TERTULLIEN
[Traduit par E.-A. de Genoude]
I. Heureux sacrement que celui de l'eau chrétienne, qui, lavant les souillures de nos ténèbres passées, nous enfante à la liberté de la vie éternelle! Un traité sur cette matière ne sera pas sans doute mutile, soit pour instruire ceux qui travaillent en ce moment à s'approcher de Dieu, soit pour convaincre les fidèles qui, se bornant à croire dans la simplicité du cœur, et sans étudier les raisons de ce qui leur est enseigné, n'ont qu'une foi dénuée de fondement et qui, à cause de leur ignorance, ne repose que sur des conjectures. D'ailleurs, il est arrivé depuis peu qu'une femme, ou plutôt qu'une vipère des plus venimeuses de la secte des Caïniens, a séduit dans ces contrées un grand nombre de nos frères, par le poison de ses doctrines. Elle attaque surtout le baptême. Rien, assurément, qui réponde mieux à sa nature: vipères, aspics, serpents de toute espèce, recherchent d'ordinaire les lieux secs et arides. Pour nous, poissons que conduit Jésus-Christ notre chef, nous naissons dans l'eau, et nous n'avons d'autre moyen de salut que de rester dans cette eau salutaire. Aussi Quintilla, monstre hideux, qui n'avait pas même le droit d'enseigner, a-t-elle trouvé l'infaillible secret de donner la mort à ces poissons: elle les enlève à l'eau qui les fait vivre.
II. Admirons ici l'adresse de la perversité, qui, soit pour |240 ruiner la foi, soit pour empêcher qu'on ne la reçoive dans sa plénitude, sape les fondements sur lesquels elle repose. Rien ne déconcerte plus les idées de l'homme que la simplicité des opérations divines dans ce qui frappe nos sens d'une part, et de l'autre la magnificence des effets qui en résultent. Il en va ainsi de notre baptême. Quoi de plus simple? Point de pompe; point d'appareil nouveau; point de cérémonie dispendieuse. Toutefois parce que le néophyte plongé dans l'eau pendant que l'on prononce sur lui quelques paroles, ne paraît pas sortir plus pur intérieurement de ce bain, on ne veut pas croire qu'il ait obtenu l'éternité. Mais chez les idolâtres, si je ne me trompe, l'appareil, la pompe, et les dépenses de leurs solennités ou de leurs mystères secrets, commandent la foi et la vénération. Misérable incrédulité, qui conteste à Dieu ce qui n'appartient qu'à lui, la simplicité unie à la toute puissance!
---- Quoi donc? N'est-il pas étrange, s'écrie-t-on, qu'un peu d'eau détruise la mort?
---- Loin de là! il faut d'autant plus le croire, si c'est à cause de la grandeur de la merveille que l'on refuse d'y croire. En effet, quel peut être le caractère des œuvres divines, sinon de surpasser notre admiration? Nous aussi, elles nous surprennent, mais parce que nous les croyons. L'incrédulité, au contraire, s'en étonne, mais sans les croire. Ce qui est simple lui paraît illusoire, ce qui est magnifique lui semble impossible. Qu'il en soit comme tu l'imagines, les oracles divins l'ont réfuté d'avance: « Dieu
a choisi ce qui était insensé selon le monde, pour confondre sa sagesse. ---- Ce qui est impossible aux hommes est facile à Dieu. » Si Dieu est infiniment sage et puissant, chose que ne contestent pas même ceux qui le méconnaissent, il a dû faire entrer dans la matière de ses œuvres le contraire de la sagesse et de la puissance, c'est-à-dire ce qui paraît à l'homme une folie ou une impossibilité: le mérite ne brille jamais plus que dans l'opposition des moyens et des effets. |241
III. Tout en ne perdant pas de vue ce principe qui nous sert de prescriptions, examinons néanmoins si la régénération de l'homme par l'eau est chose ridicule ou impossible. Pourquoi cette matière a-t-elle été élevée à cette haute dignité? Il est bon, selon moi, de considérer cet élément jusque dans son origine. Elle est noble, elle est illustre cette origine, qui commence avec le monde. L'eau est un de ces éléments qui, avant que le monde eût revêtu sa forme, lorsque tout était grossier encore, sommeillait en Dieu. « Au commencement, est-il dit, Dieu créa le ciel et la terre; la terre était invisible et nue; les ténèbres couvraient la face de l'abîme, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux. » Voilà d'abord, ô homme! de quoi respecter la substance de l'eau, par l'antiquité de son origine. Veux-tu connaître ensuite sa dignité? Elle était le siège de l'Esprit divin, qui la préférait alors à tous les autres éléments. D'informes ténèbres, que ne dissipait point encore la clarté des étoiles, s'épaississaient partout; l'abîme était lugubre, la terre sans ornement, le ciel sans magnificence; l'eau seule, matière toujours parfaite, toujours riante, toujours simple, toujours pure par elle-même, servait de trône à l'Esprit de Dieu.
Il y a plus. Quand Dieu disposa entre elles les différentes parties de l'univers, il le fit au moyen des eaux. « Pour suspendre le firmament au milieu du monde, il divisa les eaux d'avec les eaux. Il suspendit l'aride par une opération semblable. » Une fois que tout a pris sa place, et que le monde attend ses habitants, c'est à l'eau la première qu'il est ordonné de produire des créatures vivantes. C'est l'eau qui la première produit ce qui a vie, afin que notre étonnement cessât lorsqu'un jour elle enfanterait la vie dans le baptême. Dans la formation de l'homme lui-même, Dieu employa l'eau pour consommer son œuvre. Il est bien vrai que la terre lui fournit sa substance; mais la terre eût été inhabile à cette œuvre, si elle n'avait été humide et détrempée. Ce sera donc avec le |242 limon auquel les eaux rassemblées depuis quatre jours dans leur demeure, avaient laissé une humidité suffisante, que le Créateur formera le roi de la création.
S'il fallait m'étendre ici sur les autres prérogatives de l'eau, que n'aurais-je point à dire de sa vertu et de sa fécondité? Que de qualités! que de bienfaits! que de services rendus au monde! Mais je craindrais de devenir le panégyriste de l'eau plutôt que le défenseur du baptême: toutefois il sortirait de là l'enseignement plus complet que si Dieu a constamment employé l'eau dans ses œuvres, il n'est pas étrange qu'elle figure dans ses sacrements. Pourquoi celle qui produit la vie de la terre, ne donnerait-elle pas la vie du ciel?
IV. Il suffira de ces quelques mots pour y découvrir comme une espèce de préjugé en faveur du baptême et un signe extérieur qui en était le symbole au commencement du monde. L'Esprit de Dieu qui, avant le création,
était porté sur les eaux, » nous indiquait d'avance que sa majesté reposerait sur l'eau de la régénération; car la sainteté ne pouvait être portée que sur une chose sainte, ou bien, la matière qui portait, empruntait sa sanctification à ce qui était porté. Et attendu que toute matière inférieure participe nécessairement aux qualités de celle qui la domine, la substance corporelle devait entrer en communication avec la substance spirituelle, d'autant plus que cette dernière peut aisément par sa subtilité pénétrer et animer sa voisine. Ainsi, la nature des eaux, sanctifiée par l'Esprit saint, a conçu par là même le pouvoir de sanctifier l'homme dans ce sacrement.
Et qu'on ne vienne pas me dire: Est-ce que nous sommes baptisés aujourd'hui dans les mêmes eaux que celles qui furent au commencement du monde? Non, répondrai-je, elles ne sont pas absolument les mêmes. Elles s'y rapportent toutefois comme des espèces différentes à un genre unique. Or, les attributs du genre se retrouvent dans l'espèce. Aussi baptisés dans la mer ou dans un étang, dans |243 un fleuve ou dans une fontaine, dans un lac ou dans un bassin, qu'importe? il n'y a sur ce point aucune différence entre ceux que Jean régénère dans le Jourdain et Pierre dans le Tibre. L'eunuque, que Philippe baptisa en chemin d'une eau que le hasard lui offrit, n'emporta ni plus ni moins de grâce. Toute eau naturelle acquiert donc, par l'antique prérogative dont elle fut honorée à son origine, la vertu de sanctification dans le sacrement, pourvu que Dieu soit invoqué à cet effet. Aussitôt que les paroles se prononcent, l'Esprit saint, descendu des cieux, s'arrête sur les eaux qu'il sanctifie par sa fécondité; les eaux ainsi sanctifiées s'imprègnent à leur tour de la vertu sanctifiante. D'ailleurs, elles ont un rapport direct avec les desseins de Dieu dans cette opération. La tache du péché nous avait souillés; les eaux nous lavent de ces souillures. Mais comme les péchés ne paroissent pas sur la chair, car personne ne porte à l'extérieur les marques de l'idolâtrie, de l'adultère ou du mensonge, ils impriment leur difformité dans l'ame, où se consomme principalement la faute. C'est l'esprit qui commande; la chair obéit en esclave. Cependant la faute est commune à tous deux, à l'esprit, parce qu'il commande, à la chair, parce qu'elle obéit. Ainsi, dès que les eaux ont reçu comme une vertu médicinale par l'intervention de l'ange de Dieu, l'ame y est lavée au moyen du corps, et la chair purifiée au moyen de l'esprit.
V. Les Gentils eux-mêmes, tout étrangers qu'ils sont à l'intelligence des choses spirituelles, attribuent à leurs idoles la même efficacité. Mais leurs eaux, vides de vertu, ne sont que mensonge et illusion. Ils initient, par une sorte de baptême, leurs néophytes à je ne sais quels mystères d'Isis ou de Mithra. Ils honorent même leurs dieux par les ablutions solennelles de leurs simulacres. Voyez, leurs lustrations expiatoires! Le prêtre, promenant çà et là l'eau sacrée, en arrose maison, bourgade, temple, cité; il n'omet rien. On se prépare, le fait est connu, aux jeux |244 d'Apollon et d'Eleusis par des immersions, cérémonie qui, suivant l'idée commune, régénérera le coupable, et lui obtiendra l'impunité de ses parjures. C'est ce que nous voyons chez les anciens. Quiconque s'était souillé par l'homicide, lavait la tache du sang dans une eau expiatoire. Si donc l'aveuglement des Gentils reconnaît à l'eau, par suite de sa destination naturelle, la propriété d'effacer les crimes, avec combien plus de vérité remplira-t-elle cet office par l'autorité d'un Dieu, créateur des éléments et de leurs propriétés!
---- La religion, disent-ils, communique à l'eau une vertu salutaire.
---- Mais quelle plus sainte religion que celle du Dieu vivant! Le connaître, ce vrai Dieu, c'est en même temps connaître les artifices jaloux du démon, toujours prêt à contrefaire les opérations divines. En effet, n'a-t-il pas aussi son baptême qu'il impose aux siens? Mais où est le rapport? Là, c'est l'impur qui purifie; c'est l'auteur de la servitude qui affranchit; c'est le condamné qui absout. N'est-ce pas détruire son ouvrage que d'effacer les péchés, inspirés par lui-même?
J'ai rapporté ces témoignages pour ceux qui, repoussant lès lumières de la foi, refusent à Dieu un pouvoir qu'ils accordent néanmoins à son rival. Sans même recourir au sacrement, une opinion vulgaire veut qu'il y ait des esprits immondes répandus sur les eaux, comme pour imiter l'incubation première de l'Esprit, au commencement du monde. Interrogez plutôt ces fontaines ombragées, ces ruisseaux pleins de mystères, ces piscines dans les bains, Ces sources jaillissantes dans les maisons, ces citernes, ces puits qui engloutissent ou étouffent, dit-on, les hommes, sans doute par la force de l'esprit malfaisant. En effet, n'existe-t-il pas des noms divers pour désigner les victimes des eaux; apopnictes, ceux qu'elles ont suffoqués; lymphates, ceux qu'elles ont rendus furieux; hydrophobes, Ceux qu'elles ont frappés de terreur. Pourquoi ces détails? |245 Il ne paraîtra plus invraisemblable que l'ange du Seigneur préside aux eaux pour notre salut, lorsque l'ange du mal s'y trouve pour la perte de l'homme.
---- Quelle apparence, dites-vous, qu'un ange intervienne dans les eaux?
---- L'Ecriture a guéri d'avance vos scrupules: « Un ange du Seigneur descendait au temps marqué dans la piscine de Bethsaïde, et remuait l'eau. Les malades attendaient qu'elle eût été agitée pour y descendre, et celui qui y descendait le premier après que l'eau avait été agitée, était infailliblement guéri, quel que fût son mal. » Ce
remède du corps figurait dans l'avenir les remèdes appliqués à notre ame, comme il arrive d'ordinaire que les choses matérielles nous élèvent à la connaissance des choses spirituelles. Puis, quand vinrent les jours où la grâce de Dieu coula plus abondamment sur les hommes, l'eau acquit plus de vertu, l'ange plus de pouvoir. Ce qui guérissait autrefois le corps, guérit aujourd'hui l'ame; ce qui procurait la santé dans le temps, procure le salut dans l'éternité; ce qui délivrait un seul homme chaque année, délivre chaque jour des nations tout entières, et détruit la mort en lavant les péchés. Car le baptême, en remettant la faute, remet aussi la peine. Ainsi l'homme est rendu à Dieu, à la ressemblance de ce premier homme qui avait été créé autrefois à l'image de Dieu; l'image s'applique au corps; la ressemblance à l'éternité. C'est alors que l'homme recouvre cet Esprit saint, que le souffle de Dieu lui avait communiqué au commencement, mais qu'il avait perdu ensuite par sa révolte.
VI. Je ne prétends pas toutefois que les eaux nous mettent en possession de la plénitude de l'Esprit; mais en nous purifiant sous la vertu de l'ange, elles nous disposent à recevoir l'Esprit saint. Ici la figure précéda encore la réalité. De même que le Précurseur préparait les voies de Jésus-Christ; ainsi l'ange, présent au baptême, ouvre les voies au Saint-Esprit par l'absolution des péchés qu'obtient |246 la foi, que scelle et confirme l'invocation du Père, du Fils et du Saint-Esprit. S'il est écrit: « Tout témoignage reposera sur la parole de deux ou trois témoins; » quel fondement inébranlable de nos espérances que le nombre des trois personnes divines, puisque l'invocation nous donne peur garants de notre salut, ceux-là même qui cautionnent notre foi! Ce n'est pas tout: notre profession de foi et la promesse de notre salut ayant pour témoins et pour garants les trois personnes divines, la mention de l'Eglise arrive de toute nécessité; car là où sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit, là est aussi l'Eglise qui est le corps des trois personnes divines.
VII. Sortis du bain régénérateur, nous recevons une onction sainte, empruntée à l'ancienne loi qui marquait le prêtre par l'onction de l'huile. C'est ainsi qu'Aaron fut sacré par son frère Moïse. C'est ainsi que Jésus est appelé Christ du mot chrême, qui désigne l'onction par laquelle Dieu le Père l'a rempli de son Esprit, suivant ce qu'on lit aux actes des Apôtres: « Ils s'assemblèrent dans cette ville contre votre Fils sacré que vous avez marqué de votre onction. » Ainsi l'onction se pratique sur notre chair, mais son effet agit sur l'ame. De même l'action du baptême est tout extérieure, puisque le corps lui seul est plongé dans l'eau; mais l'effet en est tout spirituel, puisqu'il nous affranchit du péché.
VIII. Ensuite, ou nous impose les mains en invoquant et en attirant sur nous l'Esprit saint par la bénédiction. Quoi donc? Il sera permis au génie de l'homme de faire descendre l'Esprit sur l'eau, en étendant les mains sur elle, et d'animer ce mélange par un autre Esprit qui produit des merveilles étonnantes (1), et Dieu qui agit sur |247 des éléments dont il est le créateur, ne pourrait, par des mains pures, opérer des prodiges spirituels! Les symboles sacrés de l'Ancien-Testament nous éclairent encore ici. Jacob, ayant appelé auprès de lui ses deux petits-fils, Ephraïm et Manassé, tous deux enfants de Joseph, les bénit en leur imposant sur la tête ses mains qu'il avait croisées, représentant par cette attitude Jésus-Christ sur sa croix, et présageant ainsi la bénédiction que nous donnerait Jésus-Christ. C'est dans ce moment que l'Esprit de sainteté infinie quitte le sein du Père pour descendre avec plaisir sur une chair purifiée et bénie, et repose sur les eaux du baptême, comme s'il reconnaissait son ancien trône. Il descendit de même sur notre Seigneur sous la figure d'une colombe, afin que la simplicité et l'innocence de la colombe nous fissent connaître qu'elle était la nature du Sauveur, car cet oiseau, dit-on, n'a point de fiel. Voilà pourquoi Jésus-Christ nous recommande dans l'Ecriture « d'être simples comme la colombe. » De même quand le déluge eut lavé dans ses eaux l'antique iniquité, après le baptême du monde, si j'ose ainsi parler, la colombe, échappée de l'arche, et reparaissant ensuite avec un rameau d'olivier, vint annoncer à l'univers la pacification de la colère divine. On sait que parmi les nations l'olivier est le symbole de la paix. Par une disposition analogue, mais toute spirituelle, aussitôt que notre terre, c'est-à-dire aussitôt que la chair de l'homme sort du bain régénérateur, purifiée de ses souillures, le Saint-Esprit, céleste colombe qui descend d'en haut, comme jadis celle qui sortit de l'arche, figure de l'Eglise, vient à nous en nous apportant la paix de Dieu. Mais le monde, en péchant de nouveau, nous signale la différence du baptême et du déluge. Aussi le monde doit-il être purifié par le feu, de même que l'homme qui retombe dans le péché après sa régénération. Que l'avertissement nous profite!
IX. Avantages du côté de la nature, privilèges du côté de la grâce, cérémonies solennelles, symboles, prières, |248 témoignages, tout annonce la merveilleuse efficacité de l'eau. D'abord, c'est le peuple de Dieu que je vois arraché de la servitude. Comment Israël échappe-t-il à la violence de l'Egyptien? Il traverse les eaux de la mer Rouge, où il trouve son salut en laissant englouti son cruel oppresseur avec toutes ses troupes. Connaissez-vous une figure plus manifeste du sacrement du baptême? C'est dans l'eau que les nations délivrées dépouillent les chaînes du siècle; dans l'eau, que le démon, leur antique dominateur, perd son pouvoir. Plus loin, l'eau du désert est pleine d'amertume. Moïse en corrige l'âcreté par la vertu du bois qu'il y jette. Quel est ce bois? Jésus-Christ lui-même qui, par sa divine puissance, transformait en eaux salutaires des eaux tout à l'heure amères et empoisonnées. La voilà encore cette eau que Moïse fit jaillir miraculeusement de la pierre qui accompagnait le peuple. Si cette pierre était Jésus-Christ, il n'en faut point douter, les eaux du baptême sont consacrées en Jésus-Christ.
Pour nous confirmer dans la foi du baptême, considérons en quelle faveur l'eau est auprès de Dieu et de son Fils. L'eau intervient dans les principales circonstances de la vie du Sauveur; elle apparaît à son baptême. Essaie-t-il son pouvoir? il convertit l'eau en vin aux noces où il est convié. Enseigne-t-il la multitude? il invite ceux qui ont soif à venir se désaltérer à cette eau éternelle, qui n'est autre chose que lui-même. Ailleurs, il affirme qu'un verre d'eau donné au pauvre est une œuvre de charité qu'il récompensera. Il répare ses forces aux eaux du puits de Jacob; il marche sur les eaux; il passe et repasse le lac de Génézareth, il lave lui-même les pieds de ses disciples. Enfin les témoignages en faveur du baptême se continuent jusqu'à la Passion. Le Sauveur ne sera point condamné à la croix sans que l'eau intervienne; j'en appelle aux mains de Pilate. Lorsqu'il est blessé, c'est encore de l'eau qui jaillit de son côté; j'en appelle à la lance du soldat. |249
X. Jusqu'ici nous avons énuméré, autant que l'a permis notre faiblesse, tout ce qui peut servir de fondement à la religion du baptême; expliquons du mieux qu'il nous sera possible ce qui concerne sa nature. Je commence par plusieurs questions préliminaires. La première fut proposée parle Seigneur lui-même aux Pharisiens, lorsqu'il leur demanda si « le baptême de Jean venait du ciel ou de la terre. » Ils n'osèrent rien répondre: « Ils ne comprenaient pas, parce qu'ils n'avaient pas la foi. » Pour nous, chez qui la mesure de la foi est la mesure de l'intelligence, nous pouvons répondre que le baptême de Jean était divin par l'autorité de celui qui l'avait prescrit, mais non dans ses effets, puisque nous lisons que Jean avait été envoyé pour baptiser, mais d'un baptême tout humain. En effet, le Précurseur n'accordait point la grâce, il ne faisait que préparer aux choses spirituelles, parce qu'il était le préposé de la pénitence qui est au pouvoir de l'homme. Les docteurs de la loi et les Pharisiens, n'ayant pas voulu croire, refusèrent aussi de faire pénitence. S'il est vrai que la pénitence soit au pouvoir de l'homme, le baptême de Jean devait être nécessairement de la même nature; ou bien, s'il eût été céleste, il eût conféré l'Esprit saint et la rémission des péchés. « Mais il n'y a que Dieu qui remette les péchés et donne le Saint-Esprit. » D'ailleurs, le Seigneur n'a-t-il pas dit lui-même: « Si je ne remonte d'abord vers mon Père, l'Esprit ne peut descendre sur vous. » Ce que le Maître ne donnait point encore, le serviteur pouvait-il le donner?
Nous lisons ensuite dans les Actes des Apôtres: « Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean n'avaient pas l'Esprit saint, dont ils n'avaient pas même entendu parler. » Par conséquent, ce qui ne produisait pas des effets célestes n'avait rien de céleste. Au reste, tout ce qu'il y avait de céleste dans le précurseur, c'est-à-dire l'Esprit de prophétie, vint tellement à lui manquer, après que la plénitude de l'Esprit saint fut passée tout entière dans le |250 Seigneur, que, ne reconnaissant plus celui dont il avait signalé l'avènement, il lui envoya demander s'il était véritablement le Messie qui devait venir. Ce baptême de la pénitence ne faisait donc que disposer à la rémission, et à la sanctification qui arriverait bientôt par le Christ.
---- Il prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, dira-t-on.
---- Il est vrai; mais cela ne doit s'entendre que d'une rémission à venir. La pénitence précède; vient ensuite la rémission; on appelle cela préparer la voie. Celui qui prépare est-il le même que celui qui achève! Le premier dispose seulement et laisse à un autre le soin de mettre la dernière main. Au reste, le Précurseur avoue lui-même que ses œuvres n'étaient point célestes; cette vertu n'appartenait qu'au Christ: « Celui qui est sorti de la terre est de la terre et parle de la terre; celui qui vient d'en haut est au-dessus de tous. » « Pour moi, dit-il ailleurs, je vous baptise dans l'eau de la pénitence seulement; mais il en viendra bientôt un autre qui vous baptisera par le Saint-Esprit et par le feu; » c'est-à-dire comme le vrai fidèle est purifié dans les eaux baptismales pour sa sanctification, le Chrétien hypocrite ou chancelant reçoit un baptême de feu pour sa condamnation.
XI. ---- « Le Seigneur est venu et il n'a point baptisé, » s'écrie-t-on. Car nous lisons ces paroles « quoique Jésus ne baptisât point lui-même, mais par ses disciples. » Il semble néanmoins, d'après les paroles de Jean, que Jésus-Christ devait baptiser de ses propres mains.
---- Ce n'est pas ainsi qu'il faut l'entendre. Il ne faut voir là qu'une manière de parler assez habituelle. On dit, par exemple: L'empereur a publié un édit; le gouverneur a frappé de verges. Est-ce l'empereur qui publie? est-ce le gouverneur qui a frappé? On met constamment sur le compte du maître l'exécution de ses ordres. Voilà quel est le sens de ces paroles: « Il vous baptisera |251 lui-même, » c'est-à-dire, vous serez baptisés en lui ou par lui.
Mais pourquoi s'étonner qu'il ne baptisât point lui-même? Quel aurait pu être son baptême? Un baptême de pénitence? Alors à quoi bon le Précurseur? Un baptême pour la rémission des péchés? Il la donnait d'une seule parole. Un baptême administré en son nom? Il cachait le Dieu sous les abaissements de l'humilité. Un baptême au nom du Saint-Esprit? Il n'était pas encore descendu d'auprès du Père. Un baptême au nom de l'Eglise? Les Apôtres ne l'avaient pas encore édifiée. C'étaient donc les Apôtres qui baptisaient en qualité de ministres de Jésus-Christ, comme autrefois le Précurseur, et du même baptême que lui, de peur qu'on ne le croie différent, parce qu'il n'y en a pas d'autre que celui qui fut institué ensuite par Jésus-Christ, mais que les disciples ne pouvaient administrer. La gloire du Seigneur n'était pas encore achevée ni l'efficacité du baptême établie sur les mérites de la passion et de la résurrection. Or, notre mort ne pouvait être détruite que par sa passion, et notre vie réparée que par sa résurrection.
XII. Lorsque, nous appuyant sur cet oracle de notre Seigneur: « En vérité, si quelqu'un ne renaît de l'eau, il ne peut avoir la vie, » nous établissons que nul ne peut être sauvé sans le baptême, des esprits pointilleux ou téméraires nous adressent cette question: Avec votre principe, comment les Apôtres peuvent-ils être sauvés? Car nous ne voyons point qu'ils aient été baptisés dans le Seigneur, à l'exception de Paul. Il y a mieux. Puisque Paul est le seul parmi eux qui ait reçu le baptême de Jésus-Christ, il suit invinciblement ou que ceux qui n'ont pas été plongés dans l'eau régénératrice sont damnés, pour sauver le principe, ou que cet oracle est convaincu de mensonge, si le salut leur est assuré sans le secours du baptême. J'ai entendu des imprudents raisonner de la sorte, et j'en prends Dieu à témoin, afin que l'on ne me suppose |252 point assez pervers pour imaginer, dans je ne sais quel emportement de langage, des difficultés capables d'alarmer ou d'exciter des scrupules.
Je vais donc répondre, du mieux qu'il me sera possible, à ceux qui disent: Les Apôtres n'ont point été baptisés. S'il est vrai, comme on ne peut le contester, que les Apôtres avaient reçu le baptême humain de Jean, ils désiraient aussi le céleste baptême de notre Seigneur, puisqu'il avait déclaré qu'il n'y avait qu'un baptême. Lorsqu'ils veut laver les pieds de Pierre, qui s'y refuse, ne lui dit-il pas: « Celui qui a été une fois lavé, n'a plus besoin de l'être? » Aurait-il tenu ce langage à un homme qui n'aurait pas été baptisé? Argument décisif contre ceux qui enlèvent aux Apôtres jusqu'au baptême de Jean, afin de ruiner le sacrement de la régénération. Qui croira que la voie du Seigneur, c'est-à-dire le baptême de Jean, n'ait pas été préparée dans la personne de ceux qui étaient eux-mêmes destinés à ouvrir les voies du Seigneur par tout l'univers! Eh quoi! notre Seigneur, dont l'impeccabilité ne devait à la justice divine aucune satisfaction, a voulu néanmoins être baptisé, et des pécheurs n'auraient pas eu besoin de l'être!
On insiste. N'est-il pas vrai que plusieurs n'ont pas été baptisés? ---- D'accord; toutefois ce ne sont pas assurément les disciples de Jésus-Christ, mais les ennemis de sa foi, tels que les Docteurs et les Pharisiens. J'en conclus que si les ennemis du Seigneur n'ont pas voulu être baptisés, ceux qui suivaient le Seigneur l'ont été certainement, pour ne pas imiter la folle sagesse de ses contradicteurs, surtout quand le Maître auquel ils étaient attachés avait honoré Jean par cet illustre témoignage: « Parmi les enfants des femmes, il n'en est pas de plus grand que Jean-Baptiste. »
Selon d'autres, et l'assertion est peu sensée, les Apôtres furent suffisamment baptisés lorsque les flots de la mer les couvrirent dans la barque qu'ils montaient. Pierre |253 lui-même fut assez plongé quand il marcha sur les eaux du lac de Génézareth. Telle n'est pas mon opinion. Autre chose est d'être couvert d'eau ou enseveli par la violence de la mer, autre chose d'être lavé par un acte de religion. Ce navire, au reste, était la figure de l'Eglise qui est battue par les tempêtes de la persécution et de la tentation sur la mer de ce monde, tandis que le Seigneur semble s'endormir dans sa patience, jusqu'à ce que, réveillé enfin par les prières des justes, il apaise à ce dernier jour la fureur du siècle et rende le calme à ses serviteurs.
Enfin, quel qu'ait été le baptême des Apôtres, ou bien qu'ils aient vécu jusqu'à la fin sans le baptême, il est important de savoir que c'est à nous en particulier que le Christ adresse cet oracle dans la personne de Pierre: « Il n'y a qu'un baptême. » Au reste, il y aurait témérité de notre part à nous ériger en juges du salut des Apôtres, comme si la grâce de leur vocation, et ensuite le privilège d'une amitié inséparable avec Jésus-Christ, n'avait pas pu remplacer pour eux le baptême! Disciples fidèles, ne marchaient-ils pas à la suite de celui qui a promis le salut à quiconque croit en lui? « Votre foi vous a sauvé, » dit-il; et ailleurs: « Vos péchés vous sont remis. » Ce dernier croyait, mais n'avait pas encore reçu le baptême. Si la rémission des péchés a manqué aux Apôtres, je ne comprends plus rien à la foi. L'un, à la première parole que lui fait entendre le Seigneur, abandonne la maison de l'impôt; l'autre renonce à son père, à sa barque et à la profession qui le faisait vivre. Celui-là ne retourne pas même sur ses pas pour ensevelir son père, docile au plus grand des préceptes de Jésus-Christ: « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi; » injonction à laquelle il obéit avant même de l'avoir entendue.
XIII. Ici l'audace de quelques impies m'arrête par ces questions: « Si la foi suffit, le baptême n'est donc pas nécessaire? Abraham, qui n'avait été plongé dans aucune |254 eau, devint agréable à Dieu sans autre sacrement que le sacrement de sa foi. »
---- Je réponds: les lois qui viennent les dernières obligent et prévalent sur celles qui les ont précédées. Qu'anciennement, avant la passion et la résurrection du Seigneur, la foi toute seule ait suffi pour le salut, d'accord. Mais, quand il fallut en outre croire à sa naissance, à sa passion et à sa résurrection, le sacrement primitif s'accrut du sceau du baptême, vêtement de notre foi pour ainsi parler, qui auparavant était nue, et qui aujourd'hui ne peut rien sans l'observation de la loi. En effet, la nécessité du baptême a été imposée; la forme en a été prescrite: « Allez, dit le Seigneur aux Apôtres, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. » Cette loi est clairement confirmée par cet autre arrêt définitif: « En vérité, en vérité je vous le dis, si quelqu'un ne renaît de l'eau et de l'Esprit saint, il n'entrera point dans le royaume de Dieu: » double sentence où est écrite la nécessité du baptême. Depuis ce moment, tous ceux qui entrèrent dans l'Eglise furent baptisés. Paul commence à peine à croire, qu'il reçoit le baptême. Le Seigneur le lui avait ordonné quand il le frappa de cécité. « Lève-toi, et entre dans la ville de Damas; là on t'apprendra ce que tu dois faire, » c'est-à-dire recevoir le baptême, la seule chose qui lui manquât. Car, du reste, il avait suffisamment appris et cru que Jésus de Nazareth était le Seigneur, Fils de Dieu.
XIV. Mais à propos de l'Apôtre, nouvelles difficultés. Il a dit: « Aussi n'est-ce pas pour baptiser que Jésus-Christ m'a envoyé. »
---- Qui s'imaginera que par ces paroles l'Apôtre ait prétendu détruire le baptême? N'a-t-il pas baptisé lui-même Caïus, Crispus, et toute la famille de Stéphanas? Mais je le veux bien; le Christ ne l'avait pas envoyé pour baptiser; n'avait-il pas prescrit aux autres Apôtres de conférer le baptême? Comprenons d'ailleurs le langage de |255 Paul, et dans quelles circonstances il parlait. On lui avait appris « qu'il s'était élevé des schismes et des divisions parmi les Corinthiens: Je suis à Paul, disait l'un; je suis à Apollon, disait l'autre. » Voilà pourquoi le pacifique Apôtre, afin de ne point paraître s'arroger l'universalité de l'apostolat, dit: « Je n'ai pas été envoyé pour baptiser, mais pour prêcher. » En effet, la prédication vient avant le baptême. Mais que la prédication soit plus honorable, d'accord. Celui qui a eu le pouvoir de prêcher a pu sans doute aussi baptiser.
XV. Reste-t-il quelque autre sophisme par lequel on attaque le baptême? Je l'ignore. Toutefois, je vais reprendre la marche interrompue tout à l'heure, pour ne pas laisser indécises les questions fondamentales. Il n'y a pour nous qu'un seul baptême; l'Evangile du Seigneur et les Epîtres de l'Apôtre en font foi: « Il n'y a qu'un Dieu, qu'un baptême, qu'une Eglise dans les cieux. » Mais que faut-il observer à l'égard des hérétiques? il s'agit de le discuter mûrement. Le véritable baptême ne se transmet que chez nous. Les hérétiques n'ont rien de commun avec notre discipline, puisque séparés de notre communion, ils ne sont plus que des étrangers. Je ne dois point reconnaître en eux ce qui n'appartient qu'à moi. Ils n'ont ni le même Dieu, ni le même Christ que nous; par conséquent, ils n'ont pas l'unité du baptême, puisque leur baptême diffère du nôtre. Ne l'ayant pas tel qu'il doit être, ils n'en ont aucun indubitablement. Impossible de compter ce que l'on n'a pas; impossible de le recevoir chez eux, puisqu'ils ne l'ont pas. Nous avons déjà exposé longuement cette matière dans un traité écrit en grec (2). Nous ne recevons donc qu'une fois le baptême. Nos péchés n'y sont lavés qu'une fois, parce que nous ne devons pas y retomber. Israël renouvelle tous les jours ses ablutions, parce qu'il se souille tous les jours. Le Chrétien n'est baptisé qu'une fois, |256 pour l'avertir qu'après cela il ne doit plus pécher. Heureuse eau, qui ne lave qu'une fois, qui ne sert point de jouet aux pécheurs, qui, n'étant point souillée d'immondices habituelles, ne souille point ceux qu'elle lave!
XVI. Il est vrai que nous avons un second baptême, le baptême de sang, unique comme le premier. C'est de celui-ci que Jésus-Christ disait: « Je dois être baptisé d'un baptême, » quoiqu'il eût été déjà baptisé; car il était venu par l'eau et par le sang, comme l'a écrit Jean, afin qu'il fût lavé par l'eau et glorifié par le sang, conséquemment aussi, afin que notre vocation commençât par l'eau et que notre élection se consommât dans le sang. Ces deux baptêmes jaillirent sur la croix, de la plaie de son côté; parce que ceux qui devaient croire en son sang devaient être purifiés par l'eau, et ceux qui seraient purifiés par l'eau s'abreuver de son sang. Voilà quel est le baptême qui supplée le baptême d'eau quand nous ne l'avons pas reçu, et nous le rend quand nous l'avons perdu.
XVII. Il me reste, pour terminer cette courte matière, à dire quelques mots sur la discipline qu'il faut observer dans l'administration et la réception du baptême. Le droit de le conférer appartient au grand-prêtre, qui est l'évêque; après lui aux prêtres et aux diacres, jamais toutefois sans la permission de l'évêque, par honneur pour l'Eglise: toutes les fois que cet honneur est maintenu, la paix l'est aussi. Du reste, les laïques ont quelquefois ce pouvoir. Ce qui est communiqué sans réserve ne peut-il pas l'être de même, saut néanmoins que les évêques, les prêtres, les diacres, sont appelés les disciples de Jésus-Christ (3). Nul ne doit receler le don du Seigneur. Or, le baptême étant un des biens que Dieu distribue à tous, tous peuvent l'administrer; mais les laïques doivent toujours se souvenir de |257 la modestie et de l'humilité envers leurs préposés, dans lesquels réside ce pouvoir, et ne point usurper un office qui n'appartient qu'à l'évêque. La rivalité est la mère des schismes. ---- « Tout est permis, a dit le très-saint Apôtre, mais tout n'est pas expédient. » Qu'il suffise donc à un laïque d'user de cette faculté dans les cas de nécessité, quand le lieu, le temps, la personne le réclament; Alors la conjoncture du péril où se trouve celui-ci excuse suffisamment la compassion de celui-là. Refuser à quelqu'un le secours qu'il était en notre pouvoir de lui donner, c'est nous rendre coupables de la perte d'une ame.
L'indiscrète témérité de la femme a déjà usurpé le droit d'enseigner; ira-t-elle jusqu'à s'arroger celui de baptiser? Je ne le crois pas, à moins qu'il ne surgisse quelque nouveau monstre aussi hardi que le premier. Une femme détruisait tout à l'heure le baptême: pourquoi une autre femme n'irait-elle pas jusqu'à l'administrer de sa propre autorité? Essaieraient-elles de justifier leurs prétentions au pouvoir d'enseigner et de baptiser par un passage faussement attribué à Paul? Je leur apprendrais que cette épître est d'un prêtre d'Asie, qui, par admiration pour Paul, composa cette invention qu'il fit circuler sous le nom de l'Apôtre. Convaincu d'imposture, il avoua le crime et fut déposé. Quelle apparence, en effet, que Paul attribue aux femmes le pouvoir d'enseigner et de baptiser, quand il leur refuse le droit d'interroger en public: « Qu'elles se taisent, dit-il, et interrogent leurs maris en particulier! »
XVIII. Du reste, ceux qui sont chargés de l'administration du baptême n'ignorent pas qu'il ne faut pas le conférer légèrement. Ce précepte: « Donnez à tous ceux qui vous demandent, » a sa mesure, et s'applique à l'aumône. Souvenons-nous plutôt de ces paroles: « Gardez-vous de donner aux chiens les choses saintes; ne jetez point vos perles devant les pourceaux; » et ailleurs: « N'imposez pas facilement les mains à personne, de peur de |258 participer aux péchés d'autrui. » Sans doute Philippe administra facilement le baptême à l'eunuque, mais n'oublions pas qu'un ordre manifeste et formel était intervenu de la part du Seigneur. L'Esprit avait recommandé à Philippe de suivre cette route; l'eunuque lui-même s'occupait à lire les Prophètes, sans songer à demander si promptement le baptême. Il songeait seulement à monter au temple pour y prier. Chemin faisant, il était tout entier à la méditation de l'Ecriture. Religieuses dispositions dans lesquelles devait être surpris celui auquel Dieu envoyait volontairement un Apôtre à qui l'Esprit ordonnait en outre de monter sur le char de l'eunuque. L'Ecriture va au-devant de sa foi; l'exhorter, le choisir, lui révéler le Seigneur est l'affaire d'un moment; sa foi ne supporte pas de retard; l'eau ne se fait pas attendre; le baptême consommé, l'Apôtre disparaît.
---- Mais enfin Paul fut baptisé sans délai.
---- Oui, sans délai; car Simon, son hôte, l'avait reconnu d'abord pour un vase d'élection. La bonté de Dieu se distingue à certaines prérogatives. Au reste, toute demande peut tromper ou être trompée. Il est donc plus utile de différer le baptême d'après l'état, la disposition et l'âge de chacun, mais surtout par rapport aux enfants: pourquoi, en effet, exposer au péril ceux qui répondent pour eux? La mort ne peut-elle pas les empêcher d'acquitter leurs promesses? S'ils vivent, le mauvais naturel des enfants ne peut-il pas tromper leurs espérances?
Il est bien vrai que notre Seigneur a dit: « Laissez-les venir à moi! » Qu'ils viennent donc, mais quand ils seront plus âgés; qu'ils viennent, mais quand ils auront étudié, et qu'il leur aura été enseigné pourquoi ils viennent; qu'ils soient marqués du sceau des Chrétiens, mais quand ils auront pu connaître Jésus-Christ. Pourquoi l'âge de l'innocence court-il à la rémission des péchés? On en use avec plus de précaution pour les choses du siècle: confierons-nous les trésors du ciel à qui nous ne confierions pas ceux de la terre? Que les enfants apprennent donc à |259 demander le salut, afin qu'il ne semble accordé qu'à ceux qui le demandent.
Les motifs pour ajourner les adultes qui ne sont pas encore engagés dans le mariage, ne sont pas moins décisifs. La liberté les expose à trop de tentations, les vierges par la maturité de leur âge, les veuves par la privation; il faut attendre qu'elles soient mariées ou affermies dans la continence. Si l'on comprenait bien quel est le fardeau du baptême, on craindrait plus de le recevoir que de le différer: la foi parfaite n'a rien à redouter pour le salut.
XIX. Le jour solennel du baptême, c'est le jour de Pâque, lorsqu'est accomplie la passion du Sauveur dans lequel nous sommes baptisés. On peut même regarder comme une figure assez juste du baptême l'ordre que Jésus-Christ, sur le point de célébrer avec ses disciples la dernière pâque, leur donne d'aller préparer sa pâque. « Vous trouverez, leur dit-il, un homme portant une cruche d'eau. »
Il leur indique l'eau comme le signe du lieu où il devra célébrer la pâque. Un autre jour solennel pour le baptême c'est la Pentecôte. Il s'est écoulé un long intervalle pour disposer les catéchumènes au sacrement. C'est durant cet intervalle que le Seigneur manifesta souvent sa résurrection à ses disciples, qu'il leur promit la grâce de l'Esprit saint, qu'il leur laissa l'espérance de son retour, puisque quand il fut remonté aux cieux, « les anges dirent aux Apôtres: Vous le verrez revenir comme vous l'avez vu monter au ciel. » Cette merveille s'est réalisée le jour de la Pentecôte. Mais quand Jérémie s'écrie: « Je les rassemblerai des extrémités de la terre dans un jour de fête, » il désigne d'avance Pâque et la Pentecôte, qui sont proprement nos jours de fête. Au reste, chaque jour appartient au Seigneur. Toutes les heures, tous les temps sont propres au baptême; si la solennité importe, la grâce du sacrement ne diffère pas.
XX. Ceux qui aspirent au baptême doivent s'y préparer par des prières fréquentes, par des jeûnes, par des |260 génuflexions, par des veilles, et par la confession de tous leurs péchés passés, afin de représenter aussi le baptême de Jean: « Et confessant leurs péchés, est-il dit, ils étaient baptisés.» Pour nous, félicitons-nous de n'avoir pas à confesser publiquement, comme eux, nos fautes et nos désordres. Par la mortification de la chair et de l'esprit, nous satisfaisons pour nos iniquités passées, en même temps que nous nous prémunissons contre les tentations à venir. « Veillez et priez, dit-il, pour que vous n'entriez point en tentation. » Si les Apôtres furent tentés, c'est qu'ils se laissèrent aller au sommeil, d'où il arriva qu'ils abandonnèrent le Seigneur, dès qu'ils le virent entre les mains de ses ennemis. Celui-là même qui restera à ses côtés et tirera le glaive pour le défendre, le niera ensuite par trois fois. Il avait été dit auparavant: « Personne n'entrera dans le royaume des cieux, s'il n'a été éprouvé par la tentation. » Le Seigneur lui-même, après son baptême et un jeûne de quarante jours, n'est-il pas assailli par la tentation?
Mais, me dira-t-on, il nous faut donc jeûner après le baptême plus encore qu'auparavant? Et qui peut l'empêcher, sinon la nécessité de se réjouir et de rendre grâces à Dieu de son salut. Le Seigneur, si je ne me trompe, répond à cette objection dans les reproches qu'il adresse à Israël. L'Hébreu, après avoir traversé miraculeusement la mer, transporté pendant quarante années dans le désert, où il était nourri par des aliments célestes, s'occupait bien moins de Dieu que de ses grossiers appétits. De plus, Jésus-Christ se retirant dans le désert après son baptême, nous montre clairement par ce jeûne de quarante jours, que « l'homme ne se nourrit pas seulement de pain, mais de la parole de Dieu, » puisque les tentations de la gourmandise et de l'intempérance viennent échouer contre les austérités de la pénitence.
Vous donc, mes bien aimés, que la grâce de Dieu attend, dès que vous sortez du bain où l'homme se |261 renouvelle, et que vous ouvrez avec vos frères vos premières mains dans le sein de l'Eglise votre mère, demandez au Père céleste, demandez au Seigneur les biens sacrés, les grâces surnaturelles, le patrimoine du ciel et les dons du Saint-Esprit. «Demandez, dit le Sauveur, et vous recevrez.» Vous avez cherché jusqu'à cette heure, et vous avez trouvé; vous avez frappé, et il vous a été ouvert. Je vous demande une seule grâce à mon tour: souvenez-vous dans vos prières de Tertullien le pécheur.
1. (1) Le texte de Tertullien laisse ici quelque obscurité à cause de son énergique concision. Selon les commentateurs, il désigne une machine hydraulique, ou plutôt certains enchantements qui étaient pratiqués, soit dans les cérémonies du baptême chez les hérétiques, soit chez les païens pour connaître l'avenir.
2. (1) Ce traité n'existe plus.
3. (1) Cette phrase est susceptible d'un autre sens: à moins que l'on ne puisse appeler les évêques, les prêtres et les diacres, qui sont les disciples du Seigneur.
Traduit par E.-A. de Genoude, 1852. Proposé par Roger Pearse, 2005.
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