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TERTULLIEN

LES PRESCRIPTIONS

CONTRE

LES HÉRÉTIQUES.

[Traduit par E.-A. de Genoude]

I. Les circonstances présentes m'obligent d'avertir qu'il ne faut s'étonner, ni qu'il y ait des hérésies, elles ont été prédites; ni qu'elles détruisent la foi de quelques-uns, car elles existent pour que notre foi, passant par la tentation, ait le mérite de l'épreuve. C'est donc sans fondement que le grand nombre se scandalise de ce que les hérésies font tant de progrès. Eh! que serait-ce s'il n'y en avait point? Lorsqu'une chose est, elle a nécessairement et sa cause finale pour laquelle elle est, et son énergie propre qui en fait l'essence, et sans quoi elle ne peut être.

II. Nous ne sommes pas surpris que la fièvre soit placée parmi les principes de douleur et de mort qui affaiblissent le corps humain: telle est sa nature. Par conséquent, si nous sommes effrayés que les hérésies puissent produire l'affaiblissement et l'extinction de la foi, nous devons l'être d'abord qu'elles existent; car n'existant que pour produire cet effet, elles ont nécessairement ce pouvoir, dès qu'elles existent. C'est parce que nous savons que la fièvre est un mal, et par sa cause, et par sa nature, qu'elle nous effraie sans nous étonner. Ne pouvant la détruire, nous faisons tous nos efforts pour nous en garantir. Mais pourquoi |344 nous étonner que les hérésies qui nous brûlent de feux bien plus dévorants, et qui donnent la mort éternelle, puissent avoir de tels effets, au lieu d'empêcher qu'elles ne les aient? C'est uniquement ce dernier point qui dépend de nous. Au reste, elles n'ont de pouvoir qu'autant que nous nous en laissons effrayer; troublés par la frayeur, nous nous scandalisons; nous scandalisant, nous nous persuadons que ce pouvoir ne vient que de la vérité. Il serait étonnant sans doute que le mal eût tant de pouvoir, si c'était sur d'autres que sur des hommes faibles dans la foi. Dans les combats d'athlètes et de gladiateurs, le vainqueur n'est, pour l'ordinaire, ni brave, ni encore moins invincible; mais il a eu en tête un faible adversaire, aussi lui en propose-t-on un plus courageux. Le vainqueur est vaincu à son tour. Il en est de même des hérésies: puissantes par notre faiblesse, elles ne peuvent rien sur une foi ferme et solide.

III. Les ames faibles sont encore entraînées par la chute de certains personnages. Comment, dit-on, des personnes si fidèles, si fermes, si éprouvées dans l'Eglise, ont-elles pu passer dans le parti de l'erreur? Ceux, qui font l'objection pourraient eux-mêmes répondre que ces personnes n'étaient dans le fond rien de tout ce qu'on suppose, puisque l'hérésie les a perverties. Mais, d'ailleurs, est-il bien extraordinaire que des hommes d'une vertu à l'épreuve se soient démentis dans la suite? Saül, au-dessus de tout son peuple, succomba bientôt après à la jalousie; David, ce prince selon le cœur de Dieu, est souillé du double crime d'adultère et d'homicide; Salomon, comblé des dons de Dieu, rempli de sa sagesse, est entraîné dans l'idolâtrie par ses femmes. Il était réservé au Fils de Dieu seul de persévérer jusqu'à la fin sans péché. Quoi! si un évêque, si un diacre, si une veuve, si une vierge, si un docteur, si un martyr même s'éloigne de la foi, les hérésies deviendront-elles pour cela la vérité? Jugeons-nous de la foi par les personnes, ou des personnes par la foi? Point de sage |345 que le fidèle, point de grand homme que le Chrétien, point de Chrétien que celui qui aura persévéré jusqu'à la fin. Homme, vous ne connaissez d'un autre homme que l'extérieur; vous croyez ce que vous voyez; vous ne voyez que jusqu'où porte votre vue. L'oeil de Dieu est seul perçant; il lit au fond des cœurs, tandis que l'homme s'arrête au visage. Aussi le Seigneur connaît-il ceux qui sont à lui; « il arrache toute plante que son Père n'a point plantée; il nous fait voir les derniers parmi les premiers; il tient le van dans sa main pour nettoyer son aire. » Que la paille légère vole au gré du premier souffle des tentations, le froment en sera plus pur dans les greniers du Seigneur. N'y eut-il pas même plusieurs disciples du Seigneur qui se scandalisèrent de lui et l'abandonnèrent? Mais les autres ne lui en restèrent pas moins attachés. Sachant qu'il venait de Dieu, et qu'il était la parole de vie, ils l'accompagnèrent jusqu'à la fin, quoiqu'il leur eût laissé la liberté de se retirer s'ils le jugeaient à propos. Comment s'étonner que son Apôtre ait été abandonné par un Phygellus, un Hermogène, un Philétus, un Hyménée, puisque parmi les Apôtres eux-mêmes il y eut un traître. Nous nous étonnons de voir ses églises délaissées par quelques personnes; mais ce que nous souffrons, à l'exemple de Jésus-Christ, est ce qui montre que nous sommes Chrétiens. « Ils sont sortis d'entre nous, dit son disciple bien-aimé, mais ils n'étaient pas des nôtres; s'ils en eussent été, ils seraient demeurés avec nous. »  

IV. Souvenons-nous des oracles du Seigneur et de ses Apôtres, qui, en nous prédisant qu'il y aurait des hérésies, nous ont ordonné de les fuir. Et comme nous ne sommes pas troublés parce qu'il y en a, nous ne devons pas être surpris qu'elles aient les suites qui nous obligent à les fuir. Le Seigneur nous avertit qu'il viendra un grand nombre de loups ravisseurs sous des peaux de brebis. Quelles sont ces peaux de brebis, sinon les dehors du Christianisme? Quels sont ces loups ravisseurs, sinon des esprits |346 trompeurs qui se tiennent cachés pour ravager le troupeau de Jésus-Christ? Qui sont les faux prophètes, sinon les docteurs de l'erreur? Qui sont les faux apôtres, sinon les corrupteurs de l'Evangile? Qui sont les antechrists à présent et dans tous les temps, sinon des hommes rebelles à Jésus-Christ? Il y a actuellement des hérésies qui ne déchirent pas moins l'Eglise par la perversité de leurs doctrines, que l'antechrist ne la déchirera un jour par la cruauté de la persécution; avec cette différence que la persécution fait des martyrs, et que l'hérésie ne fait que des apostats. Il fallait, selon l'Apôtre, qu'il y eût des hérésies pour faire connaître ceux qui sont à l'épreuve, et des fureurs de la persécution, et de la séduction de l'hérésie; car Paul n'appelle pas hommes à l'épreuve ceux qui abandonnent la foi pour l'hérésie, quoiqu'ils s'efforcent d'interpréter en leur faveur un autre texte du même Apôtre, qui dit: « Examinez tout, et gardez ce qui est bien: » comme si, après avoir mal examiné, on ne pouvait pas se tromper en choisissant ce qui est mal.

V. Si l'Apôtre s'élève contre les schismes et les divisions qui sont, sans contredit, des maux, et si, immédiatement après, il y joint les hérésies, il témoigne par là qu'il les regarde comme un mal plus considérable, puisqu'il croit qu'il y a des schismes et des divisions, parce qu'il faut qu'il y ait même des hérésies. La perspective d'un plus grand mal lui en rend un plus léger vraisemblable. Il prend de là occasion d'avertir qu'il ne faut pas se laisser troubler par les plus fortes tentations, dont le but est de faire connaître les vertus à l'épreuve, celles que l'hérésie n'a pu ébranler. Enfin, si le passage de l'Apôtre ne tend qu'à maintenir l'union et à éteindre toutes les divisions, et si les hérésies ne sont pas moins contraires à l'union que les schismes et les dissensions, il s'ensuit manifestement que l'Apôtre range les hérésies et les schismes dans la même classe, et qu'il est bien éloigné, par conséquent, de regarder comme des hommes à l'épreuve ceux qui se sont |347 séparés par l'hérésie; d'autant plus qu'il condamne toute séparation, et qu'il recommande de penser et de parler tous de même, ce que ne permet point l'hérésie.

VI. Ne nous arrêtons pas davantage sur ce sujet, puisque c'est le même Apôtre qui, dans l'Epître aux Galates, met l'hérésie au nombre des péchés de la chair et conseille à Tite de fuir tout hérétique après une première correction, parce qu'il est perverti et condamné par lui-même. Dans presque toutes ses Epîtres, Paul nous répète qu'il faut éviter les fausses doctrines: il désigne sous ce nom les hérésies, dont ces fausses doctrines sont le fruit. Hérésie vient d'un mot grec qui signifie choix, parce que l'hérétique choisit effectivement la doctrine qu'il invente ou qu'il adopte. C'est pourquoi l'Apôtre dit que l'hérétique est condamné par lui-même, car c'est de lui-même qu'il a choisi la doctrine qui le fait condamner. Pour nous, il ne nous est permis ni d'inventer, ni de choisir ce qu'un autre aurait inventé. Nous avons pour auteurs les Apôtres du Seigneur, qui eux-mêmes n'ont rien imaginé, ni choisi, mais qui ont transmis fidèlement à l'univers la doctrine qu'ils avaient reçue de Jésus-Christ. Aussi, quand un ange viendrait du ciel nous annoncer un autre Evangile, nous lui dirions anathème. Le Saint-Esprit nous avait prévenus que l'ange séducteur, transformé en ange de lumière, obséderait la vierge Philumène. C'est lui dont les prestiges ont engagé Apelles à inventer une nouvelle hérésie.

VII. Ce sont là les doctrines des hommes et des démons, nées de la sagesse profane, pour charmer les oreilles curieuses. Le Seigneur a traité cette sagesse de folie, et a choisi ce qui est folie selon le monde, pour confondre la philosophie. La philosophie, qui entreprend de sonder témérairement la nature de la divinité et de ses décrets, a fourni matière à cette sagesse profane: c'est elle, en un mot, qui a inspiré toutes les hérésies. De là viennent les Eons, et je ne sais quelles formes bizarres, et la trinité humaine de Valentin, qui avait été platonicien. De là le |348 dieu bon et pacifique de Marcion, sorti des stoïciens. Les épicuriens enseignent que l'ame est mortelle. Toutes les écoles de philosophie s'accordent à nier la résurrection des corps. La doctrine qui confond la matière avec Dieu, est la doctrine de Zenon. Parle-t-on d'un dieu de feu? c'est l'opinion d'Heraclite. Les philosophes et les hérétiques traitent les mêmes sujets, s'embarrassent dans les mêmes questions. D'où vient le mal et pourquoi est-il? D'où vient l'homme, et comment? Et d'où vient Dieu, comme l'a demandé récemment Valentin? c'est sans doute de la pensée et d'un avorton. Que je plains Aristote d'avoir inventé pour eux la dialectique, cet art de la dispute, également propre à détruire et à édifier, vrai Protée dans ses systèmes, outrée dans ses conjectures, bizarre dans le choix de ses sujets, fertile en contentions, contraire à elle-même, sans cesse défaisant tout ce qu'elle vient de faire! De là ces fables, ces généalogies sans fin, ces questions oiseuses, ces discours qui gagnent comme la gangrène, contre lesquels veut nous prémunir l'Apôtre, qui, dans son Epître aux Colossiens, avertit de se tenir en garde contre la philosophie: « Prenez garde que quelqu'un ne vous trompe au moyen de la philosophie et des discours séducteurs, selon la tradition des hommes, et contre la sagesse du Saint-Esprit. » Il avait été à Athènes, où il avait connu par lui-même cette sagesse profane qui se vante d'enseigner la vérité qu'elle corrompt, et divisée en plusieurs sectes, qui sont comme autant d'hérésies, ennemies jurées les unes des autres. Mais qu'y a-t-il de commun entre Athènes et Jérusalem, l'académie et l'Eglise, les hérétiques et les Chrétiens? Notre secte vient du portique de Salomon, qui nous a enseigné à chercher Dieu avec un cœur simple et droit. A quoi pensaient ceux qui prétendaient nous composer un Christianisme stoïcien, platonicien et dialecticien?

VIII. Nous n'avons pas besoin de curiosité après Jésus-Christ, ni de recherches après l'Evangile. Quand nous croyons, nous ne voulons plus rien croire au-delà; nous |349 croyons même qu'il n'y a plus rien à croire. Je viens à une objection dont les nôtres se servent pour autoriser leur curiosité, et les hérétiques pour nous embarrasser. Il est écrit, dit-on: « Cherchez, et vous trouverez. » Faisons attention au temps dans lequel Jésus-Christ dit ces paroles: c'était dans les commencements de sa prédication, lorsque tout le monde doutait s'il était le Christ, lorsque Pierre n'avait pas encore déclaré qu'il le reconnaissait pour le Fils de Dieu, lorsque Jean, qui en était assuré, venait de mourir. C'est donc avec bien de la raison que Jésus-Christ disait: « Cherchez, et vous trouverez, » lorsque, n'étant pas encore connu, il fallait nécessairement le chercher. Au reste, tout ceci regarde les Juifs, qui avaient où chercher le Christ. Ils ont, disait-il lui-même, Moïse et Elie, c'est-à-dire la loi et les prophètes qui annoncent Jésus-Christ. C'est ce qu'il dit encore plus ouvertement ailleurs: « Sondez les Ecritures, dont vous espérez le salut, car elles parlent de moi; » c'est-à-dire, « cherchez et vous trouverez. » Il est évident que la suite du texte s'adresse aux Juifs: « Frappez et on vous ouvrira. » Autrefois les Juifs seuls étaient dans l'Eglise de Dieu, d'où ils furent chassés pour leur infidélité. Les Gentils, au contraire, en étaient exclus, à un très-petit nombre près, qu'on peut comparer à une goutte d'eau ou à un grain de poussière. Or, celui qui a toujours été dehors frappera-t-il où il n'a jamais été? Connaît-il une porte où il n'a point été admis, par laquelle même il n'est jamais sorti? Mais celui qui a été introduit et chassé dans la suite connaît la porte et peut y frapper. Les paroles suivantes, « Demandez et vous recevrez, » conviennent à ceux qui savaient à qui ils devaient demander, et qui avaient de lui des promesses; je veux dire le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, que les Gentils ne connaissaient pas plus que ses promesses. C'est pourquoi le Sauveur disait: « Je ne suis envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël. » Il ne jetait pas encore aux chiens le pain des enfants, il n'avait pas encore ordonné d'aller |350 chez les Gentils. Ce ne fut qu'après sa résurrection qu'il envoya ses disciples enseigner et baptiser toutes les nations, lorsqu'ils auraient reçu le Saint-Esprit qui devait bientôt leur apprendre toute vérité, comme il arriva en effet. Si les Apôtres, chargés d'enseigner les nations, devaient avoir eux-mêmes le Saint-Esprit pour maître, il est bien certain que ces paroles, « Cherchez, et vous trouverez, » ne nous regardaient point, nous à qui la doctrine des Apôtres devait se présenter d'elle-même, après avoir été instruits eux-mêmes par le Saint-Esprit. A la vérité, toutes les paroles de notre Seigneur sont pour tous. Des Juifs, qui les ont entendues, elles sont venues jusqu'à nous. Mais comme, pour l'ordinaire, elles les regardent directement, elles renferment moins des leçons pour nous que des exemples.

IX. Je veux bien ne pas faire valoir tous mes avantages. Supposons que ces paroles, « Cherchez, et vous trouverez, » s'adressent à tout le monde; on conviendra cependant qu'il faut consulter la raison pour en découvrir le véritable sens. Pour pénétrer les oracles divins, il ne faut pas s'arrêter à la lettre; il est nécessaire d'en approfondir l'esprit et l'énergie. Je commence par poser un principe lumineux: c'est que Jésus-Christ a enseigné pour tous les peuples un symbole de loi fixe et invariable que tout le monde est obligé de croire, et qu'on doit chercher par conséquent pour le trouver et le croire. Mais ce symbole unique et invariable ne demande point des recherches infinies. Cherchez jusqu'à ce que vous trouviez, croyez quand vous aurez trouvé; alors il ne vous reste plus qu'à garder ce que vous croyez, pourvu cependant que vous croyiez que vous n'avez rien de plus à chercher ni à croire dès que vous avez trouvé, et que vous croyiez ce qu'a enseigné celui qui vous défend de rien chercher au-delà. Si quelqu'un est incertain de ce que Jésus-Christ a enseigné, on lui démontrera que la doctrine de notre divin Maître ne se trouve que chez nous. Assuré de la force de mes preuves, et craignant que certaines personnes ne donnent une |351 interprétation arbitraire et déraisonnable à ces paroles, « Cherchez, et vous trouverez, » je les préviens qu'elles n'ont rien à chercher au-delà de ce qu'elles ont cru devoir chercher.

X. Au reste, toute cette discussion peut se réduire à trois points: la chose même, ou l'objet des recherches; le temps, quand il faut chercher; le terme, jusqu'à quand. Il faut chercher ce que Jésus-Christ a enseigné, tandis que vous n'avez pas trouvé, et jusqu'à ce que vous trouviez. Vous avez trouvé quand vous avez cru; car vous avez cru, et vous n'auriez point cru si vous n'aviez pas trouvé. Comme vous n'avez cherché que pour trouver, vous ne trouvez que pour croire; en croyant, vous mettez fin à toutes vos recherches: le fruit même de vos recherches, quand vous l'avez recueilli, vous avertit de vous arrêter. Voilà aussi le terme que vous a marqué celui qui vous ordonne de ne croire, et par conséquent de ne chercher que ce qu'il a enseigné. Mais si, par la raison que les uns ont enseigné une chose, les autres une autre, nous voulons chercher tant que nous pourrons trouver, il faut nous attendre à chercher toujours et à ne croire jamais. Oui, quel sera le terme de mes recherches et de mes découvertes, le point fixe de ma croyance? Chez Marcion? Mais Valentin me crie de son côté: Cherchez et vous trouverez. Chez Valentin? Apelles me tient le même langage. Ebion, Simon, tous, en un mot, emploient le même artifice pour m'attirer à leur parti. Je ne pourrai donc me fixer nulle part, tandis que je suivrai tous ceux qui me crieront: Cherchez, et vous trouverez; comme si je ne pouvais trouver en aucun lieu, en aucun temps, ce que Jésus-Christ a enseigné, ce qu'il faut chercher, ce qu'il est nécessaire de croire.

XI. C'est sans conséquence qu'erre ainsi de côté et d'autre quiconque n'abandonne rien: on a droit seulement de lui reprocher ses courses vagabondes. Mais si j'ai cru ce que je devais croire en effet, et qu'après cela je |352 m'imagine que je dois chercher encore, j'espère donc trouver quelque chose de plus: or, je ne puis l'espérer que parce qu'avec l'air de croire, je ne croyais pas réellement, ou parce que j'ai cessé de croire. Mais si je renonce à la foi, me voilà apostat; en un mot, si je cherche, c'est que je n'ai pas encore trouvé, ou que j'ai perdu. Cette femme de l'Evangile avait perdu une de ses dix dragmes; c'est pourquoi elle la cherchait. L'a-t-elle trouvée, elle met fin à sa recherche. Un homme n'avait pas de pain; c'est pour cela qu'il frappait à la porte de son voisin. Dès qu'on lui a ouvert et qu'on lui a donné ce qu'il demandait, il cesse de frapper. Une veuve sollicitait une audience de son juge qui refusait de l'entendre; dès qu'elle l'a obtenue, elle demeure tranquille. Tant il est vrai qu'il doit y avoir un terme à tout, soit qu'on cherche, qu'on frappe, ou qu'on demande; car on donnera à celui qui demande, dit Jésus-Christ; on ouvrira à celui qui frappe, et quiconque cherche trouvera. Faites-y attention, vous qui cherchez toujours sans trouver, vous cherchez où l'on ne trouve point; vous qui frappez toujours sans qu'on ouvre, vous frappez où il n'y a personne; vous enfin qui demandez sans qu'on vous accorde, vous demandez à qui ne peut rien accorder.

XII. Pour nous, quand il nous faudrait chercher encore, quand il nous faudrait chercher toujours, où chercherions-nous? Chez les hérétiques, où tout est étranger, tout est opposé à la vérité chrétienne, et avec qui il nous est défendu de communiquer? Quel est le serviteur qui attend sa nourriture d'un étranger, pour ne pas dire de l'ennemi de son maître? Et quel est le soldat, si ce n'est un déserteur, un transfuge, un rebelle, qui va demander la solde ou une gratification à un prince qui n'est point allié du sien, à un prince ennemi? Cette femme cherchait sa dragme, mais dans sa maison; cet homme frappait, mais à la porte de son voisin; cette veuve sollicitait un juge, dur, à la vérité, mais qui, après tout, n'était pas |353 ennemi. Que peut-on édifier avec ceux qui ne savent que détruire? Quelle lumière espérer où tout est ténèbres? Cherchons donc chez nous et parmi les nôtres, mais seulement ce qui peut tomber en question, sans blesser la règle de la foi.

XIII. Or, voici la règle ou le symbole de notre foi; car nous allons faire une déclaration publique de notre croyance. Nous croyons qu'il n'y a qu'un seul Dieu, auteur du monde qu'il a tiré du néant par son Verbe engendré avant toutes les créatures. Nous croyons que ce Verbe, qui est son fils, est apparu plusieurs fois aux patriarches sous le nom de dieu, qu'il a toujours parlé par les prophètes; qu'il est descendu, par l'opération de l'Esprit de Dieu le Père, dans le sein de la Vierge Marie, où il s'est fait chair; qu'il est né d'elle; que c'est notre Seigneur Jésus-Christ qui a prêché la loi nouvelle et la promesse nouvelle du royaume des cieux. Nous croyons qu'il a fait plusieurs miracles; qu'il a été crucifié; qu'il est ressuscité le troisième jour après sa mort; qu'il est monté aux cieux, où il est assis à la droite de son Père; qu'il a envoyé à sa place la vertu du Saint-Esprit, pour conduire ceux qui croient; enfin qu'il viendra avec un grand appareil, pour mettre les saints en possession de la vie éternelle et de la béatitude céleste, et pour condamner les méchants au feu éternel, après les avoir ressuscites les uns et les autres en. leur rendant leur chair.

XIV. Voilà la règle de foi que Jésus-Christ nous a donnée, comme nous le prouverons, et sur laquelle il n'y a jamais parmi nous de dispute, sinon celles qu'élève l'hérésie et qui font les hérétiques. Non, elle ne doit jamais souffrir d'atteinte, quoi que vous cherchiez, que vous discutiez, quelque essor que vous donniez à votre curiosité. Mais, si quelque chose vous paraît obscur ou équivoque, vous avez quelques-uns de vos frères doués de la science, ou qui ont été instruits par des docteurs consommés. Vous en avez qui, curieux comme vous, |354 chercheront avec vous. Enfin, si vous savez ce que vous devez savoir, il vous est plus avantageux d'ignorer le reste, de peur d'apprendre ce que vous ne devez point savoir. Jésus-Christ a dit: « Votre foi vous a sauvé, » et non pas l'examen des Ecritures. La foi réside dans le symbole: vous avez la loi, et le salut vient de l'observation de la loi: la discussion résulte de la curiosité, et toute sa gloire consiste dans la réputation d'habileté. Que la curiosité cède à la foi, la vaine gloire au salut; ou qu'ils se taisent, ou du moins qu'ils se reposent. Ne rien savoir contre la règle, c'est tout savoir. Quand même les hérétiques ne seraient pas les adversaires de la vérité, quand même nous ne serions pas avertis de les fuir, que peut-on apprendre en conférant avec des hommes qui conviennent qu'ils cherchent encore? S'ils cherchent sérieusement, ils n'ont donc rien trouvé de certain; et tant qu'ils cherchent, ils montrent leurs doutes. Vous qui cherchez de votre côté, si vous vous adressez à des gens qui cherchent aussi, irrésolu, incertain, aveugle, vous serez infailliblement conduit dans le précipice par des hommes également irrésolus, incertains et aveugles. Mais lorsqu'ils font semblant de chercher, avec l'intention de vous jeter dans l'inquiétude et de vous insinuer leurs erreurs, après vous avoir attiré par cet artifice; lorsque vous les voyez défendre opiniâtrement ce qu'ils disaient auparavant qu'il fallait encore chercher, déclarez-leur que vous êtes déterminé à renoncer à eux plutôt qu'à Jésus-Christ; car, puisqu'ils cherchent encore, ils n'ont donc pas trouvé; ils ne croient pas, ils ne sont pas Chrétiens. Mais lorsqu'ils croient, et qu'ils disent qu'il faut encore chercher, pour défendre leur sentiment, avant de le défendre, ils le désavouent donc, puisqu'ils confessent qu'ils ne croient pas encore, tandis qu'ils cherchent. Ils ne sont donc pas Chrétiens, de leur propre aveu. Le seraient-ils pour nous? Avec tant de fausseté, quelle foi peuvent-ils avoir? Emploient-ils le mensonge pour faire recevoir la vérité? |355 

XV. Mais, dit-on, ils ne s'appuient que sur les Ecritures, ils ne prétendent nous convaincre que par les Ecritures; comme si on pouvait rien prouver sur les matières de foi que par les livres de la foi. Nous voici arrivés a ce qui est proprement l'objet de cet ouvrage: c'est à quoi tendait le préambule qu'on vient de lire. Nous allons attaquer nos adversaires dans le poste même d'où ils nous défient. Leur audace à s'armer des Ecritures en impose d'abord à quelques personnes: dans le combat, ils fatiguent les forts; ils triomphent des faibles, et jettent des inquiétudes dans le cœur des autres. C'est pourquoi nous les arrêtons dès le premier pas, en soutenant qu'ils ne sont point du tout recevables à disputer sur les Ecritures. C'est là leur arsenal; mais avant qu'ils puissent en tirer des armes, il faut examiner à qui appartiennent les Ecritures, pour ne pas les laisser usurper à ceux qui n'y ont aucun droit.

XVI. On pourrait croire que je parle de la sorte par défiance de ma cause, ou dans la crainte d'engager le combat, si je n'avais pour moi de fortes raisons, et surtout l'autorité de l'Apôtre, qui doit être notre règle en ce qui regarde la foi. Il nous recommande d'éviter les questions inutiles, les nouveautés profanes, et de fuir l'hérétique, après une réprimande, et non après la dispute. Il interdit tellement la dispute, qu'il ne permet d'aller trouver l'hérétique que pour le réprimander, et cela une seule fois; sans doute parce qu'il n'est pas Chrétien, et qu'on ne doit pas lui faire plusieurs réprimandes, ni en présence de deux ou trois témoins, comme à un Chrétien. C'est par la raison même qu'on ne doit pas disputer avec lui, qu'il est ordonné de le réprimander. D'ailleurs, la dispute sur les Ecritures n'est bonne qu'à briser la tête et épuiser les poumons.

XVII. L'hérésie rejette certains livres des Ecritures, et ceux qu'elle reçoit comme canoniques, elle ne les reçoit pas entiers; elle les altère, et par ce qu'elle en |356 retranche, et par ce qu'elle y ajoute, pour les plier à son système. Ceux qu'elle reçoit entiers, elle les pervertit encore par les interprétations qu'elle imagine: car il est également contraire à la vérité d'altérer le sens ou le texte. L'audacieux novateur n'a garde de reconnaître ce qui le confond; mais il cite avec affectation tout ce qu'il a falsifié, et les passages obscurs dont il abuse. Si versé que vous soyez dans la science de l'Ecriture, qu'espérez-vous gagner par la dispute? Tout ce que vous avancerez, il le niera opiniâtrement, tandis qu'il soutiendra tout ce que vous nierez: d'une pareille conférence, vous ne remporterez que beaucoup de fatigue et d'indignation.

XVIII. Celui pour qui vous vous étiez engagé dans cette discussion des Ecritures, et dont vous prétendiez dissiper les doutes, se tournera-t-il du côté de l'erreur ou de la vérité? Surpris que vous n'ayez eu aucun avantage marqué, que de part et d'autre on ait nié et affirmé également, et qu'on soit resté au même point où on en était, il vous quittera peut-être encore plus indécis qu'auparavant, sans pouvoir juger où est l'hérésie. Rien de plus aisé que de rétorquer tout ce que nous avons dit. L'hérétique ne se fera pas scrupule d'assurer que c'est nous qui corrompons l'Ecriture et l'interprétons mal, et que lui seul défend la cause de la vérité.

XIX. Il ne faut donc pas en appeler aux Ecritures, ni hasarder un combat où la victoire sera toujours incertaines du moins le paraîtra. Mais quand même ce ne serait point là l'issue de toutes les disputes sur l'Ecriture, l'ordre des choses demanderait encore qu'on commençât par examiner, ce qui va nous occuper, à qui appartiennent les Ecritures, à qui appartient la foi, de qui elle est émanée, par qui, quand et à qui a été donnée la doctrine qui fait les Chrétiens? Car, où nous verrons la vraie foi, la vraie doctrine du Christianisme, là indubitablement se trouvent aussi les vraies Ecritures, les vraies interprétations, les vraies traditions chrétiennes. |357 

XX. Quel que puisse être notre Seigneur Jésus-Christ (qu'il me permette de parler ainsi en ce moment), quel que soit le Dieu dont il est le Fils, quelle que soit la nature du Dieu homme, la foi dont il est l'auteur, la récompense qu'il promet; lui-même, tandis qu'il était sur la terre, soit dans ses discours au peuple, soit dans ses instructions particulières à ses disciples, il a enseigné ce qu'il était, ce qu'il avait été, la volonté de son Père dont il était chargé, et ce qu'il exigeait des hommes. Parmi ses disciples, il en choisit douze pour l'accompagner, et pour devenir dans la suite les docteurs des nations. L'un d'entre eux ayant été retranché de ce nombre, il commanda aux onze autres, lorsqu'il retourna à son Père après sa résurrection, d'aller enseigner toutes les nations, et de les baptiser au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit. Aussitôt après, les Apôtres (ce nom signifie Envoyés) avant choisi Matthias, sur qui tomba le sort, pour remplacer le traître Judas, selon la prophétie de David, et ayant reçu avec le Saint-Esprit qui leur avait été promis, le don des langues et des miracles, ils prêchèrent la foi en Jésus-Christ, et ils établirent des Eglises d'abord dans la Judée; ensuite s'étant partagé l'univers, ils annoncèrent la même foi et la même doctrine aux nations, et fondèrent des Eglises dans les villes. C'est de ces Eglises que les autres ont emprunté la semence de la doctrine, et qu'elles l'empruntent encore tous les jours à mesure qu'elles se forment. Par cette raison, on les compte aussi parmi les Eglises apostoliques, dont elles sont les filles. Tout se rapporte nécessairement à son origine: c'est pourquoi tant et de si nombreuses Eglises sont censées la même Eglise, la première de toutes, fondée par les Apôtres, et la mère de toutes les autres: toutes sont apostoliques, toutes ensemble ne font qu'une seule Eglise par la communication de la paix, la dénomination de frères et les liens de l'hospitalité qui unissent tous les fidèles. Et rien autre chose ne protège ces liens, que la même tradition d'une même foi. |358 

XXI. Voici comme nous tirons de là un argument de prescription. Si notre Seigneur Jésus-Christ a envoyé ses Apôtres pour prêcher, il ne faut donc pas recevoir d'autres prédicateurs que ceux qu'il a établis, parce que personne ne connaît le Père que le Fils et ceux à qui le Fils l'a révélé, et parce que le Fils ne l'a révélé qu'aux Apôtres, envoyés pour prêcher ce qu'il leur a révélé. Mais qu'ont prêché lés Apôtres, c'est-à-dire, que leur a révélé Jésus-Christ? Je prétends, fondé sur la même prescription, qu'on ne peut le savoir que par les Eglises que les Apôtres ont fondées, et qu'ils ont instruites de vive voix, et ensuite par leurs lettres. Si cela est, il est incontestable que toute doctrine qui s'accorde avec la doctrine de ces Églises apostoliques et mères, aussi anciennes que la foi, est la véritable, puisque c'est celle que les Eglises ont reçue des Apôtres, les Apôtres de Jésus-Christ, Jésus-Christ de Dieu: et que toute autre doctrine, par conséquent, ne peut être que fausse, puisqu'elle est opposée à la vérité des Eglises, des Apôtres, de Jésus-Christ et de Dieu. Il ne nous reste qu'à démontrer que notre doctrine dont nous avons présenté plus haut le symbole, vient des Apôtres, et que, par une conséquence nécessaire, toutes les autres sont fausses. Nous communiquons avec les Eglises apostoliques, parce que notre doctrine ne diffère en rien de la leur: voilà notre démonstration.

XXII. Mais comme elle est si claire et si précise qu'elle ne laisse rien à répliquer, quand elle a été mise dans tout son jour, avant de le faire, écoutons ce que peuvent opposer nos adversaires pour affaiblir cette prescription. Ils ont coutume de dire « que les Apôtres n'ont pas tout su; » et poussés par le même esprit de démence, ils disent encore que « si les Apôtres ont tout su, ils n'ont pas pour cela tout enseigné à tous. » Dans ces deux accusations, c'est donc Jésus-Christ même qu'ils blâment d'avoir choisi des disciples ou peu instruits, ou peu fidèles. Mais quel est l'homme sensé qui pourra soupçonner d'ignorance les |359 disciples du Seigneur, qu'il avait donnés pour maîtres à l'univers, qu'il avait eus dans sa compagnie tous les jours de sa vie mortelle, à qui il expliquait en particulier tout ce qui avait besoin d'éclaircissement, leur disant qu'il leur était accordé de pénétrer des secrets inaccessibles à la multitude? Qu'est-ce qui a pu être caché à Pierre, ainsi appelé parce que l'Eglise devait être bâtie sur lui; à Pierre, qui avait reçu, avec la clef du royaume des cieux, le pouvoir de lier et de délier, tant dans les cieux que sur la terre? Qu'est-ce qui a pu être caché à Jean, le disciple bien-aimé, sur le sein de qui le Sauveur se reposait, à qui seul il montra le traître Judas, qu'enfin il donna pour fils à Marie en sa place? Qu'aurait voulu cacher Jésus-Christ à ceux à qui il avait fait voir sa gloire, Moïse et Elie, à qui il avait fait entendre du ciel la voix de son Père; non pas qu'il rejetât les autres, mais « parce que le témoignage de trois personnes suffit pour constater un fait? » Enfin ceux à qui il avait daigné expliquer toutes les Ecritures dans le chemin même, après sa résurrection, ont-ils pu rien ignorer? Il est vrai que le Sauveur avait dit auparavant à ses Apôtres: « J'aurais encore à vous parler de bien des choses; mais vous ne pouvez pas les porter à présent. » Mais il ajouta: « Lorsque l'Esprit de vérité sera venu, il vous enseignera lui-même toute vérité. » Il marquait clairement par là qu'ils n'ignoreraient plus rien, lorsqu'ils seraient remplis de l'Esprit saint qu'il leur promettait. Il ne manqua pas d'accomplir sa promesse. Les Actes des Apôtres nous apprennent la descente du Saint-Esprit. Ceux qui ne reçoivent pas ce livre ne peuvent se vanter d'avoir été instruits par le Saint-Esprit, puisqu'ils ne reconnaissent point que le Saint-Esprit ait été envoyé aux fidèles. Ils sont même hors d'état de défendre l'Eglise, puisqu'ils ne sauraient prouver quand ni comment elle fut établie. Mais ils aiment mieux s'ôter à eux-mêmes les preuves des vérités qu'ils conservent, que d'en fournir d'invincibles contre les erreurs qu'ils y ont mêlées. |360 

XXIII. Ils objectent pour prouver cette prétendue ignorance des Apôtres, que Pierre et tous ceux qui l'accompagnaient furent repris par Paul. « C'est une preuve sans réplique, disent-ils, et que les premiers ignoraient quelque chose, et que d'autres, dans la suite, eurent des connaissances plus étendues, tels que Paul, qui en conséquence reprit ses anciens. » Nous pourrions leur répondre: Puisque vous rejetez les actes des Apôtres, il vous faudrait d'abord montrer qui est ce Paul, ce qu'il était avant son apostolat, et comment il y est parvenu, d'autant plus que vous vous prévalez de son autorité pour bien d'autres choses. Que Paul atteste que de persécuteur il est devenu apôtre, cela ne suffit point pour quiconque ne croit qu'après un mur examen. Le Sauveur lui-même n'a pas voulu en être cru sur son témoignage. Mais qu'ils croient, d'accord, sans l'autorité des Ecritures pour croire contre les Ecritures: il ne leur servira rien d'alléguer que Pierre a été repris par Paul, s'ils ne prouvent en même temps que Paul a introduit un Evangile différent de celui de Pierre et des autres Apôtres. Bien loin de là, Paul, de persécuteur changé en apôtre, est conduit et présenté aux frères, comme un d'entre eux, par les frères mêmes qui avaient reçu la doctrine et la foi des Apôtres; ensuite il va à Jérusalem, ainsi qu'il le raconte lui-même, pour voir Pierre; c'était à la fois son droit et son devoir, comme collègue de Pierre dans le ministère de la prédication du même Evangile; car les fidèles sans doute n'auraient pas vu avec tant d'étonnement le persécuteur devenu prédicateur, s'il eût prêché un Evangile contraire au leur; ils n'auraient pas non plus glorifié Dieu de ce que son ennemi Paul était venu parmi eux; ils ne lui auraient pas donné la main en signe d'amitié, d'union et de conformité de sentiments: et s'ils partagèrent les fonctions du ministère entre Pierre et Paul, ce n'était pas que les deux Apôtres dussent prêcher deux Evangiles différents, mais pour qu'ils prêchassent le même à différents peuples, Pierre aux Juifs, |361 Paul aux Gentils. Au reste, si Pierre a été repris de ce qu'après avoir vécu avec les Gentils, il s'en séparait par respect humain, c'était une faute de conduite, et non pas une erreur dans l'enseignement de la foi: aussi n'annonçait-il pas un autre Dieu que le Créateur, un autre Christ que le Fils de Marie, une autre espérance que la résurrection.

XXIV. Je n'aspire pas assurément à la gloire; pour parler plus juste, je n'aurai pas la témérité de faire combattre ensemble deux Apôtres: mais comme nos adversaires ne nous objectent cette réprimande de Paul que pour rendre suspecte la doctrine de Pierre, je répondrai pour celui-ci que Paul lui-même a dit qu'il s'était fait, tour à tour Juif pour les Juifs, Gentil pour les Gentils, afin de les gagner tous. Ainsi, les Apôtres, eu égard aux motifs, aux circonstances des temps et des personnes, blâmaient certaines choses qu'ils faisaient eux-mêmes dans des circonstances différentes. Pierre aurait pu reprendre à son tour Paul de ce que défendant la circoncision, il avait cependant fait circoncire Timothée. C'est à ceux qui jugent les Apôtres à peser toutes ces considérations: du moins on accordera que Pierre et Paul furent réunis dans le martyre. Quoique Paul, ravi au troisième ciel, y ait appris de grands mystères, cela n'a pu apporter de changement dans sa prédication, puisqu'ils étaient de nature à n'être révélés à personne. Si cependant ils sont venus à la connaissance de quelqu'un, et que les hérétiques se vantent de les soutenir, il faut aussi qu'ils conviennent que Paul a violé le secret, ou qu'ils nous fassent voir quelqu'autre, ravi au ciel depuis, qui ait eu permission de publier ce qu'il était ordonné à Paul de taire.

XXV. Mais, comme nous l'avons dit, c'est une égale folie, en avouant que les Apôtres n'ont rien ignoré, et qu'ils n'ont pas prêché de doctrines opposées, de prétendre cependant qu'ils n'ont pas communiqué à tous tout ce qu'ils savaient; mais qu'ils ont enseigné publiquement certaines |362 choses, et à tout le monde; et d'autres en secret, et à un petit nombre de personnes seulement. On se fonde sur ce que Paul dit à Timothée: « Gardez le dépôt; » et ailleurs: « Gardez le précieux dépôt. » Mais quel est ce dépôt secret qu'on prétend renfermer une doctrine nouvelle? Est-ce le précepte dont il dit: « Je vous recommande ce précepte, mon fils Timothée; » ou cet autre dont il parle en ces termes: « Je vous recommande devant Dieu, qui donne la vie à tous, et devant Jésus-Christ, qui a rendu sous Ponce-Pilate un témoignage éclatant à la vérité, de garder ce précepte? » Mais quel est donc ce précepte? quelle est cette recommandation? Il est aisé de voir, par ce qui précède et ce qui suit, qu'il ne s'agit nullement de je ne sais quelle doctrine cachée; que l'Apôtre insiste au contraire sur l'obligation de n'en pas recevoir d'autre que celle qu'il avait apprise à son disciple, et sans doute en public, en présence d'un grand nombre de témoins, dit-il. Peu nous importe que, selon nos adversaires, il n'entende point l'Eglise par ce grand nombre de témoins: il nous suffit que ce qui se dit devant un grand nombre de témoins n'est rien moins que secret. Et quand Paul recommande à Timothée de confier ce qu'il a entendu de lui à des hommes fidèles, et capables d'en enseigner les autres, il ne saurait non plus désigner par là un Evangile secret; car, lorsqu'il dit ceux-ci, il parle des enseignements qu'il donne dans le moment: s'il avait parlé d'enseignements secrets, dont il ne parlait pas, et comme étant confiés à leur conscience, il n'aurait pas dit ceux-ci, mais ceux-là.

XXVI. Du reste, ce n'est pas sans raison qu'il avertit ceux à qui il confie le ministère de l'Evangile, de s'en acquitter avec discernement et avec prudence, pour ne pas donner, selon la parole de Jésus-Christ, les choses saintes aux chiens, et jeter les perles devant les pourceaux. Jésus-Christ parlait en public, et n'a jamais demandé qu'on tînt secret aucun article de sa doctrine. Il disait au contraire à ses disciples: « Ce que vous entendez en particulier |363 et dans les ténèbres, prêchez-le au grand jour et sur les toits. » Il donnait à entendre la même chose dans une parabole, en disant qu'il ne fallait pas enfouir une mine, c'est-à-dire cacher sa parole, au lieu de lui faire porter du fruit. Il remarquait qu'on ne mettait point la lumière sous le boisseau, mais sur le chandelier, pour éclairer toute la maison. Les Apôtres n'auraient point entendu tout cela, ou n'en auraient tenu aucun compte, s'il était vrai qu'ils eussent caché une partie de la lumière, c'est-à-dire de la parole de Dieu et de l'Evangile. Ils ne redoutaient ni la fureur des Juifs ni celle des païens. Et comment n'eussent-ils pas parlé librement dans l'Eglise, tandis qu'ils parlaient avec tant de hardiesse au milieu des synagogues et dans tous les lieux publics? Jamais ils n'auraient converti les Juifs ni persuadé les païens, s'ils ne leur eussent expliqué avec ordre et avec clarté la religion qu'ils leur annonçaient. On n'imaginera pas non plus qu'ils aient caché aux Eglises qui croyaient déjà, les dogmes qu'ils confiaient en secret à un petit nombre de personnes. Quand même ils auraient tenu des conférences particulières sur la foi, il est contre toute vraisemblance qu'on y enseignât un symbole de foi différent de celui qu'ils avaient enseigné publiquement; qu'ils annonçassent un Dieu dans l'Eglise, et un autre Dieu dans les maisons; un Christ en public, et un autre Christ en secret; une résurrection pour la multitude, et une résurrection particulière pour quelques personnes choisies. Les Apôtres, dans leurs Epîtres, ne recommandent-ils pas instamment aux fidèles de tenir tous un seul et même langage, sans souffrir jamais de schisme ni de division, parce que tous les ministres de l'Evangile, soit Paul ou tout autre, enseignaient absolument la même doctrine? Ils se souvenaient du précepte de leur divin maître: « Dites, cela est; cela n'est pas, oui ou non; ce que vous ajouteriez de plus vient d'un mauvais principe. » Il voulait qu'il régnât une parfaite uniformité dans leur enseignement. |364 

XXVII. Il n'est donc pas croyable que les Apôtres aient ignoré quelque chose de la plénitude de la doctrine qu'ils étaient chargés de prêcher. Mais peut-être que les Eglises ne l'auront pas entendue; car il n'est point de chicanes auxquelles nous ne soyons exposés de la part des hérétiques. Il est certain, disent-ils, que les Eglises ont été reprises par l'Apôtre. « O Galates insensés! s'écrie-t-il, qui vous a donc aveuglés?... Vous couriez si bien, qui vous a arrêtés?... » Et dès le début de l'Epître: « Je m'étonne que vous ayez abandonné si tôt celui qui vous a appelés à sa grâce, pour suivre un autre évangile! » Il écrit aux Corinthiens, qu'ils sont encore charnels; que c'est pour cela qu'il ne leur donne que du lait, et qu'ils ne sont pas en étal de prendre une nourriture solide; qu'ils se flattent de savoir quelque chose, tandis qu'ils ne savent pas même comment il faut savoir. Nous convenons que ces Eglises ont été reprises: mais n'y a-t-il pas lieu de présumer qu'elles se sont corrigées? D'ailleurs, nous les voyons aujourd'hui unies de communion avec les Eglises dont l'Apôtre loue la foi, la science et la conduite, et pour lesquelles il rend grâces à Dieu.

XXVIII. Supposons, si vous voulez, que toutes les Eglises se soient trompées; que l'Apôtre lui-même se soit trompé en leur rendant témoignage; que le Saint-Esprit n'ait eu soin d'instruire de la vérité aucune des Eglises, lui que Jésus-Christ avait envoyé, avait demandé à son Père pour être le docteur de la vérité; supposons que le ministre de Dieu, le vicaire de Jésus-Christ, ait oublié totalement les fonctions qu'il avait à remplir, laissant les Eglises croire et entendre tout autre chose que ce qu'il avait enseigné lui-même par l'organe des Apôtres, est-il vraisemblable que tant et de si nombreuses Eglises se soient réunies pour la même erreur? Où doit se rencontrer une diversité si prodigieuse, la parfaite uniformité ne saurait régner; l'erreur aurait nécessairement varié. Non, ce qui se trouve le même parmi un très-grand nombre n'est point |365 erreur, mais tradition. Qu'on ose donc soutenir qu'ils ont erré ceux qui ont transmis la foi!

XXIX. Mais de quelque part que vienne l'erreur, elle a donc régné jusqu'à ce qu'elle ait été détruite par l'hérésie. La vérité attendait donc que les Marcionites et les Valentiniens vinssent la délivrer! Cependant on prêchait mal, on croyait mal, tant de milliers de milliers d'hommes étaient mal baptisés, tant d'œuvres de foi mal faites, tant de prodiges mal opérés, tant de dons surnaturels mal conférés, tant de sacerdoces et de ministères mal exercés, tant de martyrs enfin mal couronnés! Et si ce n'était ni mal ni en vain, comment pouvait-il y avoir une religion, un culte de Dieu avant que Dieu fût connu des Chrétiens, avant qu'on eût trouvé le Christ? Comment l'hérésie existait-elle avant la véritable doctrine, puisqu'en toutes choses la vérité précède l'image, l'ombre suit le corps? Mais quelle absurdité de prétendre que l'hérésie est antérieure à la véritable doctrine qui nous a annoncé qu'il y aurait des hérésies, et qui nous avertit de les éviter! C'est à l'Eglise, dépositaire de cette doctrine, qu'il est dit, ou plutôt c'est cette doctrine même qui dit à l'Eglise: « Si un ange vient du ciel vous annoncer un autre Evangile que celui que je vous ai annoncé, qu'il soit anathème. »

XXX. Où était alors Marcion, ce pilote du Pont-Euxin, ce stoïcien zélé? Où était Valentin le platonicien! Car il est constant qu'ils vivaient, il n'y a pas long-temps, sous Antonin, et qu'ils professèrent la doctrine catholique dans l'Eglise romaine, sous le pontificat du bienheureux Eleuthère, jusqu'à ce que leur caractère inquiet et leurs opinions, qui séduisaient les fidèles, les fissent chasser de l'Eglise par deux fois l'un et l'autre, et Marcion même, avec deux cents sesterces qu'il avait apportés. Depuis ce moment, ils répandirent plus que jamais le venin de leurs hérésies. Enfin Marcion ayant abjuré ses erreurs, on consentit à lui donner la paix, sous la condition, qu'il accepta, de ramener à l'Eglise ceux qu'il lui avait enlevés: mais la mort ne |366 lui en laissa pas le temps. Il fallait, nous le répétons, qu'il y eût des hérésies. Ce n'est pas à dire pour cela que l'hérésie soit un bien, comme s'il ne fallait pas qu'il y eût aussi du mal. Eh! n'a-t-il pas fallu que notre Seigneur fût trahi? Cependant malheur au traître! Qu'on n'essaie donc pas de justifier par là l'hérésie. Pour en venir à Apelles, il est encore plus moderne que Marcion, qui fut son maître. Ayant eu commerce avec une femme, au mépris de la continence marcionienne, et ne pouvant pas soutenir les regards de son saint maître, il s'enfuit à Alexandrie. De retour quelques années après, sans s'être corrigé, à cela près qu'il n'était plus marcionite, il se laissa séduire par une autre femme. C'est cette Philumène dont nous avons déjà parlé, qui devint ensuite une infâme courtisane. Elle l'obséda à un tel point, qu'il écrivit sous sa dictée des révélations. Il y a encore des gens qui se souviennent d'avoir vu ces personnages: nous voyons même à présent leurs disciples et leurs successeurs; de sorte qu'il n'est pas possible d'en imposer sur le temps où ils ont vécu. D'ailleurs, comme dit notre Seigneur, « ils se font assez connaître par leurs œuvres: » puisque Marcion a séparé le Nouveau-Testament de l'Ancien, il est postérieur à ce qu'il a séparé, et qui était par conséquent uni avant la séparation, comme avant celui qui l'a faite. De même Valentin, qui ne se contente pas d'interpréter singulièrement les Ecritures, mais qui prétend les corriger, sous prétexte qu'elles étaient autrefois corrompues, reconnaît donc par là qu'elles existaient avant lui. Je ne nomme que ceux-ci, comme les plus insignes faussaires: quant à un certain Nigidius, à Hermogène et à tant d'autres, dont l'occupation unique est de pervertir les voies de Dieu, qu'ils produisent les titres de leur mission. S'ils prêchent un autre dieu que le nôtre, comment peuvent-ils se servir contre celui-ci de son nom et de ses Ecritures? Si c'est le même, pourquoi le prêchent-ils autrement? Qu'ils prouvent donc qu'ils sont de nouveaux apôtres, que Jésus-Christ est descendu une |367 seconde fois sur là terre, qu'il a de nouveau enseigné; que de nouveau il a été crucifié, qu'il est mort et ressuscité; que, de plus, il leur a communiqué le pouvoir d'opérer les mêmes prodiges que lui-même. C'est à ces traits que nous reconnaissons les vrais Apôtres de Jésus-Christ. Mais je ne dois pas taire les prodiges de ces nouveaux apôtres, malheureux imitateurs des Apôtres de Jésus-Christ: ceux-ci rendaient la vie aux morts, et les autres donnent la mort aux vivants.

XXXI. Revenons à ce principe, que la vérité a existé dès le commencement, et que l'erreur n'est venue qu'après. Dieu sème d'abord le bon grain, et le démon, son ennemi, vient ensuite y mêler de l'ivraie. Cette parabole désigne manifestement des doctrines opposées. La parole de Dieu, dans le même chapitre, est appelée semence; il suffit donc de faire attention à l'ordre des temps pour conclure que ce qui a été enseigné d'abord est vrai et divin, et que ce qui a été ajouté depuis est faux et étranger, Voilà ce qui confondra à jamais toutes les hérésies modernes, dont aucune ne saurait se répondre à elle-même qu'elle a la vérité de son côté.

XXXII. Au reste, si quelques-unes de ces sectes osent se dire contemporaines des Apôtres, pour paraître venir des Apôtres, faites-nous donc voir, leur répondrons-nous, l'origine de vos églises, l'ordre et la succession de vos évêques, en sorte que vous remontiez jusqu'aux Apôtres ou jusqu'à l'un de ces hommes apostoliques, qui ont persévéré jusqu'à la fin dans la communion des Apôtres; car c'est ainsi que les Eglises vraiment apostoliques justifient qu'elles le sont. Ainsi l'Eglise de Smyrne montre Polycarpe, que Jean lui a donné pour évêque; et l'Eglise de Rome, Clément, ordonné par Pierre. Tontes nous montrent de même ceux que les Apôtres ont établi leurs évêques, et par le canal de qui elles ont reçu la doctrine apostolique. Que les hérétiques inventent du moins quelque chose de semblable. Après tant de blasphèmes, tout leur est permis; mais |368 ils auront beau inventer, ils ne gagneront rien, car leur doctrine, rapprochée de celle des Apôtres, prouve assez, par son opposition, qu'elle n'a pour auteur ni un Apôtre ni un homme apostolique. Les Apôtres n'ont pu être opposés l'un à l'autre dans leur enseignement; les hommes apostoliques n'ont pu l'être aux Apôtres, si vous exceptez ceux qui les ont abandonnés. Oui, que les hérétiques montrent la conformité de leur doctrine à la doctrine apostolique; c'est le défi que leur font ces Eglises trop modernes pour avoir pu être fondées par les Apôtres ou par leurs successeurs immédiats, ou qui même s'établissent tous les jours; mais, comme elles professent la même foi, elles n'en sont pas moins regardées comme apostoliques, à cause de la consanguinité de la doctrine. Toutes les hérésies sont donc sommées par nos Eglises de justifier, par leur doctrine ou parleur origine, qu'elles sont apostoliques, comme elles le prétendent; mais elles ne sauraient justifier ce qui n'est point. La différence de leur doctrine démontre au contraire qu'elles ne sont rien moins qu'apostoliques: c'est pourquoi aucune Eglise apostolique ne les reçoit à la paix et à la communion.

XXXIII. Je vais maintenant passer en revue leur doctrine, qui remonte au temps des Apôtres, puisque les Apôtres l'avaient découverte et anathématisée. Pourront-elles échapper à leur condamnation, après qu'elles seront convaincues, ou d'avoir existé dès-lors, ou du moins de sortir des hérésies qui existaient dès-lors? Paul, dans sa première Epître aux Corinthiens, condamne les hérétiques qui nient ou révoquent en doute la résurrection. C'était l'erreur des Saducéens, adoptée en partie par Marcion, Apelles, Valentin, et les autres qui rejettent la résurrection des corps. Dans l'Epître aux Galates, il s'élève contre les observateurs et les partisans de la circoncision et de la loi: c'est l'hérésie d'Ebion. Instruisant Timothée, il censure ceux qui défendent le mariage: Marcion et son disciple Apelles le défendent. Il reprend aussi les sectaires qui |369 soutiennent que la résurrection est déjà faite: les Valentiniens l'assurent par rapport à eux. Lorsqu'il parle de généalogies sans fin, on reconnaît aussitôt Valentin. Suivant lui, un je ne sais quel Eon, à qui il donne un nom bizarre, et même plusieurs noms, engendre de sa Grâce le Sens et la Vérité; le Sens et la Vérité engendrent le Verbe et la Vie, qui engendrent l'Homme et l'Eglise. Voilà la première huitaine d'Eons, dont naquirent dix autres Eons, et enfin douze, appelés des noms les plus singuliers, pour compléter la fable des trente Eons. L'Apôtre blâmant ceux qui rendent un culte aux éléments, désigne Hermogène, imaginant une matière éternelle qu'il met en parallèle avec le Dieu éternel, et qu'il fait la mère et la déesse des éléments: il n'est pas étonnant, après cela, qu'il lui rende aussi un culte. Jean, dans l'Apocalypse, menace ceux qui mangent des viandes offertes aux idoles, et qui s'abandonnent à l'impureté. Il y a actuellement encore d'autres Nicolaïtes, qu'on appelle Caïniens; et, dans ses Epîtres, il traite d'antechrist quiconque nie que Jésus-Christ se soit incarné, et ne le reconnaît pas pour le Fils de Dieu. Marcion soutient la première erreur, Ebion la seconde. L'Apôtre Pierre regardait comme une espèce d'idolâtrie, et condamna, dans Simon, la magie qui rend un culte aux anges.

XXXIV. Voilà, ce me semble, les différentes sortes de fausses doctrines qui étaient déjà connues du temps des Apôtres, comme les Apôtres eux-mêmes nous l'apprennent. Cependant, parmi tant de diversités de sectes, il n'en est pas une qui ait osé s'attaquer au Dieu créateur de l'univers. Personne n'avait osé soupçonner même un autre dieu; c'était plutôt sur le Fils que sur le Père qu'on se permettait des doutes, jusqu'à ce que Marcion, outre le Créateur, imaginât un autre dieu, qui est le bon principe; jusqu'à ce qu'Apelles soutînt que le Créateur était un ange du souverain Dieu, d'une substance ignée, le dieu de la loi et des Juifs; jusqu'à ce que Valentin semât, pour ainsi |370 dire, ses Eons, et fît naître le dieu créateur de la substance défectueuse d'un d'entre eux. C'est à eux et à eux seuls, qu'ont été révélés les mystères de la divinité. Le démon, qui voulut se faire le rival de Dieu, les a éclairés au point que, contre la parole du Sauveur, il a rendu les disciples plus savants que le maître dans ses sciences empoisonnées. Que les hérésies choisissent donc les temps auxquels elles voudront rapporter leur origine, il n'importe, puisque jamais elles ne prouveront qu'elles viennent de la vérité. D'abord, celles dont les Apôtres n'ont point parlé n'étaient pas de leur temps, autrement ils n'eussent pas manqué d'en faire mention pour les condamner; et celles qui étaient de leur temps, ils les ont en effet condamnées. Soit que les hérésies de nos jours soient les mêmes pour le fond, mais seulement plus polies et plus raffinées, elles se voient dès les temps apostoliques frappées d'anathème; soit qu'elles n'aient fait qu'emprunter quelques dogmes à ces anciennes sectes, dès qu'elles partagent leur doctrine, elles doivent aussi partager leur condamnation. Quant aux hérésies qui n'auraient rien de commun avec celles qui ont été déjà proscrites, leur nouveauté seule fait leur condamnation. C'est ici qu'a lieu l'argument invincible de prescription: dès que les Apôtres n'en ont point parlé, elles sont indubitablement fausses, et du nombre des erreurs que les Apôtres ont prédites.

XXXV. Par cet argument nous écartons, nous confondons toutes les hérésies, soit postérieures aux Apôtres, soit contemporaines même des Apôtres, dès là qu'elles ne s'accordent pas avec la doctrine des Apôtres, dès là que les Apôtres les ont désignées et condamnées, ou nommément, ou autrement. Qu'elles répondent enfin, qu'elles opposent aussi la prescription à notre doctrine. Si elles nient que notre doctrine soit véritable, qu'elles le prouvent comme nous l'avons prouvé de la leur; qu'elles nous apprennent donc où il faut aller chercher la vérité, puisqu'il est constant qu'elle ne se trouve pas chez elles. Notre doctrine |371 est la plus ancienne de toutes; elle est donc la véritable: la vérité est la première partout. Les Apôtres, loin de condamner notre doctrine, la soutiennent; car ne la condamnant point, après avoir condamné toute doctrine étrangère, ils témoignent assez qu'ils la soutiennent, parce qu'ils la regardent comme leur propre doctrine.

XXXVI. Mais voulez-vous satisfaire une louable curiosité, qui a pour objet le salut, parcourez les Eglises apostoliques, où président encore, et dans les mêmes places, les chaires des Apôtres; où, lorsque vous écouterez la lecture de leurs lettres originales, vous croirez voir leurs visages, vous croirez entendre leur voix. Etes-vous près de l'Achaïe, vous avez Corinthe; de la Macédoine, vous avez Philippes et Thessalonique. Passez-vous en Asie, vous avez Ephèse; êtes-vous sur les frontières de l'Italie; vous avez Rome, à l'autorité de qui nous sommes aussi à portée de recourir. Heureuse Eglise, dans le sein de laquelle les Apôtres ont répandu toute leur doctrine avec leur sang, où Pierre est crucifié comme son maître, où Paul est couronné comme Jean-Baptiste, d'où Jean l'Evangéliste, sorti de l'huile bouillante sain et sauf, est relégué dans une île! Voyons donc ce qu'a appris et ce qu'enseigne Rome, et en quoi elle communique particulièrement avec les Eglises d'Afrique. Elle croit en un seul Dieu créateur de l'univers, en Jésus-Christ son Fils, né de la vierge Marie; elle confesse la résurrection de la chair; elle reçoit, avec la loi et les prophètes, les Evangiles et les lettres des Apôtres. Voilà les sources où elle puise sa foi. Elle fait renaître ses enfants dans l'eau, elle les revêt du Saint-Esprit, elle les nourrit de l'Eucharistie, les exhorte au martyre, et rejette quiconque ne professe pas cette doctrine. C'est cette doctrine, je ne dis plus qui nous annonçait des hérésies pour les temps à venir, mais de qui elles sont sorties. Il est vrai que du moment qu'elles se sont élevées contre elles, elles ne lui appartiennent plus. Du noyau d'un fruit doux et nécessaire, de l'olive, des grains de la |372 figue la plus exquise, viennent des plantes trompeuses et stériles, des oliviers et des figuiers sauvages; de même les hérésies, quoique nées dans notre fonds, nous sont absolument étrangères: la semence de la vérité a dégénéré chez elles, et le mensonge en a fait comme autant de plantes sauvages.

XXXVII. S'il est certain que la vérité ne peut se trouver que du côté de ceux qui suivent religieusement la règle de foi donnée à l'Eglise par les Apôtres, aux Apôtres par Jésus-Christ, à Jésus-Christ par Dieu même, nous sommes donc fondés à soutenir que les hérétiques ne doivent pas être admis à disputer sur les Ecritures, puisque nous prouvons, sans le secours des Ecritures, qu'ils sont absolument étrangers aux Ecritures: car ils ne sauraient être Chrétiens dès-lors qu'ils sont hérétiques, et qu'ils ne tiennent pas de Jésus-Christ ce qu'ils ont choisi de leur autorité privée, et comme hérétiques. Or, n'étant pas Chrétiens, ils n'ont aucun droit aux Ecritures des Chrétiens. Qui êtes-vous? peut leur dire l'Eglise; depuis quand et d'où êtes-vous venus? que faites-vous chez moi, n'étant pas des miens? à quel titre, Marcion, coupez-vous ma forêt? qui vous a permis, Valentin, de détourner mes canaux? qui vous autorise, Apelles, à ébranler mes bornes? comment osez-vous semer et vivre ici à discrétion? c'est mon bien; je suis en possession depuis long-temps, je suis en possession la première; je descends des anciens possesseurs, et je prouve ma descendance par des titres authentiques; je suis héritière des Apôtres, et je jouis conformément aux dispositions de leur testament, aux charges des fidéi-commis, au serment que j'ai prêté: pour vous, ils vous ont renonces et déshérités, comme étrangers et comme ennemis. Mais pourquoi les hérétiques sont-ils étrangers et ennemis des Apôtres? parce que la doctrine que chacun d'eux a inventée, ou adoptée suivant son caprice, est directement opposée à la doctrine des Apôtres.

XXXVIII. Mais où l'on remarque cette opposition, |373 doit se trouver sans doute l'altération des Ecritures. Ceux qui ont formé le projet de changer l'enseignement, se sont vus forcés d'en changer aussi les sources. Eh! comment introduire une nouvelle doctrine, sans avoir de quoi la fonder? Mais comme la corruption de la doctrine supposait déjà celle des livres dépositaires de la doctrine, nous ne pouvions non plus la conserver pure et saine sans conserver ces livres dans toute leur intégrité. Nos Ecritures auraient-elles donc contenu quelque chose qui nous fût contraire? Aurions-nous eu besoin, pour nous en débarrasser, pour établir des systèmes qu'elles renversaient, de changer, de tronquer, d'interpoler? Ce que nous sommes, les Ecritures le sont, et dès leur origine. Nous sommes Chrétiens par elles, avant qu'il y eût rien qui nous fut contraire, avant que vous eussiez pu les altérer. Toute altération a pour principe la haine et l'envie, nécessairement postérieures et étrangères à l'objet altéré. Ainsi, un homme sensé ne pourra jamais se persuader que nous, qui sommes nés avec les Ecritures, nous les ayons corrompues plutôt que leurs ennemis, qui sont venus après elles. L'un, en effet, a corrompu le texte, l'autre le sens. Et bien que Valentin semble recevoir l'Ancien Testament tout entier, dans le fond il n'est pas moins ennemi de la vérité que Marcion: il est plus artificieux. Marcion, le fer à la main au lieu du stylet, a mis en pièces toutes les Ecritures, pour donner du poids à son système. Valentin a eu l'air de les épargner, et de chercher moins à les accommoder à ses erreurs, qu'à concilier ses erreurs avec elles; et cependant il a plus retranché, plus interpolé que Marcion, en ôtant à tous les mots leur énergie et leur signification naturelle, pour leur donner des sens forcés, et en imaginant tous ces êtres invisibles et fantastiques.

XXXIX. Ce sont là les esprits pervers avec qui nous avons à combattre, que nous devons par conséquent connaître: ils sont nécessaires à la foi, pour faire le discernement des élus et des réprouvés. C'est pour cette raison |374 qu'ils ont tant de talent et de facilité pour imaginer et construire l'édifice de leurs hérésies. Au reste, il n'y a rien là d'étonnant et de singulier, puisque nous voyons qu'on tire des livres profanes à peu près le même parti qu'ils tirent de nos Ecritures. Ne vient-on pas de trouver dans la fable de Virgile une autre fable, en adaptant le sujet aux vers, les vers au sujet? Hosidius Géta n'a-t-il pas emprunté de Virgile sa tragédie de Médée tout entière? J'ai un parent qui s'est amusé à chercher dans le même poète l'explication du tableau de Cébès. Les Centons d'Homère ne sont autre chose que des poèmes composés de vers d'Homère, pris de différents endroits, qu'on a su réunir en un corps. Les Ecritures divines offrent un champ bien plus vaste pour toutes sortes de sujets. Aussi je ne crains pas d'avancer que c'est par une permission particulière de Dieu qu'elles ont été composées de manière que les hérétiques pussent y trouver la matière de toutes leurs erreurs: nous y lisons qu'il faut qu'il y ait des hérésies, et il ne peut y avoir d'hérésies sans les Ecritures.

XL. Si l'on demande qui inspire les hérésiarques, je répondrai que c'est le démon, dont l'office est de dérober aux hommes la vérité, et qui prend à tâche d'imiter dans les mystères des faux dieux les saintes cérémonies de la religion chrétienne. Il plonge aussi dans l'eau ses adorateurs, et leur fait croire qu'ils trouveront dans ce bain l'expiation de leurs crimes; il marque au front les soldats de Mithra lorsqu'on les initie; il célèbre l'oblation du pain; il offre une image de la résurrection, et présente à la fois la couronne et le glaive; il défend à son souverain pontife les secondes noces; il a même ses vierges. Au reste, si nous examinons les superstitions que Numa a instituées, les fonctions des prêtres, leurs ornements, leurs privilèges, les cérémonies, les vases, et généralement tout ce qui est nécessaire pour les sacrifices, ce qui regarde les expiations et les vœux, nous ne pourrons douter que le démon n'ait voulu copier les rites de la loi mosaïque. Or, celui qui a |375 affecté d'appliquer au culte des idoles tout ce que nous pratiquons dans la célébration de nos mystères, n'a pas manqué de faire aussi servir nos livres saints à établir une doctrine sacrilège et ennemie de la nôtre: il a pour cela altéré et le sens, et les termes, et les figures. Il est donc certain que c'est le démon qui a inspiré tous les hérésiarques, et que l'hérésie ne diffère pas au fond de l'idolâtrie, puisqu'elles ont le même auteur qui les a formées toutes les deux sur le même dessin. Si toutes les hérésies ne supposent pas un dieu ennemi du Créateur, du moins elles représentent celui-ci tout autre qu'il n'est. Or, tout mensonge, toute fausseté qui a pour objet la Divinité, est une espèce d'idolâtrie.

XLI. Je ne dois pas omettre de décrire ici la conduite des hérétiques, combien elle est frivole, terrestre, humaine, sans gravité, sans autorité, sans discipline, parfaitement assortie à leur foi. On ne sait qui est catéchumène, qui est fidèle; ils entrent, ils écoutent, ils prient pêle-mêle, et même avec des païens, s'il s'en présente: ils ne se font pas scrupule de donner les choses saintes aux chiens, et de semer des perles (fausses, à la vérité) devant les pourceaux. Le renversement de toute discipline, ils l'appellent simplicité, droiture; et notre attachement à la discipline, ils le traitent d'affectation. Ils donnent la paix à tout le monde indifféremment. Opposés les uns aux autres dans leur croyance, tout leur est égal, pourvu qu'ils se réunissent pour triompher de la vérité. Tous sont enflés d'orgueil, tous promettent la science. Les catéchumènes sont parfaits, avant que d'être instruits. Et leurs femmes, que ne se permettent-elles pas? elles osent dogmatiser, disputer, exorciser, promettre des guérisons, peut-être baptiser. Leurs ordinations se font au hasard, par caprice et sans suite. Tantôt ils élèvent des néophytes, tantôt des hommes engagés dans le siècle, tantôt même nos apostats, pour s'attacher par l'ambition ceux qu'ils ne peuvent retenir par la vérité. Nulle part on n'avance, comme dans le |376 camp des rebelles où la rébellion tient lieu de mérite. Aussi ont-ils aujourd'hui un évêque, et demain un autre; celui qui est diacre aujourd'hui, sera demain lecteur; le prêtre redeviendra laïque, car ils chargent les laïques des fonctions sacerdotales.

XLII. Que pourrai-je dire de leur prédication? Ils n'ont point à cœur de convertir les païens, mais de pervertir nos fidèles; ils mettent leur gloire à renverser ceux qui sont debout, au lieu de relever ceux qui sont tombés. Je ne m'en étonne pas; ils ne peuvent s'élever eux-mêmes que sur les débris de la vérité; c'est pourquoi ils s'efforcent de faire crouler notre Eglise pour bâtir la leur. Otez-leur la loi de Moïse, les prophètes, le Dieu créateur, vous leur fermez la bouche: ils n'attendent rien à édifier, leur unique talent est de détruire; ce n'est que dans cette vue qu'ils sont flatteurs, humbles et soumis. Du reste, ils ne connaissent pas le respect, même pour leurs préposés; et c'est pour cette raison qu'il n'y a guère de schisme parmi eux. On ne le remarque point; le schisme pour eux est, l'unité: sans cesse ils varient, ils s'écartent de leurs propres règles. Chacun tourne à sa fantaisie la doctrine qu'on lui a enseignée, comme celui de qui il l'a reçue l'avait inventée à sa fantaisie. L'hérésie, dans ses progrès, ne dément point sa nature et son origine. Les Valentiniens et les Marcionites ont autant de droit d'innover à leur gré dans la religion, que Valentin et Marcion. Toutes les hérésies, si on les examine à fond, s'éloignent en bien des points des sentiments de leurs auteurs. La plupart des hérétiques n'ont pas même d'églises; ils sont errants et vagabonds, sans mère, sans foi, sans feu ni lieu.

XLIII. Ils sont encore décriés par le commerce qu'ils ont avec les magiciens, les charlatans, les astrologues, les philosophes, tous gens d'une curiosité effrénée. Ils n'oublient jamais ces paroles: « Cherchez, et vous trouverez. » Par leurs mœurs, on peut juger de leur foi. Ils assurent qu'on ne doit pas craindre Dieu: aussi vivent-ils dans la |377 plus grande licence. Mais où ne craint-on pas Dieu, sinon là où il n'est point? Où Dieu n'est point, la vérité n'est pas non plus; et où la vérité n'est pas, on doit voir de telles sectes. Où Dieu est, au contraire, là se trouve la crainte de Dieu, qui est le commencement de la sagesse; où est la crainte de Dieu, se trouvent l'honnête gravité, l'exactitude scrupuleuse, le soin vigilant, le choix éclairé, la communication réfléchie, l'élévation méritée, la soumission religieuse, le service fidèle, la modestie en public, une Eglise unie, et Dieu partout.

XLIV. Cette ferme et vertueuse discipline est une dernière preuve de la vérité de notre croyance. On demeurera inviolablement attaché à cette croyance, si l'on se souvient du jugement futur, où nous comparaîtrons tous au pied du tribunal de Jésus-Christ, pour y rendre compte de tout, et en particulier de notre foi. Que répondrez-vous alors, vous qui aurez souillé par le commerce adultère de l'hérésie cette foi vierge que Jésus-Christ vous avait confiée? Direz-vous, pour vous excuser, que ni lui ni ses Apôtres n'avaient annoncé ces doctrines perverses pour les derniers temps, et ne vous avaient ordonné de les fuir et de les détester? Reconnaissez de bonne foi que vous ne pouvez vous en prendre qu'à vous-mêmes, et nullement à ceux qui vous avaient prévenus si long-temps auparavant. Mais vous ne manquerez pas de prétextes pour relever l'autorité des docteurs de l'hérésie. Ils avaient donné, direz-vous, les plus éclatantes preuves de leur mission; ils avaient guéri les malades, ressuscité les morts, prédit l'avenir, en sorte qu'on ne pouvait douter que ce ne fussent de vrais Apôtres. Comme s'il n'était pas écrit qu'il viendrait plusieurs séducteurs qui feraient des prodiges pour prouver une doctrine fausse et pernicieuse. Apparemment que vous obtiendrez grâce, tandis que ceux qui se seront souvenu des oracles du Seigneur et de ses Apôtres, et qui auront persévéré dans la foi orthodoxe, courront risque de leur salut. J'avais annoncé, il est vrai, leur dira le |378 Seigneur, qu'il viendrait des maîtres du mensonge en mon nom, au nom de mes Prophètes et de mes Apôtres. J'avais ordonné à mes disciples de répéter les mêmes prédictions. J'avais confié à mes Apôtres mon Evangile et le Symbole de la foi; mais comme vous refusiez de croire, il m'a plu ensuite d'y faire des changements. J'avais promis la résurrection de la chair, mais j'ai craint de ne pouvoir pas accomplir ma promesse; j'avais montré que j'étais né d'une vierge, mais j'ai rougi d'une pareille naissance; j'avais assuré que le Créateur du monde était mon père, mais un meilleur père m'a adopté; je vous avais défendu de prêter l'oreille aux hérétiques, mais j'étais moi-même dans l'erreur. Voilà les absurdités que sont forcés de dévorer ceux qui s'écartent de la règle, et qui ne sont point en garde contre le danger de perdre la foi.

XLV. Nous venons de donner des armes pour combattre généralement toutes les hérésies; nous leur avons opposé des prescriptions certaines, fondées, invincibles, qui les empêcheront à jamais d'être reçues à disputer sur les Ecritures. Dans la suite, si Dieu nous en fait la grâce, nous répondrons à quelques hérésies en particulier. Que la paix et la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ soient avec ceux qui liront ceci dans la foi de la véritable religion (1)!

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Quoique je passe sous silence la plupart des détails qui concernent ces hérétiques, j'en dirai quelques mots cependant. Je laisse de côté les hérétiques du judaïsme, le |379 Samaritain Dosithée, par exemple, qui le premier osa répudier les prophètes comme n'étant pas inspirés par l'Esprit saint. Je laisse de côté les Saducéens qui, sortant de la racine de cette erreur, osèrent nier avec cette hérésie la résurrection de la chair. Je laisse de côté les Pharisiens, qui en ajoutant quelques points à la loi, se séparèrent des Juifs; de là vient qu'ils méritèrent de recevoir le nom qu'ils ont gardé. Je ne parlerai pas davantage des Hérodiens, qui prétendaient qu'Hérode était le Christ.

XLVI. J'en viens à ceux qui voulurent être hérétiques depuis la prédication de l'Evangile. A la tête de tous paraît Simon le Magicien qui, dans les Actes des Apôtres, reçut de l'Apôtre Pierre une sentence bien méritée et en harmonie avec son impiété. Il osa se proclamer la Vertu souveraine, c'est-à-dire le Dieu suprême. Il ajoutait que le monde avait été créé par ses anges; que, grâce à un démon qui errait autour de lui, et qui était la sagesse, il était descendu chez les Juifs pour se faire reconnaître par ce peuple; qu'il n'avait pas souffert sous le fantôme de Dieu, mais qu'il avait comme souffert. Après lui vient Ménandre, son disciple, magicien comme lui, et répétant les mêmes extravagances que Simon lui-même. Tout ce que Simon soutenait avoir été, Ménandre l'était à son tour, disait-il: personne ne pouvait obtenir le salut, à moins d'être baptisé en son nom. Saturnin suivit de près. A l'entendre, il était aussi la vertu incréée, c'est-à-dire Dieu. Il résidait dans les régions supérieures et infinies, au plus haut des cieux. Les anges, placés à une distance prodigieuse de lui, avaient créé ce monde inférieur; et comme quelques rayons de la lumière éternelle étaient tombés dans les régions inférieures, les anges s'avisèrent de créer l'homme d'après cette ressemblance, et sur le modèle des anges qui habitaient dans cette lumière. L'homme rampait sur la terre comme un vermisseau. Saturnin, qui était la vertu incréée, voulut dans sa miséricorde sauver cette étincelle, sans quoi l'homme tout entier périssait. Le Christ, selon lui, |380 n'avait pas vécu dans une chair réelle. Fantôme véritable, il n'avait eu que les apparences de la douleur. Quant à la résurrection de la chair, elle n'aurait pas lieu.

L'hérétique Basilide lui succéda. Il prétend qu'il existe un Dieu souverain, nommé Abraxas (2), duquel émana l'Esprit, qu'en grec il appelle Nou~j. Ensuite naquit le Verbe; du Verbe la Providence; de la Providence la Vertu et la Sagesse. Celles-ci engendrèrent par la suite les Principautés, les Puissances, les anges, et une multitude infinie d'anges. Ce sont ces mêmes anges qui créèrent les trois cent soixante-cinq deux, et le monde en l'honneur d'Abraxas, dont celui-ci portait en lui-même le nom numérique. Parmi les derniers anges qui avaient formé le monde, il place comme le plus récent de tous le Dieu des Juifs, c'est-à-dire le Dieu de la Loi et des Prophètes, qui n'est pas dieu, dit-il, et qui n'est qu'un ange. La postérité d'Abraham lui échut en partage; voilà pourquoi il tira de la terre d'Egypte les enfants d'Israël pour les transporter dans la terre de Chanaan. Il est le plus turbulent de tous les anges; de là vient que, non content de susciter des séditions et des guerres fréquentes, il verse le sang humain. Alors le Christ descendit sous une forme fantastique, envoyé non par celui qui avait créé ce monde, mais par le grand Abraxas. La chair ne fut pas réelle chez lui. Ce n'est pas lui que les Juifs ont mis à mort; Simon a été crucifié à sa place. Par conséquent, il ne faut pas croire à celui qui a été crucifié; sans quoi ce serait avouer que l'on croit en Simon. Du reste, Basilide supprime le martyre. Il s'élève fortement contre la résurrection de la chair, en niant que le salut ait été promis aux corps.

Un autre hérétique surgit; c'est Nicolas. Il était compté parmi les sept diacres qui furent choisis dans les Actes des Apôtres. Il soutint que les Ténèbres convoitèrent la |381 Lumiere d'une manière honteuse. Je rougirais de rapporter tout ce qui est sorti d'immonde de cette union obscène. En effet, il parle de certains Eons impudiques, tels que les embrassements, les unions exécrables et hideuses, et d'autres choses plus révoltantes encore. Il crée ensuite sept esprits, dieux et démons, et invente mille extravagances aussi sacrilèges qu'infâmes. Passons-les sous silence, puisque la pudeur nous défend de nous y arrêter. Il nous suffit que l'Apocalypse du Seigneur condamne par la vénérable autorité de sa sentence toute cette hérésie des Nicolaïtes, en disant: « Tu as cela pour toi, que tu hais les actions des Nicolaïtes, comme moi-même je les hais. »

XLVII. A ces hérétiques se joignent ceux que l'on appelle Ophites. Car ils glorifient tellement le serpent, qu'ils le mettent au-dessus du Christ lui-même. En effet, disent-ils, c'est lui qui nous a donné l'origine de la science du bien et du mal. Moïse connaissait bien sa puissance et sa majesté, quand il dressa le serpent d'airain, et que tous ceux qui le regardèrent obtinrent la guérison. Il y a mieux. Le Christ lui-même n'imite-t-il pas dans son Evangile la puissance sacrée du serpent, lorsqu'il dit: « De même que Moïse éleva le serpent au désert, ainsi il faut que le Fils de l'homme soit élevé? » De là vient que les Ophites introduisent un serpent pour bénir leur Eucharistie. Mais voici quelle est l'origine de toute cette erreur et de cet appareil superstitieux. Ils soutiennent que de cet Eon primitif naquirent plusieurs autres Eons inférieurs; mais qu'un certain Eon, nommé Jaldabaoth, est supérieur à ces derniers. Il a été conçu d'un autre Eon qui s'unit à des Eons inférieurs. Dans la suite, voulant s'élever jusqu'aux régions supérieures, il fut trahi dans ses efforts, à cause de la pesanteur de la matière qui composait sa substance. Laissé dans les régions intermédiaires ', il étendit son domaine et créa le ciel. Jaldabaoth cependant descendit dans les régions inférieures, et engendra sept fils. A force de s'étendre, il ferma les régions supérieures, afin que les |382 anges ainsi hors d'état de connaître les régions les plus élevées, le regardassent comme Dieu unique. Ces Vertus et ces anges inférieurs créèrent l'homme, qui n'ayant été créé que par des Vertus infirmes et sans puissance, rampa sur la terre comme un vermisseau. Mais l'Eon de qui était sorti Jaldabaoth, touché de compassion, envoya à l'homme, ainsi condamné à ramper, une étincelle qui, en réveillant ses facultés, le mit à même de raisonner et de connaître les régions supérieures. Que fit alors ce Jaldabaoth? Dans son indignation, il tira de lui-même la Vertu et la ressemblance du serpent. Voilà quelle fut la Vertu dans le paradis, c'est-à-dire voilà quel fut le serpent, auquel Eve avait cru comme au Fils de Dieu. Elle cueillit par ses conseils, ajoutent-ils, le fruit de l'arbre: par là, il apporta au genre humain la science du bien et du mal. Ils ne croient pas que la chair de Jésus-Christ ait été réelle. Ils n'admettent pas davantage la résurrection de l'homme.

Il éclata encore une autre hérésie; c'est celle des Caïniens. Ils exaltent Caïn, qu'ils regardent comme ayant été conçu par quelque Vertu puissante qui opéra en lui. Car Abel, selon eux, né d'une Vertu inférieure, avait été procréé; voilà pourquoi il était inférieur. Ceux qui parlent ainsi, revendiquent aussi le traître Judas, qu'ils proclament grand et admirable, à cause du service qu'il rendit au genre humain. Quelques-uns, en effet, croient devoir remercier solennellement Judas de sa trahison. Comme il remarquait, disent-ils, que Jésus-Christ essayait de détruire la vérité, il le livra pour que la vérité ne fût pas détruite. D'autres, au contraire, raisonnent dans ce sens. Les puissances de ce monde ne voulaient pas que Jésus-Christ endurât sa passion, de peur que le genre humain ne recouvrât le salut par sa mort. Judas, pour consommer le salut du genre humain, livra le Christ, afin que le salut, qui était entravé par les Vertus dont la haine s'opposait à l'avènement du Christ, ne fût plus entravé, ni |383 la réhabilitation de l'homme retardée par la passion du Christ.

Vient ensuite l'hérésie des Setthoïtes. Voici quelles sont les extravagances de cette doctrine. Deux hommes furent créés par les anges, Cain et Abel: il s'éleva parmi les anges de grandes dissensions et des querelles terribles à cause d'eux. Alors la Vertu qui est supérieure à toutes les vertus, et qu'ils appellent la Mère, aussitôt que la mort d'Abel lui fut annoncée, voulut que Seth fût conçu et naquît à la place d'Abel, afin que, par la mort et la naissance de cette semence pure, les anges qui avaient formé les deux premiers hommes fussent déshérités de leur gloire; car ils soutiennent que les anges formèrent avec les hommes des unions illégitimes. Alors cette même Vertu, qu'ils appellent le Mère, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, châtia ces prévarications par le déluge, afin de détruire entièrement la race née de ce mélange, et de ne conserver que la semence qui était pure et intacte. Mais les anges qui avaient créé les hommes de la première semence se glissèrent secrètement, et à l'insu de la Mère, dans l'arche de Noé avec les huit personnes qu'elle renfermait, et y introduisirent la semence de Caïn, afin que la semence de la malice, au lieu de périr, fût conservée avec les autres, et que rendue à la terre après le déluge, elle se développât à l'exemple des autres, se répandît au loin, et couvrît l'univers tout entier. Quant au Christ, ils ne le regardent que comme Seth, et il n'a été réellement que Seth, disent-ils.

XLVIII. Carpocrate, de plus, a introduit la secte suivante. Il n'y a dans les régions supérieures qu'une Vertu suréminente: d'elle naquirent les Anges et les Vertus. Placés à une grande distance des Vertus supérieures, ils créèrent notre monde dans les régions inférieures. Le Christ n'est pas né de la vierge Marie, mais de la semence de Joseph. Il a donc été engendré à la manière des hommes, quoiqu'il l'emporte sur eux tous par son respect pour la |384 justice et par la pureté de sa vie. Il a souffert chez les Juifs. Son ame seule avait été reçue dans les deux, parce qu'elle fut plus ferme et plus énergique que toutes les autres. De là le sectaire concluait, en n'admettant que le salut des ames, et en déclarant qu'il n'y avait point de résurrection pour le corps.

Cérinthe parut après Carpocrate, et enseigna la même chose à peu près. En effet, il veut aussi que le monde ait été créé par ces anges. Selon lui, le Christ naquit de la semence de Joseph; par conséquent il ne fut qu'homme, sans être Dieu. La loi fut donnée par les anges, dit-il, et le dieu des Juifs n'était pas le Seigneur, mais seulement un ange.

A Cérinthe succéda Ebion. Il n'est pas d'accord sur tous les points avec Cérinthe. Selon lui, le monde aurait été créé par Dieu et non par les anges. Puis, comme il est écrit: « Le disciple n'est pas au-dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son seigneur, » il en prend acte pour défendre la loi, afin d'exclure l'Evangile et de maintenir le judaïsme.

XLIX. L'hérétique Valentin a débité un grand nombre de fables. Je n'en présenterai qu'une courte exposition. En effet, il introduit un Plérôme de trente Eons, qu'il fait sortir par syzigies, c'est-à-dire par couples. A la tête de tous, dit-il, sont Bythos et le Silence. Ils engendrèrent l'Esprit et la Vérité; de l'Esprit et la Vérité naquirent le Verbe et la Vie; ceux-ci à leur tour donnèrent naissance à l'Homme et à l'Eglise. L'Homme et l'Eglise engendrèrent douze Eons; il en naquit dix autres du Verbe et de la Vie. Ainsi se complètent les trente Eons, qui au moyen d'une huitaine, d'une dizaine et enfin d'une douzaine, constituent le Plérôme. Le trentième de ces Eons voulut contempler Bythos, et pour le contempler il osa monter dans les régions supérieures du Plérôme. Mais comme il n'était point assez fort pour soutenir les rayons de sa grandeur, il fut pris d'une grande défaillance, et il serait retombé dans |385 le néant, si celui qu'ils appellent Horos, envoyé pour le rassurer, ne l'avait réconforté en lui criant Jao. Prononciation ou Parole est le nom de ce dernier. Valentin ajoute que l'Eon, exclu du Plérôme et devenu Achamoth, fut livré depuis à toutes les passions du Désir, et de ces passions engendra la matière. Elle en créa le ciel, la terre, et tout ce qu'ils renferment. De là vient que toutes les créations de cet Eon sont misérables, fragiles, caduques et mortelles, parce que lui-même fut conçu et naquit de l'avortement. Il ne laissa pas cependant de créer notre monde des matières qu'avaient fournies les frayeurs, les craintes, les tristesses ou les sueurs d'Achamoth. De sa frayeur, dit le sectaire, naquirent les ténèbres; de sa crainte et de son ignorance l'esprit de malice et d'iniquité; de sa tristesse et de ses larmes, l'eau des fontaines, les flots de la mer et des fleuves. Quant au Christ, il a été envoyé par le Propator, qui n'est autre chose que Bythos. Le Christ ne parut point sur la terre avec un corps tel que le nôtre; mais apportant du ciel je ne sais quel corps spirituel, il traversa le sein de la Vierge Marie, comme l'eau passe par un canal, sans en rien recevoir, sans lui emprunter quoi que ce soit. Il ne veut pas que cette chair ressuscite, mais une autre chair spirituelle. Il admet certains points de la Loi et des Prophètes; il en rejette d'autres; qu'est-ce à dire? Il rejette la totalité en rejetant quelques points seulement. Il a aussi son Evangile, excepté les nôtres.

Après lui vinrent les hérétiques Ptolémée et Secundus, qui sont d'accord sur tous les points avec Valentin, à l'exception de celui-ci. Valentin s'était contenté d'imaginer trente Eons; ses disciples en introduisirent quatre d'abord, puis ils y en ajoutèrent par la suite quatre autres. Valentin. veut que le trentième Eon ait été relégué hors du Plérôme, à cause de ses défaillances. Ptolémée et Secundus le nient; car ils n'admettent pas au nombre du Plérôme ou des trente Eons, celui que tourmenta le désir impuissant de contempler le Propator. |386 

Il y eut après cela un autre hérétique, appelé Héracléon, qui, afin de ne pas penser comme Valentin, veut paraître penser autrement, en introduisant la nouveauté de je ne sais quelle Parole. Ce qui profère exista de tout temps, dit-il. Puis de celle Monade il tire deux Eons, bientôt l'essaim des Eons, et enfin le système de Valentin tout entier.

L. Après eux ne manquèrent pas de surgir un certain Marc et un Colarbasus, qui formèrent une nouvelle hérésie de l'alphabet des Grecs. Ils soutiennent qu'il est impossible de découvrir la vérité sans le secours de ces lettres, ou plutôt que la plénitude et la perfection de la vérité résident cachées dans ces lettres. Voilà pourquoi Jésus-Christ a dit: Je suis l'Alpha et l'Oméga. Enfin Jésus-Christ est descendu sur la terre, c'est-à-dire la colombe s'est reposée sur Jésus, et en grec colombe se dit περιστερὰ, mot qui dans la numération équivaut à DCCCI. Ceux-ci remontent toutes les lettres de l'alphabet, ω, ψ, χ, φ, υ, τ, jusqu'à la première, et forment ainsi des huitaines et des dizaines. Je m'arrête. Il serait peu sage et oiseux de rapporter ici toutes les extravagances qu'ils débitent; ou pour mieux dire, il y aurait autant de danger que d'extravagance à les énumérer. Ils imaginent un autre dieu que le Créateur. Ils nient tout à la fois et que le Christ se soit montré dans une chair réelle, et que la chair doive ressusciter.

LI. Joignez à ces hérétiques un Cerdon qui introduit deux principes, c'est-à-dire deux dieux; l'un bon et l'autre cruel: le bon est le dieu supérieur; le cruel, c'est le nôtre, c'est le Créateur du monde. Cerdon rejette la loi et les Prophètes; il renonce à Dieu le Créateur. Il admet que Jésus-Christ fils du Dieu supérieur est venu; mais il ne veut pas qu'il se soit montré dans une chair réelle; il n'exista qu'à l'état de fantôme; par conséquent il ne souffrit pas véritablement, mais il eut l'air de souffrir. Il ne naquit pas d'une vierge; ou, pour mieux dire, il ne naquit en aucune manière. Il n'admet que la résurrection de |387 l'ame; il nie celle du corps. Il ne reconnaît que l'Evangile de Luc; encore ne le reçoit-il pas dans son intégrité. Il ne prend ni toutes les lettres de l'apôtre Paul, ni dans leur totalité celles qu'il reçoit. Il rejette comme faux les Actes des Apôtres et l'Apocalypse.

Après lui apparaît Marcion, né dans le Pont, fils d'un évêque et retranché de la communion de l'Eglise pour avoir déshonoré une vierge. Celui-ci prenant occasion de cette parole: « Tout arbre bon produit de bons fruits; tout arbre mauvais produit de mauvais fruits, » travailla de toutes ses forces à propager l'hérésie de Cerdon et à accréditer la doctrine qu'avait imaginée son devancier.

A Marcion succède un certain Lucain, partisan et disciple de ce dernier. Fidèle aux mêmes blasphèmes, il enseigne ce qu'avaient enseigné Marcion et Cerdon.

Ils sont suivis de près par Apelles, disciple de Marcion, qui se sépara de son maître aussitôt qu'il fut tombé dans les péchés de la chair. Apelles introduit un Dieu unique qu'il place dans les régions supérieures infinies; c'est ce Dieu qui créa un grand nombre de puissances et d'anges. Voilà pourquoi il appelle Seigneur la seconde vertu, dont il ne fait qu'un ange: c'est par ce dernier que notre monde a été produit à l'imitation du monde supérieur. Il mêla à la formation de ce nouveau monde le repentir, parce qu'il n'avait pu le former avec autant de perfection que l'avait été le monde supérieur: du reste, il répudie la Loi et les Prophètes. Il n'affirme ni avec Marcion que le Christ est venu sous des formes fantastiques, ni avec l'enseignement de l'Evangile qu'il a eu un corps et une chair véritables; mais que descendant des régions supérieures, il s'adapta, pendant le trajet de sa descente, une chair empruntée aux astres et à l'air. Quand il ressuscita, en remontant aux cieux, il rendit à chacun de ces éléments, ce qu'il leur avait emprunté pendant qu'il descendait. Par conséquent, après avoir dispersé ça et là les différentes parties de son corps, il ne rentra dans le ciel qu'en esprit. Le même |388 hérétique nie la résurrection de la chair; il n'admet qu'un seul apôtre (3), celui de Marcion; encore ne l'admet-il pas tout entier. Il n'y a de salut que pour les ames, ajoute-t-il. De plus, il a des écritures particulières, mais bizarres; il les appelle les Révélations d'une certaine Philumène, qu'il suit comme une prophétesse. Joignez à ces révélations des traités, composés par lui, et auxquels il a donné le nom de Syllogismes, où il essaie de prouver que tout ce que Moïse a écrit sur Dieu n'est pas véritable, mais imaginé à plaisir.

LII. A tous ces hérétiques, il faut joindre encore un certain Tatien, qui fut disciple de Justin le martyr. Après la mort de son maître, il se mit à penser différemment; car sa doctrine tout entière ressemble à celle de Valentin; il se contenta d'y ajouter ce point: Adam ne peut obtenir le salut; comme si, alors que les branches sont sauvées, la racine ne l'était pas également.

Il vient encore d'autres hérétiques qui ont reçu leur nom des Phrygiens (4); mais ils se divisent dans leur doctrine. Les uns suivent Proclus et s'appellent de son nom; les autres du nom d'Eschine. Ils ont, les uns et les autres, des blasphèmes qui leur sont communs et des blasphèmes qui leur sont particuliers, et servent à les distinguer. Voici les blasphèmes qui leur sont communs. Premièrement, le Saint-Esprit résidait dans les Apôtres, mais ils n'eurent pas le Paraclet. En second lieu, le Paraclet a révélé à Montan plus de vérités que le Christ n'en déposa dans son Evangile; non-seulement plus de vérités, mais des vérités plus capitales et d'un ordre plus relevé (5). |389 Le blasphème particulier de ceux qui suivent Eschine, consiste à dire que le Christ est tout à la fois le Fils et le Père.

LIII. Il faut ajouter à tous ces noms celui de Blastus, qui essaie d'introduire secrètement le judaïsme. En effet, il ne veut pas que l'on observe la Pâque autrement que conformément à la loi de Moïse, le quatorzième jour du mois. Mais qui donc ignore que la grâce de l'Evangile disparaît tout entière, si l'on réduit le Christ à n'être que la Loi?

Après lui, je trouve Théodote, hérétique originaire de Byzance, qui ayant été saisi pour le nom de Jésus-Christ, le renia et ne cessa plus de le blasphémer depuis ce moment. En effet, il introduisit une doctrine, par laquelle il déclare que Jésus-Christ n'est qu'un homme ordinaire, le dépouillant ainsi de sa divinité. Qu'il soit né d'une Vierge par l'opération de l'Esprit saint, il l'admet, toutefois, pour en faire un homme solitaire semblable à tous les autres, n'ayant rien de plus qu'eux, si ce n'est l'autorité de sa justice.

Un second Théodote surgit après ce premier. Il introduisit également une nouvelle secte. Il enseignait, comme le premier, que Jésus-Christ n'était qu'un homme, quoiqu'il fût né et conçu de la vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit. Mais il le fait inférieur à Melchisédech, parce qu'il a été dit de Jésus-Christ: « Tu es le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech. » Car ce Christ, selon lui, était la vertu céleste de la grâce suréminente de Melchisédech, parce que Jésus-Christ, intercesseur et avocat des hommes, plaidait leur cause. Melchisédech, lui, intercédait pour les Anges et les Vertus des cieux; car il était bien supérieur au Christ, « puisqu'il n'avait ni père, ni mère, ni généalogie, et que sa vie n'ayant ni commencement ni fin, ne pouvait être connue. »

Après tous ces hérétiques vient Praxéas, qui introduisit |390 une hérésie que Victorinus essaya de fortifier. Ce dernier soutient que Dieu le Père tout-puissant est le même que Jésus-Christ; que c'est lui qui a souffert, lui qui a été crucifié, lui qui est mort. Il ajoute de plus, avec une audace profane et sacrilège, que c'est Dieu le Père qui s'assied dans les cieux à sa propre droite.


1. (1) La fin des Prescriptions contre les Hérétiques a été perdue. Quelques éditions estimées placent à la suite de ce beau Traité les chapitres suivants, qui sont la continuation de ce qu'annonce Tertullien, quoique nous n'osions affirmer que cette fin soit de lui, parce qu'elle ne se trouve pas dans un des manuscrits les plus anciens, celui d'Agobard. Cependant nous avons cru devoir l'ajouter ici comme un curieux monument qui résume en quelques mots l'histoire des hérésies jusqu'à Tertullien, et complète son Traité.

2. (1) Abraxas équivaut à 365, dans le système de numération grecque.

3. (1)  L'Apôtre saint Paul, Marcion en retranchait une partie; il voulait de plus que l'Apôtre eût proche une doctrine différente de celle de Jésus-Christ, et fût venu au nom de son Christ imaginaire.

4. (2)  Ils sont connus sous le nom de Cataphryges.

5. (3)  Si ces lignes appartiennent à Tertullien, comme le croient quelques commentateurs, il s'est condamné par ses propres paroles.


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Traduit par E.-A. de Genoude, 1852.  Proposé par Roger Pearse, 2005.  Text grec en unicode. Si vous trouvez une erreur à cette page, svp informez-moi par l'email: Roger Pearse.


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