ne s'achète; si l'on trouve chez nous une sorte de trésor, nous n'avons pas à rougir d'avoir vendu la religion pour l'amasser. Chacun apporte tous les mois son modique tribut, lorsqu'il le veut, s'il le peut, et dans la mesure de ses moyens; personne n'y est obligé: rien de plus libre, de plus volontaire que cette contribution. C'est là comme un dépôt de piété qui ne se consume point en débauches, en festins, ni en stériles prodigalités; il n'est employé qu'à la nourriture des indigents, aux frais de leur sépulture, à l'entretien des orphelins délaissés, des domestiques cassés de vieillesse, des malheureux naufragés. S'il y a des Chrétiens |320 condamnés aux mines, relégués dans les îles ou détenus dans les prisons, uniquement pour la cause de Dieu, la religion qu'ils ont confessée les nourrit de ses aumônes.
Il est vrai que l'exercice de cette charité a fourni contre nous de nouvelles armes à la calomnie. «Voyez, s'écrie-t-on, comme ils s'aiment! » car, pour nos censeurs, ils se. haïssent mutuellement. « Voyez comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres! » Pour eux, s'ils sont disposés à quelque chose, c'est plutôt à s'entre-égorger. Quant au nom de frère que nous nous donnons, ils le décrient, parce que chez eux les noms de parenté ne sont que des expressions trompeuses d'attachement. Cependant nous sommes aussi vos frères par le droit de la nature, la mère commune du genre humain. Il est vrai que vous êtes de mauvais frères; à peine êtes-vous des hommes. De véritables frères, ceux qui méritent ce titre, sont ceux qui reconnaissent pour père le même Dieu, qui ont reçu les effusions du même esprit de sainteté, qui, sortis du même sein de l'ignorance, se sont inclinés avec transport devant le soleil de la vérité.
Mais peut-être que l'on nous conteste notre légitimité, ou parce que notre union fraternelle ne retentit jamais sur vos théâtres, ou parce que nous vivons en commun et en frères des mômes biens qui chez vous arment le frère contre le frère. Fondus les uns dans les autres par un saint mélange, nous ne faisons aucune difficulté de partager nos biens; tout est commun dans notre société, hormis les femmes. Nous sommes divisés d'avec les autres hommes par le seul point qui les unit; non-seulement ils usurpent la couche conjugale de leurs amis, ils leur ouvrent complaisamment la leur, à l'imitation sans doute de leurs sages les plus vantés, d'un Socrate chez les Grecs, d'un Caton chez les Romains, qui abandonnèrent à leurs amis des femmes qu'ils avaient épousées, afin qu'elles leur donnassent des enfants dont ils ne seraient pas les pères. Etait-ce malgré elles? j'en doute fort. Indignement prostituées par leurs |321 propres maris, pouvaient-elles se montrer bien jalouses de la chasteté conjugale? O sagesse attique! ô gravité romaine! un philosophe, un censeur donner leçon d'impudicité!
Quelle merveille que les Chrétiens, avec la tendre charité qui les anime, aient des banquets communs? Car vous accusez aussi nos modestes repas non-seulement d'infamie, mais encore de luxe. C'est apparemment pour nous que Diogène disait: « Les Mégariens mangent comme s'ils devaient mourir le lendemain; ils bâtissent comme s'ils ne devaient jamais mourir. » Mais on voit bien mieux une paille dans l'œil d'autrui qu'une poutre dans le sien. Quoi! l'air est infecté des repas de tant de tribus, de curies, de décuries! A chaque festin des Saliens, nouvel emprunt! Il faut de longs et pénibles calculs pour supputer les frais des festins en l'honneur d'Hercule. On choisit les plus habiles cuisiniers pour les Apaturies, les Dionysies et les mystères de l'Attique. La fumée des soupers de Sérapis éveille les gardes préposés à l'incendie, et l'on ne parle que de la magnificence de nos banquets!
Le nom qu'ils portent en indique le caractère: on les appelle agapes, d'un mot grec qui signifie charité. Si coûteux qu'on les suppose, une dépense faite au nom de la piété se convertit en gain; par là, en effet, nous soulageons les pauvres. Nous ne rassemblons point comme vous une tourbe de parasites qui trouvent glorieux de vendre leur liberté, et viennent s'engraisser à vos tables au prix de mille avanies. Nous traitons les indigents comme des hommes sur qui la divinité attache ses regards avec plus de complaisance.
Si le motif de nos repas n'a rien que d'honnête, jugez de tout ce qu'on y fait par l'esprit de religion qui y préside. On n'y souffre rien de bas, rien d'immodeste; on ne touche aux aliments qu'après avoir nourri son ame par la prière. On mange autant que la faim l'exige; on boit comme il convient à des hommes sobres et chastes; on se rassasie |322 comme devant se relever pour prier Dieu pendant la nuit; on converse comme sachant que Dieu écoute. Après qu'on s'est lavé les mains et que les flambeaux sont allumés, chacun est invité à chanter les louanges de Dieu, qu'il tire des saintes Ecritures, ou qu'il compose lui-même: c'est l'épreuve de sa tempérance. Le repas se termine comme il a commencé, par la prière. On sort de là, non pour courir les rues en bandes tumultueuses, non pour se provoquer au désordre, à l'insolence, au meurtre, mais avec modestie, avec pudeur; on sort d'une école de vertu plutôt que d'un souper.
Condamnez, proscrivez nos assemblées si elles ont quelque ressemblance avec les assemblées dangereuses et criminelles, si on peut leur adresser les mêmes reproches qu'aux factions ordinaires. Mais quand y avons-nous concerté quelque perfide complot? Réunis ou séparés, dans le secret de nos maisons ou bien tous ensemble, nous sommes toujours les mêmes, n'offensant personne, ne contristant personne.
XL. Une assemblée d'hommes de bien, d'hommes chastes, probes et vertueux, n'est point une faction, c'est un sénat. Le nom de faction convient à ceux qui soufflent la haine contre ces hommes religieux, qui demandent à grands cris le sang de l'innocence, qui couvrent leur animosité du misérable prétexte que les Chrétiens sont la cause de toutes les calamités publiques. Que le Tibre monte sur les remparts, que le Nil oublie de monter sur les campagnes, qu'un ciel d'airain se ferme, que la terre tremble, qu'il survienne une famine, une mortalité, aussitôt: Les Chrétiens au lion! Quoi! pour un seul lion un peuple de Chrétiens!
Mais répondez-moi, je vous prie. Avant Tibère, c'est-à-dire avant la naissance de Jésus-Christ, les villes et le monde entier n'avaient-ils pas essuyé les plus grands désastres? Ouvrez l'histoire: les îles d'Hiérannape, de Délos, de Rhodes et de Cos, englouties avec des milliers |323 d'habitants; la plus grande partie de l'Asie ou de l'Afrique envahie, au rapport de Platon, par les irruptions de la mer Atlantique; la mer de Corinthe mise à sec par un tremblement de terre; la Lucarne détachée de l'Italie par la violence des flots, et formant l'île de Sicile: de tels changements dans la face du globe ont-ils pu survenir sans entraîner une foule de victimes? Où étaient alors, je ne dirai pas les Chrétiens, ces contempteurs de vos dieux, où étaient vos dieux eux-mêmes lorsque le déluge a submergé toute la terre, ou du moins les plaines, comme l'a prétendu Platon? Les villes où ils sont nés, où ils sont morts, celles même qu'ils ont bâties, prouvent assez qu'ils sont postérieurs au déluge: autrement elles ne subsisteraient point aujourd'hui.
L'essaim des Juifs, d'où les Chrétiens tirent leur origine, n'était pas encore sorti de l'Egypte pour aller s'abattre et se fixer dans la Palestine, lorsqu'une pluie de feu consuma, sur les frontières de cette contrée, Sodome et Gomorrhe. Cette terre ravagée exhale encore l'odeur de l'incendie. Si quelques fruits croissent péniblement sur ses arbres, végétation trompeuse à l'œil, ils tombent en cendres sous la main qui les touche.
La Tuscie et la Campanie ne se plaignaient pas des Chrétiens lorsque Vulsinie disparut sous les flammes du ciel, et Pompéia sous la lave de sa montagne. Personne n'adorait à Rome le vrai Dieu lorsqu'Annibal, après la sanglante journée de Cannes, mesurait par boisseaux les anneaux romains. Tous vos dieux sans exception étaient adorés de vous tous, lorsque les Gaulois campèrent sur le Capitole. Pour abréger, les villes n'ont jamais essuyé de désastres que les temples ne les aient partagés: d'où je conclus que vos dieux n'ont pas déchaîné des tempêtes qui les ont emportés eux-mêmes.
De tout temps la race humaine n'a cessé de provoquer la vengeance du Très-Haut, soit en négligeant son culte, soit en fermant les yeux au soleil de justice qui avait laissé |324 échapper quelques-uns de ses rayons, soit en se forgeant des dieux pour les adorer; et faute de chercher l'auteur de l'innocence, le juge et le vengeur du crime, elle s'est roulée dans la fange du vice et du désordre. En le cherchant, elle l'eût connu; en le connaissant, elle l'eût adoré; en l'adorant, elle eût éprouvé sa clémence au lieu d'irriter sa colère. Le même Dieu dont les hommes ont ressenti la vengeance avant qu'il y eût des Chrétiens, les châtie encore aujourd'hui. C'était lui qui leur prodiguait ses dons avant qu'ils se créassent des dieux chimériques. Pourquoi les calamités présentes ne partiraient-elles pas de la main bienfaitrice dont ils ont méconnu les bienfaits? Ingratitude justiciable de Dieu, puisqu'elle s'attaque à Dieu.
Si cependant nous comparons les catastrophes antiques avec celles de nos jours, nous reconnaîtrons que les hommes sont traités avec moins de rigueur depuis que Dieu a donné des Chrétiens au monde. A dater de cette époque, l'innocence a balancé le crime, la terre a eu des intercesseurs auprès de Dieu. Que les pluies d'hiver et d'été, taries dans les deux, amènent la sécheresse, que l'année s'offre menaçante et pleine de terreurs, vous remplissez les bains et les cabarets, les mauvais lieux regorgent, vous sacrifiez à Jupiter, vous ordonnez au peuple de demander de l'eau, pieds nus; vous cherchez le ciel au Capitole, vous attendez que la pluie s'épanche des voûtes du temple. Mais la demander à Dieu, mais tourner vos regards vers le ciel, vous n'y songez pas! Pour nous, exténués par le jeûne et les austérités, purifiés par la continence, sevrés de tous les plaisirs, prosternés sous le sac et la cendre, nous désarmons la colère du ciel; et lorsqu'enfin nous avons arraché la miséricorde, à Jupiter les actions de graces!
XLI. C'est donc vous qui êtes à charge au monde; c'est vous qui, méprisant le vrai Dieu pour adorer de vains simulacres, attirez sur l'empire les malheurs qui l'accablent. Là où il y a vengeance, l'attribuerai-je à celui |325 qu'offense le mépris, ou bien à ceux qui reçoivent les hommages? En vérité, il y aurait de leur part comble d'injustice, si, pour se venger des Chrétiens qui les outragent, ils enveloppaient dans les mêmes désastres leurs propres adorateurs, confondant ainsi des hommes qui se ressemblent si peu.
« ---- Eh bien! vous écriez-vous, nous rétorquons la difficulté contre vous-mêmes: votre Dieu souffre que ses fidèles serviteurs soient punis de nos sacrilèges! »
Entrez mieux dans la sagesse et l'économie de la divine Providence, et alors vos objections finiront. Dieu, qui a renvoyé après la fin du monde le jugement éternel de tous les hommes, ne précipite point avant ce terme la séparation qui sera la suite du jugement. Jusqu'à cette époque décisive, indulgence paternelle, ou sévère censure, il paraît traiter les hommes de la même façon. Il permet que les infidèles partagent les biens de ses serviteurs, que ses serviteurs soient associés aux maux des infidèles, vaste communauté où rien de ce qui arrive n'est étranger à ses membres. Instruits par lui-même de ses décrets, nous aimons sa bonté, nous redoutons sa rigueur. Pour vous, vous méprisez l'une et l'autre; d'où il suit que tous les maux, qui sont pour vous de véritables punitions, ne sont pour nous que des avertissements. Nous ne nous plaignons point, parce que notre intérêt unique dans ce monde, c'est d'en sortir nu plus tôt. D'ailleurs, l'ignorons-nous? ce sont vos crimes qui attirent sur la terre les fléaux du ciel, et quoiqu'ils nous atteignent en partie, membres que nous sommes de la société commune, nous voyons avec joie l'accomplissement des oracles divins qui affermissent notre foi et notre espérance. Si, au contraire, il était vrai que ces dieux, objets de votre culte, vous envoyassent à cause de nous ce déluge de calamités, comment pourriez-vous adorer encore des dieux si ingrats, si injustes, qui devraient vous garantir de tout mal, et vous combler de faveurs, en haine des Chrétiens? |326
XLII. On nous fait encore un autre reproche. On prétend que nous sommes des membres inutiles à l'Etat. ----Comment cela, de grace? Nous vivons au milieu de vous, nous avons la même nourriture, les mêmes vêtements, les mêmes meubles, les mêmes besoins. Nous ne sommes point des brachmanes, des gymnosophistes de l'Inde qui nous enfoncions dans les forêts et nous bannissions de la vie. Nous ne manquons jamais de payer à Dieu le tribut de reconnaissance qui lui est dû comme au maître et au Créateur de l'univers. Pas une œuvre de ses mains que nous rejetions. Seulement, nous sommes en garde contre l'excès et contre l'abus. Jetés avec vous dans toutes les nécessités de la vie, comme vous, nous fréquentons le Forum, les marchés, les bains, les foires, les boutiques, les hôtelleries. Nous naviguons avec vous, nous portons les armes, nous cultivons la terre, nous trafiquons, nous exerçons par conséquent les mêmes arts, nous louons nos bras pour votre usage. Que l'on m'explique donc à quel titre nous sommes inutiles à l'Etat, quand nous ne vivons qu'avec vous et pour vous?
Si je n'assiste point à vos cérémonies, en suis-je moins homme ces jours-là? Je ne me baigne point durant les nuits des Saturnales, pour ne pas perdre et le jour et la nuit; mais je ne m'en baigne pas moins à une heure convenable, qui ne puisse me glacer le sang, et sans risque pour ma santé. Il sera bien assez temps après ma mort d'être pâle et raide au sortir de l'eau. Je ne mange point en public aux fêtes de Bacchus, pareil à ces gladiateurs condamnés aux bêtes, qui font leur dernier repas: mais, quelque part que je mange, on me sert les mêmes aliments qu'à vous. Je n'achète point de couronnes de fleurs, mais j'achète des fleurs. Que vous importe pour quel usage? Je les aime mieux libres et flottantes, que captives dans un bouquet, ou courbées en couronnes. Les couronnes même, je les approche du nez. J'en demande pardon à ceux qui ont leur odorat dans les cheveux. Nous n'allons point à |327 vos spectacles; mais quand j'ai envie de ce qui s'y vend, je l'achète plus volontiers sur la place publique. Nous n'achetons pas d'encens, il est vrai: si les Arabes s'en plaignent, les Sabéens répondent, en revanche, qu'ils nous vendent leurs aromates à un plus haut prix et en plus grande quantité pour ensevelir nos morts, que vous n'en perdez à enfumer vos dieux.
---- Du moins, ajoutez-vous, on ne saurait nier que les revenus de nos temples ne baissent tous les jours. Qui est-ce qui met encore dans les troncs?
C'est que nous ne pouvons suffire à l'entretien de tant d'hommes et de dieux à la mendicité, et que nous ne croyons devoir donner qu'à ceux qui demandent. Que Jupiter tende la main, nous lui donnerons. On sait que notre charité fait plus d'aumônes dans les rues, que votre religion d'offrandes dans ses temples. Quant aux contributions publiques, elles rendent graces de ce qu'il y a des Chrétiens au monde, parce que les Chrétiens les acquittent sans fraude, avec cette probité consciencieuse, qui s'abstient du bien d'autrui; tandis que vous, si l'on examinait tout ce que vous dérobez au fisc par l'infidélité et la supercherie de vos déclarations, on reconnaîtrait que le seul article sur lequel vos accusations aient quelque fondement, est plus que compensé par tous les autres.
XLIII. Avouons-le cependant! Quelques hommes ne sont que trop fondés à se plaindre qu'il n'y ait rien à gagner avec les Chrétiens. Et qui sont-ils? A leur tête, les fauteurs de la débauche publique, les complices de cette infâme profession, les ravisseurs, les assassins, les empoisonneurs, les magiciens, les aruspices, les astrologues. Gain immense que de refuser toute occasion de gain à ces gens-là! Mais s'il était vrai que notre secte vous causât quelque préjudice, convenez que par ses secours, elle vous en dédommage amplement. Comptez-vous pour rien d'avoir parmi vous des hommes, je ne dis plus qui chassent les démons, qui, le front dans la poussière, invoquent |328 pour vous le vrai Dieu, mais du moins de qui vous n'avez rien à redouter?
XLIV. Une perte immense, une perte irréparable pour l'Etat, à laquelle cependant pas un regard ne s'arrête, c'est la disparition de tant d'hommes vertueux et irréprochables, qu'on persécute, qu'on immole tous les jours. Nous prenons à témoin vos registres, vous qui jugez tous les jours les prisonniers, et imprimez la flétrissure par vos sentences. Parmi cette foule d'assassins, de voleurs, de sacrilèges, de suborneurs traînés devant vos tribunaux, se trouve-t-il un seul Chrétien? Ou, parmi ceux qui vous sont déférés comme Chrétiens, s'en rencontre-t-il un seul coupable d'aucun de ces crimes? C'est donc des vôtres que regorgent les prisons; des vôtres que s'engraissent les bêtes féroces, des vôtres que retentissent les mines; des vôtres que sortent ces troupeaux de criminels destinés à repaître la curiosité publique. Là, pas un Chrétien, ou bien il n'est que Chrétien: est-il autre chose, il a cessé d'être Chrétien.
XLV. A nous seuls donc, oui, à nous seuls l'innocence! Qu'y a-t-il là qui doive vous surprendre? L'innocence est pour nous une nécessité, une impérieuse nécessité. Nous la connaissons parfaitement, l'ayant apprise de Dieu même qui en est un maître parfait: nous la gardons fidèlement, ordonnée qu'elle est par un juge qu'on ne saurait mépriser. Vous, ce sont des hommes qui vous l'ont enseignée; ce sont des hommes qui vous l'ont ordonnée. De là vient que vous ne pouvez ni la connaître comme nous, ni appréhender comme nous de la perdre. Eh! peut-on compter sur les lumières de l'homme pour connaître la vertu véritable, sur son autorité pour la faire pratiquer? Lumières qui égarent! autorité que l'on méprise!
D'ailleurs quel est le code le plus sage, de celui qui dit: Vous ne tuerez point; ou de celui qui étouffe la colère? Lequel est le plus parfait, ou de condamner l'adultère, ou de ne pas permettre la simple concupiscence des |329 yeux? Lequel creuse avec plus de sagacité et plus profondément dans le cœur humain, de celui qui interdit l'action mauvaise, ou de celui qui interdit la parole malveillante; de celui qui défend le mal, ou de celui qui défend les représailles? Et remarquez-le bien, ce que vos lois renferment de bon, elles l'ont emprunté à une loi plus ancienne, à la loi divine! Je vous ai parlé plus haut de l'antiquité de Moïse.
Mais, encore une fois, ô impuissance des lois humaines! presque toujours le coupable leur échappe, soit que le crime s'enveloppe d'impénétrables ténèbres, soit que la passion ou la nécessité les brave. Si elles atteignent, comment punissent-elles? par un supplice nécessairement court, puisqu'il meurt avec la vie. Telle est la raison par laquelle Epicure se riait de la torture et de la douleur. Légères, disait-il, elles sont aisées à supporter; violentes, elles ne durent pas. Il n'en va pas ainsi des Chrétiens. Vivant sous l'œil scrutateur auquel rien n'échappe, avant toujours à la pensée les flammes éternelles qu'il faut éviter, nous avons raison de dire que nous seuls allons au-devant de la vertu; et parce que nous la connaissons parfaitement, et parce qu'il n'y a ni ombre, ni ténèbres pour notre juge, et parce qu'un avenir, non pas limité à quelques années, mais un avenir éternel, nous environne de ses terreurs. Nous craignons l'Etre souverain que doit craindre celui qui juge des hommes tremblant devant lui; nous craignons Dieu, et non le proconsul.
XLVI. ----Je crois avoir justifié les Chrétiens de tous les crimes que leur imputent des accusateurs altérés de leur sang. J'ai tracé sans le moindre déguisement, le tableau de notre religion. L'autorité et l'ancienneté de nos Ecritures, la confession des puissances invisibles elles-mêmes, voilà mes preuves. Si quelqu'un entreprend de me réfuter, qu'il laisse là les artifices du langage: qu'il réponde avec la franchise et la simplicité dont je lui ai donné l'exemple. |330
Mais l'incrédulité, convaincue par ses rapports journaliers avec nous, de l'excellence du Christianisme, se retranche à dire qu'il n'a rien de divin, que c'est là une secte de philosophie comme les autres. Les philosophes, nous dit-on, enseignent comme vous, professent comme vous l'innocence, la justice, la patience, la sobriété et la chasteté.
Pourquoi donc, si notre doctrine est semblable à la leur, ne nous est-il pas permis de la profecser impunément comme eux? S'ils appartiennent à une secte semblable à la nôtre, pourquoi ne les condamnez-vous pas aux mêmes choses qui, repoussées par nous, nous envoient à l'échafaud? Montrez-moi le philosophe que l'on ait jamais contraint de sacrifier aux idoles, de jurer par les dieux, ou d'allumer follement des flambeaux en plein midi? Tout est permis aux philosophes. Ils détruisent ouvertement le culte public; ils déclament contre vos superstitions, et vous le souffrez! Vous leur décernez des récompenses, vous leur élevez des statues avec la même facilité qui nous condamne aux bêtes. Sagesse que j'approuve! Ils prennent le nom de philosophes, et non pas de Chrétiens! Or, le nom de philosophe ne met pas en fuite les démons. Que dis-je? Les philosophes placent les démons au second rang après les dieux. On connaît le mot favori de Socrate: « Si mon génie le permet. » Ce même sage, qui du moins entrevoyait la vérité, puisqu'il niait tous ces dieux chimériques, ordonna bien cependant, à la veille de mourir, qu'on sacrifiât un coq à Esculape, sans doute par reconnaissance pour son père Apollon, dont l'oracle l'avait déclaré le plus sage de tous les hommes. Quelle étourderie dans Apollon! Il proclamait la sagesse d'un homme qui ne reconnaissait pas les dieux!
Plus la vérité soulève de haines, plus celui qui la professe sans déguisement révolte les esprits. Mais un secret infaillible pour plaire à ceux qui la persécutent, c'est de l'altérer et de l'affaiblir. Ainsi font les philosophes, qui |331 affectent d'aimer la vérité, et qui la corrompent, parce qu'ils ne poursuivent qu'un fantôme de gloire. Les Chrétiens, au contraire, uniquement occupés de leur salut, recherchent nécessairement la vérité, et la professent franchement: tant il est vrai qu'il ne faut pas songer à comparer les philosophes aux Chrétiens, soit pour la doctrine, soit pour les mœurs.
Lorsque Crésus interrogea Thales, ce prince des physiciens, que put-il lui répondre de positif sur la divinité, après avoir frustré son espérance par de longs délais? Chez les Chrétiens, l'artisan le plus obscur connaît Dieu, le fait connaître aux autres, satisfait à toutes les questions sur l'auteur de l'univers: tandis que Platon nous affirme qu'il est difficile de découvrir le maître de la nature, plus dangereux encore de le divulguer à la multitude.
Les philosophes prétendraient-ils nous le disputer pour la chasteté? Je lis dans l'arrêt de mort de Socrate: Condamné comme corrupteur de la jeunesse. Jamais on ne reprochera à un Chrétien des attentats contre la nature. Diogène ne rougissait pas de ses rapports avec la courtisane Phryné; Speusippe, disciple de Platon, fut surpris et tué dans un adultère. Un Chrétien ne connaît de femme que la sienne. Démocrite, se crevant les yeux de sa propre main parce qu'il ne pouvait maîtriser le tumulte de ses sens à l'aspect d'une femme, ni contenir sa douleur si ses impudiques désirs avaient été trompés, publie assez son incontinence par la punition qu'il s'impose. Un Chrétien garde ses yeux et ne les fixe jamais sur aucune femme: son cœur est aveugle pour la volupté. Parlerai-je de la modestie? Je vois Diogène fouler de ses pieds couverts de boue l'orgueil de Platon, par un orgueil plus insolent encore. Un Chrétien est humble, même avec le pauvre. S'agit-il de modération? Pythagore veut régner sur les Thuriens, Zenon sur les Priéniens. Un Chrétien ne brigue pas même l'édilité. Faut-il en venir à l'égalité d'ame? Lycurgue se laisse mourir de faim |332 parce que les Lacédémoniens avaient changé quelque chose à ses lois. Un Chrétien rend grâces aux bourreaux qui l'ont condamné. Si je compare la bonne foi, Anaxagore nie le dépôt qui lui a été confié par ses hôtes: la bonne foi des Chrétiens est vantée par les païens eux-mêmes. Si je considère la bonté, Aristote chasse son ami Hermias du poste qu'il occupait. Un Chrétien n'humiliera point son ennemi. Le même Aristote flatte bassement Alexandre pour le gouverner; Platon se vend à Denys le Tyran, pour être admis aux délices de sa table; Aristippe, sous la pourpre et sous le masque de la gravité, s'abandonne à la débauche; Hippias est tué dans ses tentatives pour opprimer sa patrie: jamais un Chrétien ne s'est rien permis contre l'Etat, pas même pour venger les Chrétiens, quelques persécutions qu'ils aient subies.
On nous objectera peut-être qu'il en est aussi parmi nous qui s'affranchissent des règles de notre discipline. On oublie d'ajouter que, ceux-là, nous ne les regardons plus comme des Chrétiens; mais les philosophes, après tant de crimes et de bassesses, conservent parmi vous le nom et les honneurs de sages. Quel rapport existe-t-il donc entre un philosophe et un Chrétien? entre un disciple de la Grèce et un disciple du ciel? entre un homme qui poursuit une vaine gloire, et un homme exclusivement occupé de son salut? entre un homme qui parle en sage, et un homme qui vit en sage? entre un homme habile à détruire, et un homme qui ne sait qu'édifier? Comment pouvez-vous comparer le partisan de l'erreur avec son antagoniste? le corrupteur de la vérité avec son vengeur? celui qui la dérobe, et celui qui en est le possesseur et le gardien le plus antique? Encore une fois, entre ces deux hommes, où sont les points de contact?
XLVII. L'antiquité' de nos livres saints, établie précédemment, vous inclinera à les regarder comme le trésor où vos sages sont venus puiser leurs richesses. Si je ne craignais de grossir démesurément cet ouvrage, la |333 démonstration ne serait pas difficile. Quel est le poète, quel est le sophiste qui ne se soit abreuvé de cette vérité aux sources des prophètes? C'est à ces fontaines sacrées que les philosophes ont désaltéré leur soif. Comme ils se sont couverts de quelques-unes de nos dépouilles, on les compare aux Chrétiens. Voilà pourquoi, j'imagine, la philosophie a été chassée par quelques Etats, tels que Thèbes, Lacédémone, Argos. Ces hommes, passionnés uniquement pour la gloire et l'éloquence, s'efforcèrent d'atteindre à l'élévation de nos Ecritures. Venaient-ils à y rencontrer quelques-unes des maximes favorables à leurs vues, et capables d'éveiller la curiosité, ils se les appropriaient et les accommodaient à leur fantaisie. N'y reconnaissant pas le caractère divin dont elles sont empreintes, ils ne se faisaient pas scrupule de les altérer en les dérobant; d'ailleurs leur intelligence était fermée à la plupart de ces passages mystérieux, voilés pour les Juifs eux-mêmes, à qui ces livres appartenaient. L'orgueil humain, en révolte contre la vérité simple et sans ornement qu'il ne pouvait ni goûter, ni croire, corrompit cette majestueuse simplicité par le mélange de ses conjectures et l'extravagance de ses inventions. Ainsi, au lieu d'enseigner le dogme de l'unité de Dieu tel qu'il l'avait trouvé, il disputa sur la nature, sur les attributs, sur la demeure de l'Etre souverain. Les platoniciens croient que Dieu n'a point de corps; les stoïciens soutiennent qu'il a un corps. Epicure le compose d'atomes, et Pythagore de nombres; Heraclite trouve son principe dans la matière ignée. Ecoutez les disciples de Platon! La providence gouverne les choses du monde. Que dit Epicure? Dieu végète immobile, engourdi, dans un éternel repos, absent de la terre. Les stoïciens le supposent hors du monde, qu'il meut comme le potier tourne sa roue; les platoniciens le placent dans le même monde qu'il régit, comme le pilote conduit son vaisseau. S'accorderont-ils davantage sur le monde? A-t-il commencé? est-il éternel? doit-il finir? subsistera-t-il toujours? Ils ne savent que résoudre. Même incertitude sur la |334 nature de l'ame. Elle est divine et éternelle, selon les uns, mortelle et corruptible, selon les autres. Chacun ajoute ou retranche à sa fantaisie.
Mais pourquoi nous étonner que les philosophes, avec leurs imaginations, aient défiguré les croyances primitives, puisque de nos jours des hommes, sortis de cette semence, ont corrompu sous un mélange adultère les nouveaux livres des Chrétiens, en y interpolant avec des dogmes arbitraires, des opinions philosophiques, et ont ouvert sur cette route large et droite mille sentiers tortueux, labyrinthe inextricable? Ceci, je ne l'insinue qu'en passant, de peur que le grand nombre de sectes qui divisent le Christianisme ne fournisse un nouveau prétexte de nous comparer aux philosophes, et que les divergences de leurs doctrines ne se confondent avec la vérité de notre religion.
A tous ces corrupteurs de l'Evangile, nous opposons l'argument invincible de la prescription; que la seule religion véritable est celle qui, enseignée par Jésus-Christ, nous a été transmise par ses disciples. Tous les novateurs ne sont venus qu'après. C'est dans la vérité même, qu'à la suggestion des esprits trompeurs, ils ont cherché des matériaux pour bâtir l'échafaudage de leurs erreurs sur les ruines de la vérité. Eux seuls ont infecté notre salutaire doctrine par un alliage impur; eux seuls ont mêlé à nos saintes croyances des fables qui en infirment l'autorité par un faux air de ressemblance avec elles, et s'infiltrent dans les esprits crédules. Qu'arrive-t-il alors? On ne sait s'il faut croire les Chrétiens, par la raison qu'il ne faut croire ni les poètes, ni les philosophes; ou bien s'il faut ajouter foi aux poètes et aux philosophes, sous le prétexte que les Chrétiens ne méritent pas d'être crus. Aussi, que nous proclamions le jugement à venir de Dieu, on se moque de nos prédications, parce que les poètes et les philosophes ont imaginé un tribunal dans les enfers! Menaçons-nous de feux souterrains, trésor de colère destiné au châtiment du |335 crime? Quels longs éclats de rire! La fable aussi fait couler un fleuve de feu dans le séjour des morts. Parlons-nous du paradis, ce lieu de voluptés divines, préparé pour recevoir les ames des saints, et séparé de notre globe par une portion de la zone de feu? Les Champs-Elysées se sont emparés de tous les esprits. Je le demande, qui a pu inspirer aux poètes et aux philosophes des fictions si semblables à nos mystères, sinon nos mystères eux-mêmes, d'ailleurs beaucoup plus anciens? A nos mystères donc la foi et la certitude, puisque l'on croit même ce qui n'en est que l'ombre et l'image! Dira-t-on que les poètes et. les philosophes ont l'honneur de l'invention? Voilà nos mystères devenus l'image de ce qui leur est postérieur, ce qui va contre l'essence des choses. Jamais l'ombre ne marche avant le corps, ni la copie avant l'original.
XLVIII. Poursuivons! Qu'un philosophe soutienne, comme Labérius le dit d'après les principes de Pythagore, qu'après la mort le mulet est converti en homme, la femme en couleuvre; qu'il mette en œuvre tout l'art du raisonnement pour accréditer ce dogme, ne réussira-t-il point à vous séduire? N'ira-t-il point jusqu'à vous persuader de vous abstenir de la chair des animaux, parce qu'en mangeant de quelque bœuf, vous pourriez bien manger un de vos ancêtres? Mais qu'un Chrétien vous affirme que l'homme ressuscitera de l'homme, que Caius renaîtra Caius, la populace aussitôt de le charger de coups; les coups ne suffiront point; elle s'armera de pierres pour le lapider. Si cependant il y a quelque fondement à l'opinion que les ames humaines retournent dans les corps, pourquoi ne reviendraient-elles pas animer les mêmes corps, puisque ressusciter, c'est redevenir ce que l'on était? Séparées du corps, elles ne sont plus ce qu'elles avaient été, car elles n'ont pu devenir ce qu'elles n'étaient pas, qu'en cessant d'être ce qu'elles avaient été.
Je perdrais trop de précieux moments, et j'apprêterais à rire, si je voulais examiner ici en quelle sorte de bête |336 chacun devrait être transformé. Il vaut bien mieux poursuivre cette apologie, et faire remarquer qu'il est bien plus conforme à la raison de croire que chaque homme redeviendra ce qu'il avait été, individu pour individu, et que la même ame animera de nouveau le même corps, quoique peut-être la ressemblance extérieure ne soit pas absolument la même. La résurrection ayant sa cause dans le jugement dernier, il s'ensuit que l'homme doit y comparaître avec son identité primitive, pour recevoir de Dieu la récompense ou la punition qu'il a méritée. Voilà pourquoi les corps seront rétablis dans leur forme, et parce que les ames sont incapables de sentir si elles ne sont unies à une matière sensible, qui est la chair, et parce que le jugement éternel qu'elles vont subir, elles ne l'ont mérité que concurremment avec cette chair dans laquelle et par laquelle s'exerçaient leurs facultés.
Merveille incompréhensible! dites-vous. Comment cette matière réduite en poussière pourra-t-elle reformer un corps? Homme, jette les yeux sur toi-même, et tes doutes s'évanouiront. Avant d'être homme, qu'étais-tu? Rien, sans doute. Si tu avais été quelque chose, tu t'en souviendrais. Rien avant d'être, rien après que tu auras cessé d'être, pourquoi celui qui t'appela une première fois du néant à l'existence, ne pourrait-il pas t'y ramener quand il le voudra? Qu'y aura-t-il de nouveau? Tu n'étais pas, et voilà que tu es; tu ne seras plus, et tu recommenceras d'être. Explique-moi, si tu peux, comment tu es entré dans la vie, je t'expliquerai à mon tour comment tu pourras y revenir. Ne semble-t-il pas même qu'il te sera plus facile de redevenir ce que tu étais déjà, après que Dieu t'a créé sans difficulté ce que tu n'étais pas encore?
Révoquerez-vous en doute la puissance de Dieu, qui en créant de rien ce vaste univers, commanda jadis aux abîmes du néant, comme un jour il commandera au silence de la mort, et souffla sur ce magnifique ensemble |337 l'esprit vivifiant qui l'anime? Mais, pour aider votre foi, il vous a environnés des images de la résurrection. Tous les jours la lumière expire et renaît sous vos yeux; les ténèbres lui succèdent pour lui faire place; les astres s'éteignent et se rallument; les révolutions du temps recommencent ou elles finissent; les fruits passent et reviennent, la semence ne se corrompt dans la terre que pour se féconder; tout se conserve par sa destruction même, se reproduit par sa propre mort. Homme, créature si excellente, quand tu n'aurais appris à connaître ta sublimité que par l'oracle d'Apollon, qui te proclame le seigneur de tout ce qui meurt et de tout ce qui renaît, toi seul, en mourant, tu périrais pour toujours! Quelque part que repose ta dépouille inanimée, quel que soit l'élément qui ait détruit ton corps, qu'il l'ait englouti, consumé, et, ce semble, anéanti, il le rendra tout entier. Le néant n'est-il pas à Dieu, aussi bien que l'universalité des êtres?
---- Quoi donc, toujours mourir, toujours ressusciter! vous écriez-vous. Si le maître de la nature l'avait ainsi ordonné, il vous faudrait, bon gré, mal gré, subir sa loi; mais il n'a rien réglé là-dessus que ce qu'il nous a lui-même appris. La même sagesse qui a composé l'univers, ce tout si bien assorti des éléments les plus opposés, qui fait concourir à sa perfection le vide et le plein, les êtres animés et la matière inintelligente, ce qui tombe sous nos sens et ce qui leur échappe, la lumière et les ténèbres, la vie et la mort, la même sagesse a placé à la suite l'une de l'autre deux périodes de siècles bien différentes: la première, qui a commencé avec le monde et qui finira avec lui; la seconde, que nous attendons et qui se confondra avec l'éternité.
Lors donc qu'apparaîtra cette borne posée entre deux. abîmes ouverts, lorsque la figure du monde s'évanouira, et que le temps, rideau d'un jour jeté devant l'éternité, tombera, alors le genre humain tout entier se lèvera du tombeau pour comparaître devant son juge, pour y |338 recevoir la récompense ou le châtiment que chacun de nous aura mérité; éternellement heureux, éternellement malheureux. Alors plus de mort, plus de résurrection nouvelle! Rendus à la chair que nous habitons aujourd'hui, nous ne changerons plus. Les fidèles adorateurs de Dieu, revêtus de la substance de l'immortalité, jouiront éternellement de Dieu; les profanes, tous ceux qui ne seront pas irréprochables devant lui, seront condamnés à des flammes également immortelles, auxquelles il communique sa divine substance et qui ont la vertu de rendre incorruptible. Vos philosophes même ont reconnu la différence entre le feu que nous voyons et celui que nous ne voyons pas, entre le feu qui sert à l'usage de l'homme, et celui que Dieu allume pour ses vengeances, soit que le dernier éclate dans la foudre, soit qu'il gronde dans la terre et s'élance par les ouvertures des montagnes. Ce feu miraculeux ne consume pas ce qu'il dévore; il répare à mesure qu'il détruit. Ainsi les montagnes brûlent toujours sans jamais se consumer; ainsi celui qui est frappé de la foudre parmi vous ne tombera plus en cendres sous le feu humain. Image sensible, témoignage toujours subsistant de ce feu indestructible qui alimente le châtiment! Puisque les montagnes brûlent toujours et ne se consument jamais, pourquoi les pécheurs et les ennemis de Dieu ne pourraient-ils pas toujours souffrir et toujours vivre, brûler sans cesse et vivre sans fin?
XLIX. ---- Ces dogmes, vous ne les traitez de préjugés que parmi nous. Chez les philosophes et les poètes, ce sont des connaissances sublimes. Ils sont tous des génies du premier ordre, des sages par excellence. Pour nous, nous ne sommes que des idiots. A eux l'estime et les honneurs! à nous le mépris, l'insulte, et qui plus est, le châtiment!
Préjugés, tant qu'il vous plaira! Absurdités, si vous le trouvez bon! Mais ils n'en sont ni moins nécessaires, ni moins utiles, puisque, par la crainte de supplices éternels, ou par l'espoir d'une récompense sans fin, ils obligent à devenir meilleur quiconque les croit. Ne venez donc plus |339 traiter de chimères ou d'inepties des dogmes dont la croyance est si avantageuse: on ne peut condamner à aucun titre ce qui est véritablement utile. S'il y a préjugé quelque part, il est dans vous qui repoussez avec blâme des doctrines aussi profitables, et qui par là même sont justifiées du reproche d'absurdité. Admettons pour un moment que ce soient des chimères et des extravagances, au moins ne portent-elles préjudice à personne: il faut les inscrire alors parmi ces mille opinions vaines et fabuleuses que personne ne vous défère, contre lesquelles vous n'avez pas de sentence, et que vous laissez circuler librement comme innocentes. Etes-vous décidés à les punir? punissez-les par le ridicule; mais par le glaive, par le feu, par les croix, par les bêtes, jamais!
Ce n'est pas seulement une aveugle multitude qui triomphe de ces barbares exécutions, et insulte aux victimes: il en est parmi vous qui mendient la faveur populaire par ces iniquités, et s'en applaudissent fièrement, comme si le pouvoir que vous avez sur nous ne venait pas de nous-mêmes. Assurément, je suis chrétien, parce que je veux l'être: vous ne me condamnerez donc que parce que je voudrai bien être condamné. Puisque vous n'avez de pouvoir sur moi qu'autant que je vous en donne, ce n'est donc pas de vous, mais de moi seul que vous le tenez: et la multitude triomphe bien vainement à l'aspect de nos tortures. A nous le triomphe qu'elle usurpe, puisque nous aimons mieux être condamnés que de nous déshériter de Dieu! Loin de battre des mains, nos ennemis devraient s'affliger, puisque nous avons obtenu ce que nous avions choisi!
L. ---- Eh bien! nous prenons acte de vos paroles, dites-vous. Pourquoi donc vous plaindre de la persécution, puisque vous voulez être persécutés? Vous devez aimer ceux de qui vous souffrez ce que vous voulez souffrir!
---- Sans doute, nous aimons la souffrance, mais comme on aime la guerre, où personne ne s'engage volontiers à |340 cause de ses alarmes et de ses périls. On n'en combat pas moins de toutes ses forces: après avoir accusé la guerre, on se réjouit de la victoire, parce qu'on en sort chargé de gloire et de butin. Notre champ de bataille à nous, ce sont vos tribunaux où l'on nous traîne, et en face desquels nous combattons pour la vérité, au péril de notre tête. Notre victoire, c'est le suffrage de Dieu; notre butin, l'éternité. Nous perdons la vie, il est vrai; mais nous emportons le trophée en mourant. En mourant, nous triomphons, nous échappons à nos ennemis. Insultez à nos douleurs tant qu'il vous plaira! Appelez-nous hommes de poteaux et de sarments, parce que vous nous immolez au pied des poteaux, sous la flamme du sarment. Voilà nos palmes à nous, voilà notre pourpre, voilà notre char de triomphe. Les vaincus ont bien sujet de ne pas nous aimer; aussi nous regardent-ils comme des furieux et des désespérés.
Mais que cette fureur et ce désespoir soient allumés chez vous par une vaine passion de gloire et de réputation, ils se convertissent en étendard d'héroïsme. Scevola brûle volontairement sa main sur un autel: quelle constance! Empédocle se précipite dans le gouffre embrasé de l'Etna: quelle énergie! La fondatrice de Carthage, je ne sais quelle Didon, livre au bûcher son second hymen: ô prodige de chasteté! Régulus, plutôt que de vivre, échangé contre plusieurs ennemis, endure dans son corps mille et mille aiguillons: ô magnanimité romaine, libre et triomphante jusque dans les fers! Anaxarque, pendant qu'on le broie dans un mortier, s'écrie: « Broyez, broyez l'enveloppe d'Anaxarque! car, pour Anaxarque, il ne sent rien: » admirable force d'ame, énergique philosophie qui plaisante jusque dans les angoisses d'une pareille mort! Laissons de côté ceux qui ont cherché la louange publique dans leur propre poignard, ou dans quelque genre de mort plus doux: vous-mêmes, vous couronnez la constance dans les supplices. Une courtisane d'Athènes, après |341 avoir lassé le bourreau, se coupa la langue avec ses dents, et la cracha au visage du tyran qui la torturait, pour qu'il lui fût impossible de révéler les conjurés, quand même, vaincue par la douleur, elle en aurait la volonté. Zenon d'Elée, interrogé par Denys à quoi pouvait servir la philosophie: « A braver la mort, » répondit-il. Déchiré par les fouets du despote, le philosophe scella sa réponse de tout son sang. La flagellation des jeunes Lacédémoniens, irritée encore par la présence et les exhortations de leurs parents, les couvre de gloire à proportion du sang qu'ils répandent.
Voilà une gloire légitime, parce que c'est une gloire humaine! Il n'y a là ni préjugé, ni fanatisme, ni désespoir dans le mépris de la vie et des supplices. Eh quoi! il est permis d'endurer pour la patrie, pour l'empire, pour l'amitié, ce qu'il est défendu d'endurer pour Dieu! Vous érigez des statues à ces héros profanes; vous gravez leurs éloges sur le marbre; vous éternisez leur nom sur l'airain; autant qu'il est en vous, vous leur créez après leur mort une existence indestructible! Et le héros chrétien qui attend de Dieu la résurrection véritable, qui souffre pour lui dans cette espérance, le héros chrétien n'est à vos yeux qu'un homme saisi de démence!
Courage, dignes magistrats! Assurés que vous êtes des applaudissements populaires tant que vous immolerez des Chrétiens à la multitude, condamnez-nous, déchirez nos corps, appliquez-les à la torture, broyez-les sous vos pieds î Vos barbaries prouvent notre innocence: c'est pourquoi Dieu nous envoie la tribulation. Dernièrement, en condamnant une Chrétienne à être exposée dans un lieu infâme plutôt qu'au lion de l'amphithéâtre, vous avez reconnu que la perte de la chasteté est pour nous le plus grand des supplices, et plus terrible que la mort elle-même.
Mais où aboutissent les raffinements de votre cruauté? Ils sont l'amorce du Christianisme. Plus vous nous moissonnez, plus notre nombre grandit: notre sang est une |342 semence de Chrétiens. La plupart de vos sages ont recommandé le courage dans la douleur et la confiance dans la mort. Cicéron l'a fait dans ses Tusculanes; Sénèque, Pyrrhon, Diogène, Callinicus l'ont fait dans divers traités. Mais l'exemple des Chrétiens est mille fois plus éloquent que les prédications de vos philosophes. Cette invincible fermeté elle-même que vous nous reprochez, qu'est-elle autre chose que la leçon la plus puissante? Qui peut assister à ce spectacle sans éprouver le désir de scruter le mystère qu'il renferme? Le mystère une fois pénétré, ne vient-on pas se joindre à nous? Une fois dans nos rangs, n'aspire-t-on pas à souffrir, pour obtenir en échange la plénitude des grâces divines, pour acheter au prix de son sang le pardon de ses iniquités? car il n'en est point que le martyre n'efface. Aussi, grâces vous soient rendues pour vos sentences de mort! Mais que les jugements de Dieu sont bien loin des jugements des hommes! Tandis que la terre nous condamne, le ciel nous absout.
2. (1) Sterculus, dieu du fumier. Mutunus était chez les Romains ce que Priape était chez les Grecs. Larentine, ou Laurentia, femme du berger Faustule, surnommée Lupa, à cause de ses mœurs; d'où lupanar.
M. l'abbé GUILLON.
Imperium sine fine dedi.
Enéide, i.
4. (1) Ce membre de phrase a un second sens également plausible. Le voici: « Quand d'ailleurs on les voit remplir avec zèle d'autres devoirs religieux. »
5. (1) Rom. xiii. ---- I Timoth. 11.
Traduit par E.-A. de Genoude, 1852. Proposé par Roger Pearse, 2005. Si vous trouvez une erreur à cette page, svp informez-moi par l'email: Roger Pearse.
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